SYNTHESE DE L'ETUDE
Evolution de la conception de la restauration : du collage à l´homogénéité du projet architectural
Au début du 19e siècle, l´intervention des architectes sur les édifices anciens tient plus du geste architectural que d´une prise en compte globale du projet. Le doublement du corps de logis du château de la Chapelle-Chaussée, remarquable édifice de la fin du 16e siècle (inscrit M.H.), par Louis Richelot en 1834 est significatif : le nouveau corps de logis est un collage de style néoclassique qui arrive mal à tenir compte de l´édifice existant. Ce type d´intervention persiste jusque dans les années 1850 comme par exemple au Bois de la Roche en Coadout où un corps de logis est accolé au donjon féodal ; l´édifice moderne, cantonné de tourelles et surmonté d´une terrasse crénelée, appartient à un répertoire médiéval de fantaisie et sera transformé au début du 20e siècle dans le goût des manoirs bretons du 15e siècle.
Les restaurations néogothiques
De nombreux exemples attestent d´une volonté d´effacer le caractère rural et vernaculaire de l´architecture des anciens manoirs afin de leur offrir un nouveau statut, celui de véritable château. L´agrandissement s´accompagne souvent de la destruction ou de la transformation des dépendances situées à proximité du logis pour les reconstruire à l´écart de ce dernier, de l´aménagement d´un espace libre autour du corps de logis avec la plantation d´un parc permettant sa mise en scène. L´édifice d´origine est transformé de manière plus ou moins importante suivant l´archétype du château féodal hérissé de tours. Depuis la simple adjonction de tours symétriques encadrant un corps de logis existant comme aux châteaux de Kergoaler à Scaër ou du Hardouin à Augan, au collage d´un corps de bâtiment crénelé comme à Poulguinan à Quimper, jusqu´aux agrandissements monumentaux englobant totalement le noyau ancien, les variations sont nombreuses. Elles souffrent bien souvent d´un manque d´homogénéité lorsque le collage ne s´accompagne pas d´un rhabillage d´ensemble. Ainsi, encore en 1855, au château de Crévy (inscrit M.H., la Chapelle-Caro), Jacques Mellet ajoute deux tours circulaires à un corps de logis datant du 17e siècle, en pendant à une tour médiévale ; le couronnement des lucarnes de pinacles, dans un toit brisé, ne permet pas l´unification de l´ensemble des bâtiments.
Tandis que les logis de style classique sont castellisés, les manoirs gothiques sont remaniés dans un esprit d´ordonnancement étranger à leur style d´origine et deviennent des édifices éclectiques emprunts d´un souci de symétrie qui n´échappent guère à une certaine sécheresse. Ainsi, à Kernuz, l´architecte Joseph Bigot réalise de 1843 à 1847 sa première restauration importante ; l´agrandissement du manoir s´accompagne d´une reprise générale des percements d´où sont supprimées toutes les différences de niveaux et de modules au profit d´une composition axée et régulière accentuée par la multiplication de baies jumelées au premier étage et l´ajout de lucarnes.
Les réalisations les plus intéressantes sont données, à partir des années 1850, par des architectes spécialisés dans ce type de programme grâce à des liens personnels étroits avec la clientèle aristocratique. Comme son confrère René Hodé en Anjou, l´architecte rennais Jacques Mellet va savoir répondre avec justesse aux demandes de ses commanditaires sans pourtant éviter la répétition dans les solutions proposées. Lors de la transformation du château de Trédion (1854), il englobe le manoir du 15e siècle d´un ensemble de constructions neuves, le flanque de tours et de tourelles et en modifie les façades dans un style homogène inspiré de l´architecture gothique tardive. La qualité de l´oeuvre tient au respect du caractère du logis ancien grâce à la conservation de "l´épiderme, de la nature du décor, [des] principaux rythmes". Cette restauration "appartient à la mentalité traditionnelle du château, liée à la sensibilité pittoresque du romantisme".
