La rivière de Tréguier était autrefois navigable jusqu’à La Roche-Derrien distante de 15 km. Implantée au confluent du Guindy et du Jaudy, la ville de Tréguier est plus accessible : elle ne se trouve qu’à 7 km de la mer et les navires peuvent mouiller - même à marée basse - devant la cité. Les cartes marines figurent d’ailleurs la présence de "bons mouillages" par des ancres. Le clocher de la chapelle Saint-Michel sert d’amer pour la navigation (voir carte de l’entrée de la rivière de Tréguier du 18e siècle et alignement). La rivière de Tréguier ne sera balisée qu’à la fin du 18e siècle.
Décrits en 1575, les trois quais du port de Tréguier - d’une longueur total de 215 m – sont remarquables pour l’époque. "Un des plus beaux quais dudit pays en forme de ravelin de largeur de 80 pieds ou environ [524,5 m] et de longueur de 250 pas [82,5 m] qui va donner du bout en flanc dans la rivière et bras de mer qui aborde au-devant d’icelle ville, garni et ceint de pièces de bois fichées en terre de la hauteur et jusqu’au sommet d’icelui, afin de gariller [?] que les dites pierres de taille dont ledit quai est garni et rempli de terre ne se puisse démolir avec deux autres quais à chacun côté d’icelui quai du bout devers la terre qui contiennent de longueur 400 pas [132 m], tous deux bâtis de pierre de taille, si bien accommodés que lorsque la mer vient à monter à chacune marée, les navires peuvent aisément décharger (texte cité par Jean-Pierre Leguay dans son ouvrage intitulé L’eau et la ville au Moyen Age).
Dans son manuscrit intitulé Description historique, topographique et naturelle de l'ancienne Armorique ou Petite Bretagne datable du milieu du 18e siècle, Christophe-Paul de Robien évoque la "commodité de son port". La "Grande rue" (aujourd’hui rue Renan) qui serpente en lacet permet la communication entre la partie haute de la ville centrée autour de l’église cathédrale et la partie basse - le port. Deux autres rues descendent vers la rivière : il s’agit au nord de la rue de la Poissonnerie (actuelle rue Lamennais) et au sud de la rue des Bouchers (actuelle rue Saint-André) qui regroupaient les artisans liés à ces activités.
Les aménagements du port et de la rivière de Tréguier au 18e siècle ont été étudiés en détail par Olivier Levasseur. Grace aux octrois et taxes (taxes sur le vin sortant de la ville en charrette ou en bateau, droit de lestage et de délestage des navires ou droit d’ancrage…), la communauté de ville gère, tant bien que mal, l’entretien des infrastructures comme le montrent les archives municipales de Tréguier. L’état du port de Tréguier est connu avant les travaux par un plan de 1751 conservé aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine. Deux quais et plusieurs cales d’époque différentes permettent le débarquement et le débarquement des marchandises, des vivres, du bétail et des hommes. C’est finalement entre 1750 et 1768 que le port connait des travaux d’aménagement portuaire d’envergure financés grâce aux fonds des États de Bretagne. Le quai est planté en 1763.
Dessiné en 1815, le projet d’aménagement d’une cale à double rampe, de deux cales de constructions navales ainsi que d’un pavillon pour la douane n’aboutit pas. Il prévoyait également "l’enlèvement d’un banc de sable" qui existait au confluent du Jaudy et du Guindy afin de faciliter la navigation.
Le registre des délibérations du conseil municipal décrit la ville et le port ainsi en 1833 : "la ville de Tréguier possède tous les éléments qui constitue la richesse et la prospérité, puisque sa situation géographique la place aux abords de la mer, sur une belle rivière et au milieu d’un pays fertile ; que son port, ses quais, ses armements pour Terre-Neuve, ses exportations, ses ponts et ses établissements, tout en donnant une grande importance à son état actuel semblent devoir préparer son avenir à assurer son agrandissement futur" (Archives communales de Tréguier : 3D1, modification du territoire de la commune. Extrait du registre des délibérations du conseil municipal).
L’analyse du cadastre de 1834 croisée à l’étude de terrain montre la présence d’importants terrassements visant à compenser la pente naturelle vers la rivière : ces longues parcelles - invisibles depuis l’espace public - devaient probablement être cultivées en vergers. Le cadastre mentionne la rue du Quai, figure "le Quai" (parcelle n° 408) et le "quai projeté" vers le nord. Il rappelle la possibilité pour les charrois de descendre directement sur la grève au bas de la "Grande Rue". Inauguré en 1834, le pont Canada - le lieu et la grève sont cités ainsi dès 1619 - permet de franchir le Jaudy sans avoir à remonter jusqu’à La Roche-Derrien. Peu de temps après est mis en service la passerelle Saint-François au-dessus du Guindy reliant Tréguier à Plouguiel.
