Transcription du témoignage de Marie Gicquel : le réseau "Shelburn", 4 décembre 1992 (collection particulière)

Le 28 août 1943, à Plouha, j'épouse Jean Gicquel, marin de l'Etat, en congé d'armistice. Il était sur un croiseur à Toulon, lors du sabordage de la flotte en novembre 1942.

Nous habitions à Saint-Samson une maisonnette bretonne que mon mari avait achetée, maison de famille de ses grands-parents. Au mois de décembre 1943, comme je souffrais d'une pleurésie et que j'étais enceinte, nous quittions notre petite maison, afin que je sois soignée chez mes parents qui habitaient près du bourg.

Plouha étant en zone occupée, fin décembre 1943, un ami, François Le Cornec, qui était chargé par un réseau anglais de trouver une maison qui servirait pour un passage de rescapés aviateurs (Canadiens, Américains, Anglais) a tout de suite pensé à notre maison inoccupée, pour le moment, et qui se trouvait à 1 km de la mer. Il a donc demandé à mon mari s'il pouvait la lui prêter pour une nuit. La seule chose qui était demandée était d'aller bien calfeutrer les fenêtres le jour qui lui serait indiqué. Ce qui fut fait.

Dans la nuit du 28 au 29 janvier 1944 se déroula la 1ère opération.

L'imminence d'une opération sur la côte était signalée par un message radio diffusée par la BBC, au cours de l'émission de 19 h 30 "Les Français parlent aux Français". Lors des informations de 21 h, on entendait la phrase "Bonjour tout le monde à la maison d'Alphonse". C'était le signal attendu, indiquant que l'opération devrait se faire le soir même. Ce soir là, 18 évadés passèrent par la maison.

Au début du mois de février 1944, nous revenions mon mari et moi, dans notre maison à Saint-Samson.

La première opération ayant réussie, François Le Cornec nous demanda encore le même service. Les aviateurs arrivaient à la maison avec leurs convoyeurs ; ils étaient groupés dans une pièce que nous n'occupions pas. Quand ils étaient tous là, Léon (surnom du chef canadien du réseau Shelburn) leur parlait, donnant les consignes à respecter quand ils quitteraient la maison pour rejoindre la plage Bonaparte où les attendait la corvette anglaise : "partir en file indienne, sans parler, sans fumer...". C'était pour les aviateurs les derniers moments à passer avant leur libération.

La 2ème opération eut lieu dans la nuit du 26 au 27 février 1944 : 21 personnes.

La 3ème opération eut lieu dans la nuit du 16 au 17 mars 1944 : 30 aviateurs.

Pour ces 2 opérations, Jean et moi restions à la maison après leur départ.

Lors de cette 3ème opération, il y eut un petit incident, quelqu'un du groupe est venu nous dire qu'on avait recompté les hommes en route et qu'il en manquait un ; il nous dit : "sortez de la maison, il se peut que ce soit un espion qui s'est faufilé dans la campagne et qui risque de revenir ici". Mais au retour du groupe accompagnateur, on nous dit : "on a recompté, personne ne manquait. Ceci donna tout de même à réfléchir à "Léon". Il était préférable que "la maison d'Alphonse" soit vide après le départ des aviateurs. Jean Gicquel accompagnerait le groupe jusqu'à la plage et moi j'irais me réfugier quelque part. Ma famille n'étant pas au courant, il fut décidé que les soirs d'opération j'irais dormir chez Pierre Huet avec son épouse Marcelle.

Après un arrêt de quelques semaines, les opérations reprennent. Au total : 137 aviateurs et 7 opérations échelonnées sur plusieurs mois. Deux ou trois groupes d'aviateurs sont restés chez nous quelques jours en attendant le départ.

Le 11 juin 1944, ma première fille, Marie-Thérèse naissait dans la "maison d'Alphonse".