Les mêmes formules, ajout de tours circulaires et échauguettes sur les angles, plaquage d´un corps en pavillon encadré de tours à la manière d´un châtelet sur les façades, encadrement des baies et transformation des lucarnes sont mises en oeuvre lors du rhabillage du manoir de Kerthomas en Sarzeau. Le corps de logis du 18e siècle, débarrassé de ses ailes de communs, est transformé en un petit château dans le style de la fin du 15e siècle de 1855 à 1859.
Le rhabillage et l´agrandissement du château du Pérennou en Plomelin peut être daté de la même période. Cette réalisation originale, de style gothique perpendiculaire anglais, s´accompagne d´un remodelage complet de l´environnement avec, en particulier, la création d´un parc paysager par Eugène Bülher. Il est permis d´y voir l´ouvrage d´un architecte talentueux, peut-être étranger à la région, comme au château de Keruzoret en Plouvorn, dont la restauration est confiée en 1865 à l´architecte parisien Henri Parent. Cette réalisation majeure (et bien documentée) illustre à la fois le phénomène de réinvestissement foncier opéré par la noblesse à cette époque et la principale finalité des agrandissements, l´aménagement de vastes espaces de réception et de pièces devenues indispensables à la vie châtelaine comme la bibliothèque, la salle de billard ou le fumoir. L´originalité de Kéruzoret, servi par un édifice du début du 16e siècle remarquable, réside dans le respect du caractère et des proportions de l'ancien manoir, notamment par la conservation de la composition autour d´une cour d´honneur. Le programme se plie néanmoins aux usages modernes puisque les dépendances sont reconstruites à l´écart du logis.
Bien qu'elles ne soient pas spécifiquement datées, les transformations néogothiques des châteaux de Kervéatoux en Plouarzel, de Quellenec en Saint-Gilles-Vieux-Marché, du manoir de la Chesnardière à Parigné, de Lannidy en Plouigneau ou encore la reconstruction partielle du château de Beaumont en Guitté font partie de ce corpus d'édifices réalisés dans les années 1860-1880. L'agrandissement et le rhabillage de ces édifices sont emprunts, sinon d'un souci archéologique, du moins d'une réelle volonté d'homogénéité d'ensemble. Ils illustrent, à différentes échelles, le phénomène fréquent dans la région, de castellisation des manoirs féodaux.
Ainsi, peu avant 1860, grâce au travail d'architectes réceptifs aux réflexions touchant aux problématiques de restauration impulsées sous Louis-Philippe par le milieu intellectuel parisien, la conception du remaniement d'édifices anciens évolue vers une recherche d'unification stylistique entre les parties anciennes et modernes et voit disparaître le collage architectural des réalisations les plus ambitieuses. Celui-ci reste néanmoins employé lors des très nombreux agrandissements par adjonction d'un corps de bâtiment en particulier.
Si quelques importantes rénovations de la période sont d'ores et déjà protégées au titre des Monuments Historiques, leur protection précoce n'a parfois considéré que l'intérêt de l'édifice d'origine ou n'a pas toujours été révisée en fonction de l'évolution du regard porté sur les ensembles du 19e siècle. Ainsi, le château de Bonnefontaine inscrit M.H. en 1943, a été l'objet d'une restauration intéressante menée par l'architecte Jean-Baptiste Martenot en 1860 ; réalisée en harmonie avec l'édifice du 15e siècle, cette dernière comprend également un programme caractéristique du 19e siècle (réaménagement et décor intérieur, parc et dépendances). Le château de Kériolet (Concarneau), dont les campagnes de travaux échelonnées de 1866 à 1884 comprennent la restauration et l'agrandissement de l'ancien manoir, la réalisation de nombreuses dépendances et la construction du grand hall, est une fantaisie néogothique unique à l'échelle régionale. Sa protection en 1984 (I.S.M.H. sur les façades et toitures et la salle de garde) compte parmi les premières sur ce type d'édifice mais mériterait au moins de s'étendre à l'ensemble. En revanche, au Bois Cornillé en Val-d'Izé, une première protection (1988) a été étendue à l'ensemble de la réalisation en 1992 ; cette intervention, conduite par le cabinet Mellet, est vraisemblablement plus tardive et a permis l'unification stylistique d'un édifice composite et la mise au goût du jour de son environnement (parc paysager, jardin régulier).
