"L'entrée en guerre de la France contre l'Angleterre à la fin du 17e siècle provoque une intense activité de fortifications le long du littoral français et surtout breton. Vauban et les autres ingénieurs vont parcourir la côte et y installer, selon les nécessités des nouvelles batteries et des corps de garde. Dans la baie de Morlaix, le système défensif repose principalement sur le château du Taureau. Toutes les batteries et corps de garde établis au 17e siècle sont répartis sur la côte de part et d'autre du château. Les édifices militaires vont s'élever sur 6 emplacements, servant déjà de points stratégiques aux époques antérieures. Au cours du 18e siècle ils vont être modifiés quelque peu dans leur aspect et leur position. Primel, Térénez (ou Barnénez), l'île Callot, la presqu'île Sainte-Anne, Roscoff et l'île de Batz regroupent l'essentiel des ouvrages.
La position avancée de la pointe de Primel est un avantage certain. Le château disparaît en 1616 mais de nouvelles élévations apparaissent par la suite. Un corps de garde est construit sur le rocher à la fin du 17e siècle. En 1701, un état de la capitainerie comprise entre les rivières de Morlaix et celle de Lannion prouve la présence, depuis au moins 1692, d'un corps de garde à Primel (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : C 3670). En 1716, un nouvel état fournit d'autres précisions : il est situé sur une pointe de rocher dite le château de Primel (Archives du Génie, Article 4, Section 2, Paragraphe 3, carton 1, mémoire de 1716 sur l'état des corps de garde depuis Morlaix jusqu'à Pontorson). Dans un mémoire daté de 1775, il est fait mention du rocher, séparé de la côte par une douve, sur lequel l'on trouve des vestiges d'un petit bâtiment qui était sans doute le corps de garde et la poudrière de ceux qui servaient la batterie qui était pratiquée sur le plus élevé de cette pointe (Service historique de l'armée de terre, MR 1092). L'accès difficile du rocher oblige sans doute les garde-côtes à transporter très tôt le corps de garde sur la butte et la batterie entre la butte et le rocher. Cette dernière avec celle de Térénez deviennent probablement inopérantes car en 1734, on nie leur présence et une carte de la même époque, fort imprécise et mal dessinée, indique une seule batterie sur cette partie à Perrohen sur la pointe de Barnenez (Cf. plan de la capitainerie de Morlaix en 1734, Bibliothèque nationale, département des cartes et plans, portefeuille 41, pièce 12/14, planche XIV) ; cette carte montre le corps de garde de Primel espacé de la côte, faisant supposer qu'il se trouve toujours sur le rocher. Toutefois, en 1744 lors de sa reconstruction (sur la butte), il est bien rebâti sur ses fondations et ses vestiges. Pendant la guerre de Succession d'Autriche opposant notamment la France à la Grande-Bretagne les installations vont être renforcées.
A Primel, la batterie est totalement reconstruite. Elle est à barbette (sans embrasures), dirigée sur l'anse du Diben. Elle fait 2 pieds de haut sur 12 d'épaisseur avec une pente inclinée d'un pied vers l'extérieur entre le parapet intérieur et le parapet extérieur qui sont façonnés tous deux en maçonnerie de moellons (Archives du Génie, Article 4, Section 2, Paragraphe 2, carton 1, devis et conditions pour le rétablissement des batteries de Térénez et Primel en 1745, Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : C 1052). Contrairement à Térénez, la plate-forme n'est construite que sur la partie sud de la batterie. Le parapet extérieur a été remplacé par un talus de terre qui est toujours visible, servant à amortir le choc des boulets. Les retranchements creusés de part et d'autre de la batterie persistent également sous forme de traces.
