Par son souci de composition quadrangulaire et la volonté de conserver ses parties anciennes héritées du Moyen Age, le manoir de Guernanchanay traduit dans la pierre la richesse et le prestige de ses commanditaires. Il est le siège de la seigneurie figurée par la résidence seigneuriale mais aussi le siège d'une vaste exploitation agricole dont la puissance s'exprime dans les dimensions exceptionnelles de la grange. Lors de la construction de l'actuel logis dans le dernier quart du 16e siècle, il préexiste déjà une résidence seigneuriale située dans l'axe du portail. Sur le cadastre de 1835 figure ainsi le manoir primitif - ruiné - fermant la cour face à l´entrée monumentale. Le manoir de Guernanchanay est typique de l´architecture civile du Trégor de la fin du 16e siècle et du début du 17e siècle qui hésite encore entre modernité, archaïsme et sécurité.
Modernité dans l'ornementation du portail qui utilise le répertoire de la Renaissance classique : fronton triangulaire et colonnes cannelées à chapiteau corinthien mais respect strict du principe de la porte charretière et de la porte piétonne.
Archaïsme, car contrairement à toute attente, le pavillon central d'escalier abrite non pas un escalier rampe sur rampe moderne mais un escalier en vis hérité du manoir gothique. Reste la question des six arcades ouvertes sur la cour qui supportent et mettent en scène la salle de l'étage faisant "galerie haute". Certains indices permettent aujourd'hui de penser que le manoir de Guernanchanay est resté inachevé : était-il prévu une liaison entre le nouveau et l'ancien manoir où est-ce que le nouveau manoir devait remplacer l'ancien ? Et si le logis actuel était en réalité l´aile de communs sur arcades d'un projet resté inachevé ?
Sécurité enfin, exprimée dans la composition du portail qui est doté de deux puissantes guérites. Cette entrée monumentale renvoie au logis-porte du manoir de Barac´h en Louannec. A une époque troublée - la fin du 16e siècle - et dans le contexte des Guerres de la Ligue où coups de main et pillages sont encore nombreux dans les campagnes et sur les côtes, le plan de feu élaboré du manoir de Guernanchanay permet une défense rapprochée et efficace à l'aide d´armes à feu portatives de type arquebuse ou mousquet (d'une portée inférieure ou égale à 50 mètres). Reste la question de la garnison, de son équipement et de son approvisionnement en poudre.
Le manoir de Guernanchanay est malheureusement aujourd'hui désaffecté. Son état sanitaire est alarmant. Un programme de restauration couplé à une mise en valeur archéologique des vestiges de l'ancien logis permettrait de mettre en valeur cet édifice remarquable à l'échelle de la Bretagne.
Guillaume Lécuillier, 2016.
Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.