L´attirance de la majesté classique
L´observation des modes de transformation des manoirs et petits châteaux bretons laisse percevoir une deuxième grande tendance. La restauration d´édifices anciens tourne partiellement le dos, surtout à partir de 1880, à la mode pittoresque de l´architecture néogothique pour rechercher la grandeur et la sobriété de l´architecture classique. Il faut cependant signaler que ce type d´agrandissement est beaucoup plus fréquent en Ille-et-Vilaine et en Morbihan qu´en Côtes-d´Armor, et pour ainsi dire absent du Finistère. Cela tient sans doute en partie à la nature des édifices anciens, les manoirs et châteaux des 17e et 18e siècles étant vraisemblablement plus nombreux dans ces deux premiers départements, mais peut-être également à un attachement particulier, voire un certain conservatisme, pour l´architecture gothique dans le dernier.
Les principes d´aménagement de l´environnement paysager de l´édifice restent identiques à ceux observés auparavant (éloignement des communs, dégagement du logis, parc paysager). Lentement les abords du bâtiment sont, notamment à la fin du siècle, de plus en plus organisés selon un axe de symétrie, de petites compositions de jardins réguliers à la française venant occuper le parterre du château.
De nombreux agrandissements d´édifices classiques consistent en l´ajout d´un corps de bâtiment de même style, généralement un pavillon, à l´une des extrémités, comme aux châteaux de Kerduel en Pleumeur-Bodou, de la Vairie en Lanvallay, de Toulhouët à La Vraie-Croix, de Boro à Saint-Vincent-sur-Oust, de la Ville-Voisin en Augan, de Monvoisin au Rheu ou de Bois-Geoffroy en Saint-Médard-sur-Ille.
Au Bois Bide en Pocé-les-Bois, l'architecte angevin Auguste Beignet réalise, à partir de 1883, l´agrandissement et le rhabillage d´un manoir du 17e siècle. Les campagnes de travaux s´échelonnent jusqu´en 1930 et comprennent la construction d´un grand pavillon au nord du logis, la transformation du corps de bâtiment existant et enfin, la construction d´un grand salon surmonté d´une chapelle au sud. L´édifice prend les dimensions d´un vaste château inspiré par l´architecture de style Louis XIII tandis que le site est totalement remodelé : les communs et les parties agricoles sont déplacés et reconstruits, un parc et un jardin sont tracés et placent le château au centre d´un dispositif paysager symbolisant le pouvoir du châtelain.
Dans les réalisations les plus intéressantes, cette transformation en château passe bien souvent par la recherche de symétrie. Celle-ci est opérée grâce à la construction de pavillons symétriques comme à la Ville-Chaperon à Hénon, l´accentuation de la travée centrale comme au château du Quengo en Irodouër et l´ordonnancement régulier des travées. Elle amène également au doublement du corps de logis au delà d´un axe fourni par une tour d´escalier par exemple, ou au niveau des bâtiments de dépendances. Ce type de transformation trouve un exemple remarquable dans les travaux réalisés par l´architecte Arthur Regnault à la Villeder au Roc-Saint-André entre 1890 et 1893. Avec l'aménagement de la moitié sud du corps principal jusque là occupé par des dépendances, la monumentalisation symétrique de la façade principale (ajout de frontons, de lucarnes, de pavillons) et le remodelage des abords grâce à la plantation d´un jardin à la française dans la cour d´honneur, l´édifice acquiert les dimensions d´un vaste château classique.
