L'histoire industrielle des carrières des deux caps
La première exploitation industrielle : l'entreprise Barrier
Vers 1840, le gouvernement de Louis Philippe favorisa l'installation à Erquy de deux sociétés de carrières de travaux publics : les sociétés Cholet et Jouanne de Saint-Servan. Celles-ci louèrent les terrains du Pendu et du Gentil (les frères Cholet) et du Lantier, puis du Maupas (après 1848, la société Yves Jouanne). Les matériaux extraits servaient à empierrer les routes, notamment la carrière du Maupas qui servit à la construction de la route nationale 137. Cette activité amena l'Etat à construire la première partie du môle d'Erquy.
Lorsque la garenne devint en 1853 la propriété de la commune d'Erquy, celle-ci pensa trouver une source de revenus en favorisant l'ouverture d'autres carrières à Tu Es Roc et à la Garenne. Elle fit procéder à une enquête d'utilité publique. Il en résulta un avis favorable de tous les carriers du pays qui refusaient l'installation de tout étranger à la commune. La vente totale des landes de la Garenne ayant rempli les caisses de la commune, ces projets furent ajournés.
L'exploitation en grand des carrières d'Erquy et de Pléhérel ne commença vraiment qu'en 1886, lorsque Barrier, entrepreneur de travaux publics au Mans, qui avait obtenu le marché de la fourniture de pavés pour la ville de Paris, puis ensuite des grandes villes du Nord de la France, s'intéressa aux carrières de Fréhel et d'Erquy. Novateur, il entreprit d'attaquer les falaises de grès par la base, le long du rivage de la mer, de façonner les pavés sur place et de les expédier par la voie maritime. Il convenait d'aménager pour ce nouveau trafic des points d'embarquement situés au plus près des carrières. En 1886, Barrier acheta deux hectares de lande à la Grosse Falaise en Pléhérel et un hectare à la Fosse Eyrand. IL construisit au pied de la Grosse Falaise (pointe du Fournel) une estacade en bois : le port Barrier. Du coté d'Erquy, afin d'avoir la possibilité de construire un ouvrage semblable au port de la Noë, il acheta la concession des têtes de roche de "La Roche Pécheresse", la "Roche des Avirons", le "Petit Gouvray" (plage Saint-Michel) et "Follet", ainsi qu'une bande de terrain le long du rivage, ce qui lui permettait de conduire ses matériaux de la Fosse Eyrand au port de la Noë.
Ce système d'embarquement par des estacades en bois était cependant peu sûr par mauvais temps. A Pléherel, Barrier voulut utiliser le Port-Nieux dans la baie de la Fresnaye. Cependant, les lourds charrois défonçaient les chemins communaux. Pléhérel voulut lui en imposer l'entretien à l'entrepreneur Barrier qui fit un procès qu'il perdit à Saint-Brieuc et gagna à moitié, en appel à Rennes.
A la Garenne d'Erquy, Barrier avait acquis vers 1884 la concession des carrières familiales situées entre le Petit Port et Noirmont, à proximité du port dont l'Etat autant que les élus communaux évaluaient bien la nécessité d'améliorer les installations. En 1875, le prolongement de la jetée et l'établissement de quais avaient été réclamés, en vains. Le ministre avait refusé "vu le mauvais état des finances publiques". Mais en 1886, sous l'impulsion de Barrier, qui était fournisseur de l'Etat, le ministre programma sur le domaine public l'édification d'un quai et d'un chemin d'accès au pied du Noirmont. La commune d'Erquy était partie prenante pour 1/3 du financement de ces travaux. Barrier obtint la concession d'une bande de terre de 1,25 m de large le long de ce chemin d'accès ainsi qu'un espace pour édifier une estacade d'embarquement à l"endroit le plus sur du port". En échange, Barrier fournissait à taux très réduit les matériaux à une entreprise de Mayenne, Vital Galard qui avait soumissionné les travaux au quart du prix moins cher que le devis des Ponts et Chaussées (économie pour l'Etat et la commune). Barrier put installer son chantier de taille de pavés sur la plage de l'échaussée, avec les blocs amenés par wagonnets sur une voie ferrée établie surs sa concession. Après la réception des travaux (le 28 février 1889), la municipalité d'Erquy s'aperçut que Barrier était devenu le seul utilisateur du port au détriment de tous les autres commerçants qui avaient des difficultés à faire circuler leurs charrettes sur le nouveau quai, rendu glissant par une pente trop prononcée. Elle voulut faire annuler la concession Barrier ; ce qui provoqua une belle pagaille politique et administrative entre l'ingénieur des Ponts Guillemoto, le maire d'Erquy et le châtelain de Noirmont. Barrier dut installer au Légué son chantier en attendant la résolution du conflit.
De Barrier à la Société des Carrières de l'Ouest
En 1890, la société Barrier fut absorbée par la Société des Carrières de l'Ouest qui exploitait une dizaine de carrières dans tout l'ouest de la France, notamment à l'Île Grande, d'où elle tirait des bordures de trottoir. Son siège social était à paris. Elle garda Barrier comme directeur pour Erquy et Pléhérel. C'est donc en cette qualité que Barrier acquit en 1891, à la commune d'Erquy, toute la côte du cap situées entre le four à boulets et la pointe de Crève Coeur (non vendue en 1857). Cependant, cette partie de falaise ne fut jamais exploitée. En 1893 ; il acheta ce qui restait des carrières artisanales de Pléhérel dans la lande de la Chapelle aux Chèvres, près de l'anse du Grand Douët.