Le corps de garde installé sur la butte surplombe la pointe. La cheminée a disparu ainsi que la guérite qui semblait être élevée plus en avant sur la butte ; le reste est à peu près intact. Le bâtiment, entièrement réaménagé en 1744, fait 12 pieds de large sur 18 pieds de long. Il est conçu pour une dizaine de miliciens composée de 3 ou 4 hommes de garde, de canonniers et de servants. Il est voûté en plein cintre et aménagé d'un magasin à poudre à l'arrière du bâtiments (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : C 1146. Etat estimatif en 1744 des réparations et réédifications à faire aux corps de garde des capitaineries de Lannion et Morlaix. Lettre du 15 août 1744 du chevalier de Lescouët à l'Intendant rapportant la demande de Daumesnil, subdélégué à Morlaix, de construire un corps de garde neuf comme celui de Pleubihan, cf. Planche XXIV). Aucune trace de l'escalier ni de la tourelle ne subsistent mais le magasin à poudre et le reste du bâtiment sont identiques au plan.
Deux batteries semblent avoir été élevées de part et d'autre de l'anse de Térénez ; en 1744, le chevalier de Lescouët précise qu'il existe des vestiges d'une batterie à Térénez et une autre en face sur la pointe de Barnénez à Perrohan (Archives du Génie, Article 4, Section 2, Paragraphe 3, carton 1, état des batteries le 21 juin 1744). Toutes deux sont percées d'embrasures. En 1745, la batterie de Térénez est reconstruite entièrement suivant les plans de l'ingénieur de Combles. Elle est élevée dans le même matériau que celui de Primel mais la plate-forme est formée parallèlement au parapet intérieur de 12 pieds de large avec une dénivellation sur le parapet de 8 pouces pour le recul du canon.
Avec la reprise des hostilités pendant la guerre de Sept-Ans, les ingénieurs militaires comprennent qu'une batterie sur la pointe de Tréhouant (actuelle pointe de Saint-Samson) et sur celle de Primel sur le rocher serait plus judicieux (Archives nationales, Marine, G 154, Etat des milices garde-côtes de Bretagne suivant les extraits de revues faites en 1755). Les travaux n'auront pas lieu à Primel, par contre, une nouvelle batterie est installée en 1756 à Saint-Samson et un corps de garde est construit sur la pointe de Port-Blanc au Diben (Archives nationales, Marine, D/2/22, Saint-Malo : 1610-1783).
Celui-ci est installé sur l'actuelle pointe Annalouesten, près de la plage de Port-Blanc. Ce petit bâtiment de 6 pieds sur 12 est destiné à recevoir 4 hommes pour le service de guet ; le coût de la construction est fort modeste : 624 livres (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : C 4708, Etat des corps de garde et guérites à construire, le 3 juillet 1756). Les canonniers de Saint-Samson sont hébergés en temps de guerre dans une maison affermée au lieu-dit An Dour (Archives nationales, Marine, D/2/22).
A Barnénez, le corps de garde en place dès la fin du XVIIème siècle, est un bâtiment voûté de 16 pieds sur 10 qui semble être bien entretenu par les habitants jusqu'en 1770. Les rapports d'inspection en 1716 et 1744 affirment le bon état de la maison mais en 1774 ce n'est plus qu'un vieux corps de garde qui tombe en ruine (Service historique de l'armée de terre, MR 1092). Il a le même aspect que celui de Primel, même si la batterie de Perrohen n'est plus utilisée. Le corps de garde de Barnenez est le dernier élément de défense de ce côté de la baie. Le château du Taureau sert de liaison entre les deux capitaineries.
L'île Callot étant l'endroit le plus avancé au centre de la baie, avec la construction du château du Taureau, il est plus judicieux de placer un corps de garde, autrefois installé à Penn-al-lann en Carantec, au Nord de l'île. Un premier état fait mention d'un corps de garde et d'une batterie dès 1692. La batterie est à barbette, son parapet intérieur et sa plate-forme sont en pierre de taille. Elle est de forme arrondie et a été dégagée des broussailles il y quelques années. Le corps de garde se situe dans un renfoncement. Ne pouvant loger que 4 ou 5 hommes, l'officier s'installe chez le curé et les canonniers dans une grange (Archives du Génie, Article 4, Section 2, Paragraphe 3, carton 2, batteries et château forts de la côte entre les rivières de Quimper et de Morlaix, 1781). Sa toiture est en charpente et un dépôt de poudre a été aménagé dans la maçonnerie, trop près de la cheminée car les miliciens ne l'entreposent plus dans ce renfoncement dans le crainte de la voir exploser (Archives nationales, Marine, G 158). Les fondations sont toujours visibles mais sont enfouies dans la végétation.