S´il est permis de douter de la datation de la restauration du château de la Motte-Olivet en Pleslin-Trigavou, attribuée à Jacques Mellet mais peut-être plus probablement l´oeuvre de son fils Henri, cet exemple d'agrandissement avec reconstruction d'un édifice du 17e siècle demeure intéressante. Le style d'origine est très scrupuleusement respecté, les nouvelles élévations affichent une extrême simplicité et s´accordent harmonieusement avec les bâtiments existants. Un parterre rectangulaire encadré d´allées symétriques tracées peu après 1900 offre un dégagement à l´édifice.
Edifice atypique et parfaitement original, le château de Bothané en Guidel doit également être cité parmi les exemples de transformation visant à retrouver la grandeur de l´architecture classique. Manifestation fantaisiste du style Louis-XIII, ce château procède de l´agrandissement puis du rhabillage, en 1913, d´une construction existante. La brique, utilisée en un fort contraste sur des maçonneries enduites, quadrille l´édifice, en souligne les rythmes et en constitue le décor. Curieuse tentation évoquant le retour à l´ordre des années 20, ce bâtiment témoigne de la liberté de la création architecturale au début du 20e siècle.
Pittoresque, rationalisme et régionalisme
Les restaurations de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle renouvellent la composante pittoresque qui avait marqué l'architecture romantique sous la Restauration. Celle-ci ne trouve alors plus ses sources dans l'image du château féodal mais est, tantôt sous-tendue par le courant rationaliste, tantôt imprégnée du caractère de l'architecture vernaculaire et réhabilite le manoir breton comme modèle.
Tandis que la production de l'architecte angevin Auguste Beignet est plus fortement marquée par le vocabulaire rationaliste, celles des rennais Frédéric Jobbé-Duval et Henri Mellet s'inspirent de l'architecture classique des châteaux et manoirs bretons. Se situant à la charnière de cette évolution, elles révèlent un aspect méconnu du courant régionaliste, généralement associé à l'architecture de la maison ou de la villa.
Deux des trois réalisations bretonnes d'Auguste Beignet illustrent bien les mutations stylistiques qui s'opèrent à la fin du 19e siècle. A la Ville Queno en Quelneuc, malgré une certaine lourdeur de la composition, la restauration du manoir s'efforce de conserver les composantes du bâti existant. Le caractère classique de l'édifice des 17e et 18e siècles est conservé grâce à un ordonnancement régulier et une volonté d'équilibre des masses tandis que la fonction primitive du bâtiment et son appartenance à une tradition constructive régionale sont rappelées par l'organisation spatiale de l'ensemble et l'introduction d'une forte volonté pittoresque. Pratiquement à la même époque, en 1895, l'architecte agrandit le manoir de la Ville Janvier en Cournon et en reconstruit les communs et les parties agricoles. Les bâtiments sont réalisés dans un style rationaliste pittoresque, plus orné pour le logis, mais il est intéressant de remarquer que le projet cherche à conserver les caractéristiques d'un site de manoir.
La transformation du manoir de la Ville Chauve aux Fougerêts permet d'observer l'évolution du goût autour de 1900 sous un angle légèrement différent. Le corps de logis est ordonnancé grâce à la reprise des percements en même temps que la construction du porche d'entrée central, surmonté d'un pavillon, accentue la symétrie de la façade. Cependant, l'introduction de variations dans la forme des frontons et des exhaussements ainsi que l'adjonction d'un pavillon en retour d'équerre créent une composition plus pittoresque qui n'est pas sans rappeler, ici encore, la réalité de l'architecture vernaculaire. Cette réalisation peut être comparée à celles, contemporaines, de l'architecte rennais Frédéric Jobbé-Duval, à qui elle pourrait être attribuée. Ce dernier introduit en effet une forte composante régionale à ses travaux en s'inspirant de l'architecture bretonne du début du 17e siècle, mais aussi, comme dans l'aménagement des abords du château de la Haute-Touche (Monterrein, I.S.M.H.), du style des malouinières.
