An Leu Drez ou la Lieue de Grève
La Lieue de Grève représente cet espace sablonneux, bordé de dunes en haut de grève, qui s´étend de Saint-Michel à Saint-Efflam et que la mer recouvre à chaque marée.
La croix de la Lieue de Grève « Kroas An Hanter Lew »
Pendant des siècles, tous les voyageurs se déplaçant en longeant la côte de Lannion à Morlaix, redoutaient la traversée de la « Lieue de Grève ». Sur plus de quatre kilomètres de sable les dangers pouvaient être aussi nombreux que variés.
La traversée de la Lieue de Grève ne s´envisageait pas sans un certain effroi surtout quand on savait qu´aux périls de la mer s´ajoutait le risque de fâcheuses rencontres de voleurs et de bandits qui rançonnaient la grève.
La marée qui monte au galop d'un cheval n'était pas le seul danger pour les pèlerins : des bandits les guettaient pour les détrousser. La bande la plus célèbre était menée par une Marion du Faouët locale : Marc'haït Charlès, dite La « Charlézenn », qui sifflait comme un homme pour rameuter ses tueurs.
Tout à côté, dans le Grand Rocher de Saint-Efflam, résiderait Gwenc'hlan, le dernier barde, qui de là-haut aurait appelé à l'aide le cheval de mer Morvac'h (celui de la légende de la ville d'Ys) pour le venger des tortures infligées par un prince étranger (la prophétie de Gwenc'hlan, Barzaz-Breiz). C'est là aussi que le Roi Arthur ferrailla avec succès contre un dragon effrayant.
Cette contrée aux confins du Trégor poétique et du Léon ravagé par les vents, où l'on ne chante guère, est évoquée par un chant recueilli par François-Marie Luzel au cours de ses collectes. Il a été publié dans son ouvrage Soniou Breiz-Izel (Chansons populaires de Basse- Bretagne) en 1890.
Heureusement pour le voyageur esseulé et encore plus pour le pèlerin effectuant son « Tro Breiz » une croix située au milieu de la grève (Kroas An Hanter Lew) était un repère très précieux et d´un grand réconfort. Pendant des siècles, cette croix a guidé et protégé les voyageurs.
Selon la légende énoncée par le chevalier de Fréminville : "Cette croix remonterait à l´arrivée des Bretons en Armorique et plus précisément à l´arrivée de saint Efflam en pays de Plestin. Ayant levé l´ancre et les voiles, se laissant conduire par Dieu vers le port où il lui plairait de les guider, Efflam et ses compagnons cinglèrent en pleine mer. Efflam passa la mer et vint surgir à la côte de Bretagne armorique en la baie de sable qui est entre Toul Efflam et Loc-Mikel ou lieue de grève en la paroisse de Plestin, diocèse de Tréguier ou leur vaisseau s´arrêta vis à vis d´un grand roc qui est au milieu de la grève nommé Hyrglas. Il y avait là, pour lors, le long de la grève une très grande forêt. Il rendit son esprit à Dieu le 6 novembre de l´an 512 et le 74 de son âge".
D´après les traditions, cette croix est celle que saint Efflam planta à l´endroit où son navire toucha terre.
Le chevalier de Fréminville ajoute :
"Un combat furieux opposa le Roi Arthur au dragon du Roc´h Hyrglas, celui-ci terrorisait le pays de Plestin. Le Roi Arthur, glorieux roi des Bretons, ferraillait contre ce dragon effrayant quand le Saint frappa de son gourdin la roche bleue et fit jaillir une source où Arthur put se désaltérer. Le dragon disparut dans une mare de sang à l´emplacement actuel du Rocher Rouge. Efflam en mémoire de sa délivrance planta une croix de pierre sur le lieu du combat et fonda un ermitage".
Un énorme dos de sable barrait aux cours d´eau le Yar et le Roscoat l´accès direct à la mer. Le Yar, repoussé contre les falaises de Tréduder, rejoignait le Roscoat, baignait le pied du cimetière de Saint-Michel et toutes eaux réunies, allait se jeter sous Beg An Forn. Ce n´est que vers 1834, lorsque commencèrent les grands charrois du sable que le Yar a forcé l´obstacle et pris son indépendance en se jetant directement à la mer à hauteur de la croix de Mi-lieue. Cet état ancien des choses nous fera mieux comprendre les dangers du passage de la Lieue de Grève. Ceux qui venaient de Lannion devaient traverser le gué sous l´église de Saint-Michel. Les attelages, triplés, quadruplés, les chariots s´enlisaient quand même jusqu´aux essieux.
Malheur aux imprudents ! Les voyageurs qui venaient de Morlaix prenaient de gros risques en ne se renseignant pas sur l´état de la marée. Ainsi pour n´avoir pas tenu compte de l´avis du maître de poste de Plestin, un notaire de La Roche Derrien se noya en 1812 dans la lieue de grève, n´ayant pu franchir à temps le fameux gué de Saint-Michel. On ne retrouva le lendemain que son cheval qui pâturait à Toul Ar Vilin en Trédrez.
