Le projet
Attentive au respect de l’histoire du territoire, l’association Océanide réalise, en partenariat avec la Région Bretagne, un recensement des toitures couvertes de tuiles anglaises, importées du port de Bridgwater (Somerset, Angleterre) pendant un siècle, de 1840 et 1940, et qui donne lieu à une particularité de l’architecture vernaculaire spécifique au Trégor littoral. L’étude se base sur un relevé systématique des toitures de 78 communes sélectionnées grâce à l’étude menée dans les années 1980 par Michael Batt et Gwyn Meirion-Jones qui donna par la suite naissance à des articles de presse, entretiens et autres recherches sur lesquelles nous nous sommes aussi appuyées.
L’étude menée par Océanide consiste à compiler les données acquises sur le terrain de façon à pouvoir, d’une part en dresser une cartographie exhaustive dans la limite du territoire choisi, et d’autre part effectuer des recherches des deux côtés de la Manche pour retracer l’histoire de ces tuiles importées par les marins trégorrois, l’évolution des marques de fabrique, les données provenant des archives, les adaptations nécessaires pour passer du chaume à la tuile etc.
La méthodologie du recensement
Un recensement sommaire des couvertures en tuiles anglaises présentes dans le Trégor-Goëlo avait déjà été effectué dans les années 1980 par Michael Batt et Gwyn Meirion-Jones. Leur mode opératoire consistait à noter un carré de 5 km de côté sur une carte dès qu’une toiture avait été recensée. Ceci permettait d’avancer rapidement dans la couverture du territoire et de délimiter les zones où l’on pouvait trouver ces toitures en tuiles de Bridgwater.
Quarante ans plus tard, et donc après la disparition de nombreuses toitures en tuiles, l’association Océanide, consciente de l’intérêt historique et architectural que la présence de ces toitures représente au niveau du patrimoine maritime et à celui des relations commerciales entre la petite Bretagne et la grande, relance un inventaire beaucoup plus précis.
Après avoir été formés à l’outil informatique de recensement de la Région Bretagne et à la reconnaissance in situ des tuiles de Bridgwater, les recenseurs, membres d’Océanide ou d’associations amies férues d’histoire locale, se sont répartis les communes sur lesquelles ils vont opérer et ont choisi leur moyen d’action : certains commencent par un relevé de toitures rouges notées sur Géoportail, Street View... et vont ensuite sur le terrain vérifier s’il s’agit bien de toitures en tuiles anglaises. D’autres s’arment d’un plan détaillé de la commune et en arpentent toutes les rues, routes et chemins à la recherche de ces toitures. Une fois les photographies prises et les adresses relevées, les recenseurs établissent eux-mêmes les notices sur l’application de recensement de la Région Bretagne ou passent leurs trouvailles à un membre de l'association Océanide qui s’en charge. Cette souplesse permet de faire participer plusieurs dizaines de personnes avec un minimum de contraintes, alors que le noyau central du projet ne comporte qu’une demi-douzaine de personnes.
L’association initiatrice
Océanide est une association dédiée au patrimoine maritime dont le conseil d’administration est composé de férus d'histoire maritime locale dont les connaissances se complètent et provoquent une synergie qui la pousse à œuvrer dans de multiples directions : recherches en archives, publication de livres et articles de presse, conférences sur des sujets variés, expositions de photos anciennes qui voyagent à travers la Bretagne et jusqu’à Cardiff, capitale du Pays de Galles, aide aux associations qui nous contactent (par exemple pour retrouver l'historique d'épaves), balades patrimoniales locales et échanges avec les collectivités locales.
Pourquoi trouve-t-on des tuiles d’origine anglaise en Trégor ?
Au 19e siècle et jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, les voiliers-caboteurs de Tréguier, Lannion, Perros-Guirec, Paimpol... traversaient régulièrement la Manche pour rejoindre Swansea, Cardiff ou Berry, avec un chargement de poteaux de mines ou de légumes et revenaient au pays avec du charbon. Les études précédentes supposent qu’ayant eu vent de manufactures de tuiles alors qu’ils déchargeaient à Swansea, Barry ou Cardiff, les capitaines décidèrent de faire la courte traversée du chenal de Bristol pour aller y chercher des tuiles lorsque le fret de retour (charbon) était moins recherché en Bretagne à certaines époques de l’année, par exemple en été où la demande domestique s’effondrait.
Petite histoire des tuiles
A la chute de l’empire romain, les procédés de couverture de toiture en tuiles se perdent au profit du chaume (dans les campagnes) ou des bardeaux de bois (surtout dans les zones montagnardes). Suite à de nombreux incendies les compagnies d’assurance encouragent les propriétaires à privilégier les toitures "en dur", tuiles ou ardoises (zinc à Paris sous l’influence du Baron Hausmann).
Les tuiles de Bridgwater présentent la particularité d’être fabriquées à la main. Certes des machines seront employées au cours des décennies pour extraire l’argile et l’assouplir, mais le travail final reste un travail manuel effectué dans des moules en bois de plus en plus perfectionnés. Ceci contraste fortement avec la production de tuiles françaises de Villequier, Argence et Saint-Ilan notamment, très nombreuses sur le même territoire mais qui proviennent d’une production mécanique.
L’utilisation de la tuile dans le Trégor-Goëlo a fortement augmenté après l’invention du système d’emboîtement qui permet de les fixer (avec ou sans clou selon les années) les unes aux autres et de garantir l’étanchéité de la toiture. Souvent l’adaptation du chaume aux tuiles a nécessité une modification ponctuelle de la charpente et/ou des murs qui soutiennent la toiture.
Les finalités de cette opération
L'Association Océanide souhaite :
- Informer la population de ce commerce trans-Manche, certes pourvoyeur de tuiles bon marché mais qui englobait aussi des transactions plus rentables tels que les poteaux de mines et les légumes primeurs. A cet égard, elle organise régulièrement des conférences, expositions, balades patrimoniales et autres sur tel ou tel aspect de ces importations/exportations.
- Promouvoir les échanges de tuiles entre les propriétaires qui en ont en stock (suite par exemple, à la démolition d’une dépendance) et ceux qui en recherchent pour réparer une toiture existante qu’ils hésitent à renouveler entièrement en raison des frais impliqués. Cette bourse aux tuiles anglaises intéresse également les couvreurs locaux qui recherchent des tuiles anglaises ou veulent échanger celles qu’ils possèdent contre celles d’une autre manufacture anglaise de façon à faciliter la pose.
- S’assurer que cet héritage perdure le plus longtemps possible en attirant l’attention des autorités publiques sur le fait que la tuile fait partie du paysage trégorrois, afin que les permis de rénovation ne soient pas refusés sous prétexte que la Bretagne est le pays de l’ardoise.
Il ne s’agit pas de figer la tuile dans le paysage du Trégor mais de lui reconnaître la place qui lui est due et, à l’occasion, de faire hommage à ces marins de commerce qui ont introduit cette tache rouge dans nos paysages littoraux.