Le 23 juillet 1944, notre chef "Léon" et François Le Cornec frappaient à notre porte à 23 heures. Ils accompagnaient 3 officiers anglais et 2 ordonnances. Il fallait les garder chez nous jusqu'au soir où la corvette anglaise pourraient venir les chercher. Le temps de les faire manger, de les installer dans une pièce voisine de la nôtre, le Canadien et notre ami repartaient. Un quart d'heure après, on frappe de nouveau à notre porte. C'était deux Allemands. Le réflexe de mon mari fut de leur fermer la porte au nez et de dire aux Anglais de monter à l'étage (un grenier).

Les Allemands firent, quand même, irruption dans la maison, faisant sortir mon mari. Ils avaient l'air affolé et tiraient des coups de mitraillette en l'air et sur le toit de la maison. Puis ils s'approchèrent de la barrière qui donnaient sur un petit chemin : là se trouvait un autre Allemand, blessé. Ils l'ont fait porter dans la maison près de mon lit et fait soigner ; il avait une blessure à l'aine, provoquée probablement par l'un d'entre eux. Après, ils demandèrent une charrette pour le transport du blessé. Les mains en l'air, mitraillette dans le dos, mon mari alla réveiller François Ellien qui habitait à 200 m de chez nous.

Pendant ce temps, l'Allemand resté chez nous avec le blessé, entendant remuer en haut, rechargea sa mitraillette et "Monsieur, Madame, bébé, "kapout", vous recevoir terroristes". Je voyais ma dernière heure arrivée ; ma fille était près de moi, elle avait 5 semaines.

A l'arrivée des charrettes, les hommes y transportèrent le blessé. Pour les amadouer, on leur donna un "calva", vieille bouteille que l'on conservait précieusement. Puis ce fut le départ. Aussitôt, je dis à mon mari : "ils vont revenir" et lui expliquai rapidement ce qui s'était passé. Il fit descendre les Anglais et alla les cacher dans un champ de blé à proximité de la maison. Je partis avec ma fille chez ma belle-mère qui habitait non loin de là, laissant tout dans la maison.

Une heure après, aux dire des voisins, les Allemands revenaient, nous cueillir sans doute, mais heureusement nous avions pris la fuite. Ils vidèrent la maison (vaisselle, vêtements, linge, etc.). Et dans l'après-midi suivant, y mettaient le feu. Ils ont dû être très étonnés par le bruit de l'incendie, car, dans une pièce attenante à la maison, étaient cachées armes et munitions que l'on retrouvera par la suite calcinées. Ces armes étaient destinées aux maquis.

Heureusement, il n'y eut pas de représailles ni dans le village, ni dans la commune. Le soir même, Londres ayant été alerté, une corvette venait chercher les Anglais au lieu habituel "la plage Bonaparte". Mon mari avait été mis en demeure par le réseau de partir avec eux pour l'Angleterre où il resta plusieurs mois.

Moi, depuis le matin, j'étais dans un grenier de ferme à 6 km de là avec ma fille. Notre chef François et une jeune fille du réseau, Marie-Thérèse Le Calvez y étaient déjà cachés avec les 2 Canadiens : Léon et le radio qui correspondait avec Londres, Claude La Brosse. Dans ce grenier, s'entassaient armes, munitions et vivres qui nous arrivaient d'Angleterre par la corvette et par parachutages. J'y restais 12 jours, puis un fermier me conduisit dans une famille près de Guingamp.

Ma fille fut considérée comme la plus jeune maquisarde de France.

20052205481NUCB : Collection particulière

20052205518NUCB : Archives départementales des Côtes-d'Armor, 3 Bi 565.

20052205541NUCB : Conseil général des Côtes-d'Armor. Service des Espaces Naturels

20052205474NUCB : Collection particulière

20052205475NUCB : Collection particulière

20052205477NUCB : Collection particulière

20052205479NUCB : Collection particulière

20052205480NUCB : Collection particulière

20052205510NUCB : Collection particulière

20052205502NUCB : Collection particulière