Le style très spécifique développé par Henri Mellet autour de 1900 est bien représenté par la transformation du manoir de Rosmorduc à Logonna-Doualas. L'intervention respecte l'architecture du bâtiment ancien, bel édifice du milieu du 16e siècle, en reprend le style, mais en accentue le caractère monumental grâce aux agrandissements latéraux et le traitement de la façade arrière. L'architecte y introduit des éléments qui lui sont chers, les larges baies en plein-cintre et la loggia sans pour autant abandonner la référence à l'architecture régionale. Le bâtiment est à rapprocher des reconstructions des châteaux de Bel-Air au Pertre, de Mont-Rive à Bourg-des-Comptes ou encore du Grand-Chesnay en Saint-Donan.
Au manoir du Chêne-Ferron en Saint-Carné, la construction d'un bâtiment à l'une des extrémités du corps de logis 17e, en pendant à un pavillon en retour d'équerre, illustre encore cette manière de conserver l'authenticité de l'édifice d'origine en réalisant des adjonctions à la fois historicistes et pittoresques. La rénovation du manoir de Kergos en Clohars-Fouesnant pourrait également être rattachée à cette mouvance, de même que celle de Toul-an-Héry à l'Ile-Blanche en Locquirec ou de Kervaulongard en Garlan. Les parties anciennes restaurées et les parties neuves se lient harmonieusement, la composante historiciste se superpose à un vocabulaire issu du courant rationaliste pour offrir une nouvelle vision de l'architecture régionale.
La construction ex-nihilo
La seconde grande catégorie d'édifices repérés concerne les châteaux construits ou reconstruits ex-nihilo. Compte tenu de la faible proportion d'édifices construits sur site neuf et du manque de données précises sur leur pourcentage, cette catégorie d'intervention ne sera pas traitée de manière individualisée. La construction de ce type d'édifices semble en effet répondre aux mêmes problématiques que les édifices construits sur site ancien.
Lorsque le choix se porte sur la construction d'un château neuf, le sort de l'ancien manoir dépend vraisemblablement de son état de conservation, la valeur symbolique de son existence antérieure étant suffisante à la transmission patrimoniale recherchée par la noblesse. Le cadre fixé par cette étude n'a pas permis de collecter les données nécessaires à l'analyse de ce phénomène mais il est néanmoins possible de différencier les cas de figures rencontrés. Ainsi, l'édifice ancien peut être conservé ou détruit. Dans le premier cas, il est intégré à l'environnement du château neuf, au titre de vestige ou de ruine romantique dans le parc, remployé comme dépendance, avec ou sans transformation, ou encore déclassé en métairie rattachée au château neuf. Lorsque l'édifice ancien est détruit, la nouvelle construction peut réutiliser son emplacement ou être déplacée à quelque dizaines (voire une centaine) de mètres de ce dernier. Il est cependant quelquefois difficile, en l'absence de documents d'archives, de distinguer une reconstruction complète d'un remaniement radical conservant des élévations anciennes ; lorsque cela est le cas, le bâtiment sera considéré comme étant une reconstruction dans la mesure où son parti actuel ne laisse rien voir du parti d'origine.
La seconde observation générale concernant ce type d'intervention, mais dont les limites de ce travail excluent l'analyse, porte sur le rapport entre le style de l'édifice d'origine et celui du château neuf. Constaté dans d'autres régions, l'influence de l'un sur l'autre a également été observée en Bretagne sans que l'on puisse préjuger de l'ampleur de ce phénomène.
Les édifices néoclassiques
Au cours du 19e siècle, l'architecture de style néoclassique prend différentes formes parmi lesquelles deux grandes familles peuvent être distinguées. La première prolonge le courant néo-palladien de la fin du 18e siècle jusque dans la première moitié du siècle. Le modèle de la " villa " italienne, construction à la volumétrie cubique, parfois développée en hauteur, couronnée d'un fronton et surmontée d'un toit à faible pente, influence quelques constructions champêtres jusque dans les années 1840 en Bretagne. Ramenée au nombre de châteaux par département, leur répartition géographique sur la région est relativement homogène, avec toutefois une représentation plus faible dans le Finistère et le Morbihan.