A Saint-Michel encore en 1815 un dimanche après midi, la procession des vêpres tournait dans le cimetière quand on vit une femme inconnue (supposée mendiante dit l´acte de décès des archives de Saint-Michel) venir par la grève et entrer dans le gué alors que le flot transformait déjà en détroit parcouru par un courant violent. Les Michelois lui crièrent de rebrousser chemin en vain. Elle disparut sous leurs yeux.
Autre témoignage : "Au milieu de cette vaste grève sillonnée de ruisseaux s´élève une croix de pierre. Autrefois l´habitant de ce pays, avant d´entreprendre la traversée ne manquait jamais d´interroger la croix. Si les flots la recouvraient, il était trop tard : l´imprudent eut été infailliblement englouti. Si, au contraire, la croix se montrait au-dessus de l´eau, on disait : « la croix nous voit » et l´on s´avançait sans crainte".
Pour certains, elle est la réplique de celle que l'abbaye du Mont Saint-Michel avait élevée dans les sables normands dès le 11ème siècle.
On dit qu'elle se déplace de l'épaisseur d'un grain de blé tous les sept ans : "Treuz ur gwinizhenn a bep seizh bloaz".
Les tentatives d'explication de la disparition de la croix de la Mi-Lieue de Grève sont diverses :
les uns affirment que les troupes allemandes s'en servaient comme cible pour leurs exercices de tir.
Les autres affirment qu'un Américain l'aurait décelée et embarquée en souvenir.
Mais l'explication la plus plausible est que les péniches, en manoeuvrant en mer, l'auraient heurtée et cassée au niveau du fût en août 1944.
Chanson de Iwan Gamus de Ploumilliau, interprétée par Denez Prigent :
Iwan Gamus a Blouvino
Ar glac'haretan mab' zo er vro.
Yves Camus chantait gaiement,
(En allant) chercher ses chevaux, un dimanche matin :
Ar greiz ha c'hwitellad
'Zae da gas e saout d'ar prad
A greiz c'hwitellad ha kano
Komansas e fri diwedo
Ajean 'reas war ur men gwen
Da c'hortoz e c'hoar Vari da dremen
E c'hoar vihanañ añvet Mari
'Oa aet d'an oferen beure
"Ma c'hoar Vari din a laret
Peseurt neventiou 'peus klevet ? "
"Neventioù walc'h m'eus klevet
Da lakaad ho kalon baour glac'haret
Neventioù walc'h zo er vro
Ho muiañ karet a zo marv"
Klever an dud, ar velein
Da gas e dous za Sant Jelven
Iwan Gamus ya pa glevas
Za Sant Jelven mont a reas
E Sant Jelven pan erruas
E korn he bez e taoulinas
E korn he bez e taoulinas
Razig e galon e ouelas
"Ma eo marv ma muiañ karet
Gwele ma c'habined a riet
Ma n'eo ket graet, o, graet an aes
Kar birviken ne din er maez
Ne din ket ken er maez en hañv
Nemed ur wech da lianañ
Nemed ur wech da liano
Hag ur wech all da intero
Ni 'vo laket en ur beziad
Pa n'omp ket bet n'ur gwelead
Ni 'vo eurejet gant Doue
Pa n'omp ket bet gant ar c'hure."
Le plus beau jeune gars qu'il y ait au pays.
Et quand il a trouvé ses chevaux,
Sur le gazon, il s'est assis ;
Sur le gazon, quand il s'est assis,
Son nez à saigner s'est mis.
- Qu'est-ce qui me survient de nouveau,
Que mon nez saigne si matin ;
Que mon nez saigne de si bonne heure ?
Il n'est pas coutumier de le faire.
Lui, d'appuyer sa tête à un chêne,
De se mettre à songer, à méditer ;
De se mettre à songer, à méditer,
En attendant les gens de la messe de passer.
- Ma soeur, fille de la messe du matin,
Qu'avez-vous entendu de nouveau ?
- Assez de nouveauté j'ai entendu,
Puisqu'elle est morte, celle que vous aimez.
Yves Camus, quand il entendit,
Trois fois à terre tomba.
Trois fois à terre il est tombé
Sa pauvre soeur l'a relevé :
- Taisez-vous, mon frère, ne pleurez pas !
Taisez-vous, mon frère, consolez-vous !
Assez de filles sont au pays,
Vous êtes jeune et en trouverez ;
Vous êtes jeune et en trouverez,
Et les vieux s'en passeront.
- Y eût-il autant de filles au pays,
Qu'il y a de grains de sable dans la mer,
Je n'aurai aucune d'entre elles,
Puisqu'il est vrai que mon amour est morte ;
Jamais mariage ne sera sur ma tête,
Puisqu'elle est morte Marie Penduenn.