En 1744, il est proposé d'établir un corps de garde voûté d'observation à Carantec et un autre à Kerlaudy près de la Penzé pour un coût de 1544 livres. L'ensemble des réparations dans la capitainerie est confié à l'entrepreneur morlaisien Poterel (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : C 1146, état estimatif du 8 juin 1744). Il ne construit que celui de Kerlaudy qui devient inutile 4 ans après (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : C 4708, état des corps de garde en 1748).
Sur l'îlot Saint-Anne des ouvrages vont être aménagés dès le Moyen-Age pour défendre le port de Pempoul. Avec l'envasement progressif de ce havre et le transfert des activités maritimes vers Roscoff et Morlaix, il ne présente plus d'intérêt, néanmoins une batterie et un corps de garde vont être disposés à la fin du XVIIème siècle pour défendre la partie Ouest de la baie et croiser le feu avec l'île Callot. Cheval affirme qu'au milieu du XVIème siècle l'îlot reçoit trois canons en casemates (CHEVAL, Paul. "Les baies de Morlaix et leur défense". Baie de Morlaix vie et traditions maritimes, Hiver 1988/89, n° 2, p. 11). N'ayant aucune autre source pour le confirmer, il est préférable d'admettre qu'il existe en 1692 une batterie divisée en deux partie sur la largeur de l'îlot dont les trois canons sont pointés au Nord et au Sud. A côté, une petite maison sert, au début du 18e siècle, de poudrière.
Le corps de garde est à un quart de lieue de la batterie sur une hauteur à l'Est de Saint-Pol-de-Léon appelé le Champ de la Rive.
Après la fin de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, l'îlot Sainte-Anne est déserté. En 1734 (Archives nationales, Marine, C/4/169) et en 1739 (Archives départementales du Finistère : 1 E 613/3, Fonds Prigent de la Portenoire, major de la capitainerie garde-côtes de Saint-Pol-de-Léon) lors des états des batteries et corps de garde, ceux de l'îlot ne sont plus mentionnés mais vers 1742-1744 le site est réactivé, les parapets et les plate-formes des deux petites batteries sont reconstruites, un nouveau corps de garde voûté est élevé au Champ de la Rive (de 21 pieds de long sur 19 de large) (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : C 1146. Archives du Génie, Article 4, Section 2, Paragraphe 3, carton 1).
A Roscoff, les travaux sont importants ; deux batteries sont aménagées en 1694, dont le fort de Bloscon. Vauban lui-même signe et corrige les plans et devis ; il confie la conduite des ouvrages à Poictevin le Jeune de la Renaudière (Archives du Génie, Article 8, Roscoff, Places abandonnées, 1694, lettre du 30 novembre 1694. Cf. Plans du fort de Bloscon, planche XXV). Une grosse batterie y est construite. Fermée par un pont-levis, des embrasures et plate-formes permettent de rendre 13 canons opérationnels. Au centre, des bâtiments voûtés comportent des magasins (à vivres et à poudre), un hangar, un corps de garde et des logements pour les officiers.
Mis à part le château du Taureau, il est l'édifice le plus important de la défense côtière de la baie et le centre de commandement de la capitainerie. Toutefois les fortifications ne ressemblent en rien à celle du château du Taureau ; il y en a peu et elles sont plutôt du même type que les autres batteries. En 1807, le général Marescof affirme d'ailleurs que Vauban fit construire ce petit fort en terre (Archives du Génie, Article 8, Ile de Batz, Places abandonnées, section 1). Aujourd'hui, les viviers ont remplacé ce fortin qui continuera à recevoir des aménagements durant le 19e siècle.
L'autre batterie, appelée fort de la Croix, se situe à l'emplacement actuel de la station de biologie, près de l'église de Roscoff. Faite entièrement en maçonnerie, elle est construite à même le rocher avec une petite poudrière. Une batterie d'un canon est également installée au port, au début de la jetée qui s'étend jusqu'au rocher le Grand Quelen (2 emplacements possibles sont encore visibles).