La grande période des Carrières de l'Ouest put commencer jusqu'en 1939, ponctuée par le renouvellement des baux d'extraction, qui amenait des tensions vives entre la société et les collectivités locales. En 1936, l'armée fut m^me envoyée à Pléhérel par crainte des mouvements ouvriers.
L'augmentation de la production des carrières de la Garenne amena le ministre des travaux publics, la chambre de commerce de Saint-Brieuc et la municipalité d'Erquy à envisager le prolongement de la jetée différée en 1886. La visite du ministre à Erquy le 27 août 1892 déclancha ma mise en oeuvre. La Société des Carrière promit de fournir les matériaux (blocs de 300kgs minimum côté port et 1000kgs côté mer) pour un prix très minime. La commune ne put assurer qu'une partie du financement, avec un complément de la chambre de commerce moyennant la perception d'une taxe de tonnage. La nouvelle jetée fut achevée en août 1898 et le phare allumé en 1899.
En 1895, Erquy concéda à Pottier, directeur particulier de la Société à Erquy, après Barrier, la concession d'un chemin de fer Decauville à voie étroite (50 cm) joignant Noirmont à Follet, en empruntant les voies communales, avec la permission d'établir dépôts, abris, hangars où cela lui convenait pour l'exploitation. Elle obtint ainsi d'établir une sorte de digue en pierres sèches entre la Fosse Eyrand et la grève du Gouvray (grève Saint-Michel au niveau des roches "Précheresses"). On la distingue encore de nos jours. En 1903, elle obtint aussi de l'Etat la permission de baliser à ses propres frais, le rocher de la Pointe du port, à l'entrée du havre d la Noë avec la concession prioritaire d'y faire entrer ses bateaux avant ceux des marins pêcheurs.
Il n'était pas encore question de Decauville sur le territoire communal de Pléhérel. L'exploitation de la Grosse falaise touchant pratiquement au port Barrier qui voyait ses estacades en bois remplacés par des digues en pierre aux formes bizarres incompréhensibles aux non initiés des problèmes de chargement. Cependant, lorsqu'en 1918, la Société ouvrit des carrières au Routin (actuelles carrières encore en activité) et à la Genière, elle dut s'engager à entretenir les chemins communaux qui les desservaient. En 1925, elle obtint la concession d'une voie Decauville rejoignant la station du Pont-Bourdais, où le chemin de fer départemental du second réseau emmenait sa production de sable et de graviers.
A Erquy, l'agrandissement du terre-plein de la base ouest de la jetée, dont la Société qui l'avait créé avec ses déblais, avait la concession exclusive, l'amena à abandonner l'idée d'un atelier de taille dessous l'échaussée. D'autre part, le creusement des carrières lui permit de construire à flanc de coteau un chemin d'exploitation (que l'on peut emprunter de nos jours), rejoignant par Decauville chaque entrée de carrière au dit terre-plein. A l'aplomb de la jetée, les wagonnets empruntaient une rampe très pentue.
Le versement sur les falaises, au dessous des carrières, d'une quantité considérable de déblais changea totalement l'aspect de cette partie de la garenne d'Erquy. De toute la baie de Saint-Brieuc, on ne voyait que ces falaises roses, au pied des "lacs bleus", chantées par l'écrivain régionaliste Florian Le Roy qui se réjouissait de leur abandon dés avant la guerre 1939-1945.
En 1923, la Société Civile Immobilière du cap Fréhel, qui avait acquis une grande partie des landes au duc de Feltre, ouvrit une carrière au pied même du cap, à la pointe de la Teignouse. Un rustique quai y fut aménagé. Une quarantaine d'ouvriers de la région y travaillèrent. Les pavés étaient exportés vers l'Angleterre à bord d'un bateau nommé "Achille". Mais la tempête de février 1927 détruisit les installations. La carrière fut abandonnée et ses ouvriers réemployés aux carrières de Louvigné du Désert.
La fin des carrières industrielles, avant leur reconversion
La guerre 1939-1945, l'emploi du goudron dans les villes, amena le déclin des carrières des deux caps. La Fosse Eyrand cessa ses activités vers 1960, la carrière de la Grosse falaise quelque temps plus tard. Seule aujourd'hui la carrière du Routin est en activité près du Vieux bourg de Pléhérel. Elle use inlassablement sa part de côte, réduisant en graviers et sables des "pans de pierre d'aplomb comme des murs".
La Société des Carrières a laissé à Erquy la digue étroite et fragile du port de la Noë (construite après 1922 par le Département et la Société), des logements pour les familles et leurs ouvriers, d'abord Mayennais puis Finistériens, à partir de 1905, et après 1920 Italiens et Espagnols. Elle a légué aussi ce patrimoine ethnologique à la fois technique et culturel, qui fait partie aujourd'hui de la mémoire ouvrière du pays des deux caps.