Le plan d’alignement des rues de Tréguier daté de 1906 nous montre trois quais : le "vieux quai" dont l’emprise correspond pour partie à l’actuelle place du Général de Gaulle (reconstruit dans la seconde moitié du 18e siècle), le "petit quai" situé entre le n° 8 et le n° 11 de l’actuelle rue du Port (achevé en 1846) et le "quai neuf" ou "grand quai" qui se prolonge jusqu’au bas de l’actuelle rue Lamennais (construit vers 1840 ; il est modernisé et achevé à la toute fin du 19e siècle). Le port est ainsi accessible aux navires de 5,5 mètres de tirant d’eau et uniquement en haute mer d'équinoxe, à ceux qui ont 8 mètres de tirant d’eau. Le cadastre de 1834 laisse entrevoir en creux les surfaces gagnées sur la mer par poldérisation.
Outre les quais, l’espace portuaire comprend également la rue Quelen (il s’agit en réalité d’une petite impasse), le placître Kerderrien et la rue du Pont qui démarre au bas de la rue des Bouchers (actuelle rue Saint-André) et qui se poursuit vers le pont Canada (actuelle rue Marcellin Berthelot). Sur le "vieux quai" se dressent des bâtiments organisés autour d’une cour appartenant en 1906 aux enfants Le Normand. Dans le passé, ces bâtiments ont abrité une manufacture d’huile.
En 1904, c’est dans l’alignement du parc de la Baronnais - sur un terrain appartenant aux demoiselles Cadiau et à dame Henry Collas de La Baronnais - qu’est érigé le calvaire de Réparation en signe de protestation contre l'érection de la statue d'Ernest Renan sur la place du Martray. A partir de 1906, une ligne du Chemin de Fer des Côtes-du-Nord permettait de rejoindre Perros-Guirec depuis Tréguier en empruntant les quais du port puis le Pont noir passant au-dessus du Guindy. Dans les années 1920, les quais ont été reliés entre eux pour former du nord au sud : la rue du Port, la place du Général de Gaulle et la rue Marcellin Berthelot (en partie sur un espace qui servait de "dépôt de lest"). Une seconde ligne venant de Paimpol est créée en 1924 et nécessite la construction d’un ouvrage d’art afin de permettre le passage au-dessus du Jaudy (le pont est détruit en 1944 et ne sera jamais reconstruit). Une gare est construite en amont du port ainsi qu’un dépôt-atelier pour les chemins de fer (actuelle brasserie Philomenn). Au lieu-dit Langazou à Minihy-Tréguier subsiste un château d’eau témoin de la ligne ouverte dès 1905 venant de Plouëc-du-Trieux via La Roche-Derrien. La série S, travaux publics et transports des archives départementales des Côtes-d’Armor pourrait encore apporter de nombreux éléments à l’histoire du port de Tréguier et des chemins de fer.
Rue du Port, l’ancien établissement Guézennec, spécialisé dans l’import de bois, est devenu le chantier naval du Jaudy (en 1834, ces parcelles étaient nommées "Le Kernidy" et une corderie existait non loin de là). Les anciennes cartes postales nous racontent l’histoire du port de Tréguier : celle de la Maison Alphonse Morvan - graineterie automatique - dont la spécialité était l’orge, le sarrasin, les blés, les graines de lin extra et l’exportation de pommes de terres nouvelle vers l’Angleterre… Les années 1950 voient la suppression des deux lignes de chemins de fer au profit du réseau routier. A cette époque transite essentiellement du maerl, du sable, des pommes de terre, du bois, du blé, du vin et du ciment.
Le port de Tréguier appartient au département des Côtes-d’Armor, il est exploité en concession à la Chambre de Commerce et d’Industrie des Côtes-d’Armor. Il est composé du "poste n° 2" correspondant au "quai planté", du "poste n° 3" donnant sur le quai Guézennec et les hangars attenants, du "poste n° 4" dit quai nord (quai Cornic) et du "poste n° 5" dit quai sud (quai Garnier et hangar à Minéraux). Si l’ancien bureau du port du 19e siècle est situé dans l’enceinte, le "poste n° 1" est situé en dehors.
Le port de plaisance a été aménagé en 1979 : il dispose de 330 places, dont 70 réservées aux plaisanciers de passage. Ces pontons flottants permettent une accessibilité à tout heure du jour ou de la nuit.
(Guillaume Lécuillier, 2018).