Enfin, à l'île de Batz vers 1694, un corps de garde est élevée au centre du bourg (sans doute à l'emplacement de l'actuel sémaphore). En 1711, un état des batteries, envoyé au gouverneur de la Bretagne, mentionne 2 batteries (Archives municipales de Roscoff, Annales roscovites, tome 1, p. 178. Cf. Plan sans date (1er moitié du 18e siècle) au graphisme incertain, mais positionnant les différentes batteries et corps de garde, Planche XVI), l'une à la pointe extrême du sud-ouest et l'autre de un canon, au sud près du bourg.
En 1734, la batterie du sud disparaît au profit d'une autre aménagée au sud-est à Penn-ar-C'hléguer (Archives nationales, Marine, C/4/169, en 1739, la batterie près du bourg est toujours mentionnée. Archives départementales du Finistère : 1 E 613/3). Elle est en demi cercle de 8 toises de diamètre à barbette et 4 plate-formes sont construites en pierre pour recevoir les pièces ; un magasin à poudre se trouve à 37 mètres au nord-est.
La batterie de l'ouest ne possède pas de plate-forme pour tous les canons. Des travaux sont effectués à partir de 1756 pour rehausser l'arrière de la batterie car lors de la guerre de Succession d'Autriche les canonniers, tirant sur un corsaire ennemi, ont vu un des canons, par l'effet du recul, sortir de sa plate-forme et dévaler la pente située derrière (Archives nationales, Marine, G 158, état des batteries de la capitainerie de Saint-Pol-de-Léon le 27 février 1756). Un corps de garde de 24 pieds sur 14 est construit un peu plus au nord en 1744 pour 1333 livres (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : C 1146, cf. Plan du corps de garde et du magasin à poudre dessiné par l'ingénieur Dumains le 8 juin 1744, planche XXVI).
En 1780, deux batteries sont élevées : celle de la pointe de Beg Séach à l'ouest, divisée en deux et revêtue de maçonnerie, possède une petite poudrière et une guérite (Archives du Génie, Article 4, Section 2, Paragraphe 3, carton 2).
Entre la pointe Beg Séac'h et la batterie à l'extrême sud-est un nouveau corps de garde voûté est construit, l'ancien est reconverti en une grande poudrière pour servir de magasin général à toute l'île.
Celle du Bilvidic au nord-ouest et le corps de garde sont établi sur le terrain du séminaire de Saint-Pol-de-Léon (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine : C 1053, Etat militaire, île de Batz : 1705-1783). Les deux batteries de l'ouest sont dépourvues de poudrières et le nouveau corps de garde est situé à mi-distance des deux, à la Grande Roche.
[...] Que reste-il aujourd'hui de ces anciennes fortifications ? Sur l'île de Batz, le corps de garde à l'ouest est encore en place mais les deux batteries au nord ont été rasées pour laisser place à des ouvrages de défense allemande. Au Sud les deux batteries ont été renforcées sous le Second Empire notamment au sud-ouest. Seule la batterie du sud-est est encore visible malgré la végétation.
A Roscoff, il ne reste rien, le fort La Croix a laissé la place à l'institut biologique et le fort de Bloscon croule sous des mètres cubes de béton allemand. Seules quelques fondations datant du 19e siècle sont encore visibles. Sur l'îlot Sainte-Anne, la batterie déclassée dès le premier Empire n'existe plus, il reste quelques traces de tourelles de la seconde guerre mondiale. A l'île Callot, les bâtiments se sont écroulés (corps de garde, guérite et magasin à poudre) mais les emplacements sont visibles. La batterie par contre restaurée depuis peu, est de ce fait assez bien conservée.
De l'autre côté de la rade, les blockhaus ont remplacé les ouvrages antérieurs à Térénez et à Saint-Samson.
Sur le rocher de Primel, le corps de garde est quasiment intact, excepté la cheminée, un petit magasin à poudre y est accolé et si la guérite a disparu, la batterie en contre-bas est toujours en place. En face le corps de garde du Port-Blanc a malheureusement disparu".
Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.