La production de cette période est marquée par le remarquable château de Largentaye en Saint-Lormel inscrit M.H. le 24/12/1993, avec lequel aucun édifice de la région ne peut être comparé.
De proportions généralement modestes, ces édifices peuvent être considérés comme étant des châteaux dans la mesure où ils sont entourés d'un parc et possèdent des dépendances. Il convient néanmoins d'isoler un exemple significatif digne d'intérêt, lequel peut être trouvé avec le château de Québriac attribué à Louis Richelot, architecte rennais à qui l'on doit la fortune du style néoclassique en Ille-et-Vilaine. Les châteaux du Coudray en Langouet, de la Musse en Baulon ou encore de la Roche en Guenroc sont également représentatifs de ce type d'édifices.
Les édifices néogothiques
La construction de style néogothique est bien représentée sur l´ensemble de la région, avec un total de 47 édifices neufs. La comparaison entre ce nombre et celui des châteaux transformés (40) permet de constater, qu´à la différence de ce qu´il se passe pour les autres styles, le style néogothique est autant utilisé pour les deux types d´intervention.
Il peut paraître toutefois relativement difficile d´isoler les édifices neufs à proprement parler néogothiques, les références à ce style concernant la plupart du temps le décor tandis que la composition des corps de bâtiments se plie à la tradition classique (château du Verger à Gestel).
L´analyse détaillée de cet ensemble permet d´affiner les critères et met en avant une typologie chronologique pouvant distinguer trois grandes catégories d´édifices.
Les balbutiements du style se repèrent dans des constructions issues de l'architecture des villas néoclassiques, où le volume cubique, ordonnancé et enduit est flanqué de tours circulaires, comme au château de la Bizaie à Guipry. Si la forteresse médiévale de Landal passe pour avoir été reconstruite sous Charles X, un des premiers exemples d'architecture néogothique utilisant le vocabulaire ornemental qui caractérise ce style (gâble, pinacle, accolade..) est offert par le château de la Forêt Neuve à Glénac (n°2-23) dont la datation précoce de 1826 doit être confirmée par des recherches plus approfondies. L'édifice remploie les éléments d'un château du 15e siècle ruiné à la Révolution et s'inspire de l'architecture des corps de logis de cette époque (château de Josselin) tout en introduisant une régularité assez froide dans l'ordonnancement des travées.
Type 1 : La première grande famille d'édifices correspond à des constructions réalisées entre 1850 et 1875 et peut se définir de la manière suivante : le château adopte un parti le plus souvent symétrique avec un corps de bâtiment central allongé, encadré de pavillons ou d'ailes en retour formant un plan en U et présentant des pignons, souvent découverts, en façade. Il est flanqué de tours circulaires couvertes en poivrière ou de tourelles polygonales. Les élévations sont ordonnancées, les toitures sont généralement hautes et couvertes de toits à longs pans, à croupe et en pavillon. Le caractère néogothique se définit essentiellement dans l'ornementation des façades avec des moulurations en accolade ou en agrafe au-dessus des baies, des lucarnes à gable (plus rarement à pas-de-moineau) parfois encadrées de pinacles, des balcons ajourés de mouchettes, des tours à faux mâchicoulis et des créneaux.
Ce type de bâtiment est principalement diffusé par l'architecte rennais Jacques Mellet ; il correspond donc plus particulièrement à la période et à la zone d'activité de ce dernier (avant 1876, en Ille-et-Vilaine). Le château de la Noé-Saint-Yves à Bain-de-Bretagne, construit en 1860 pour Joseph Guillotin de Corson, en offre un exemple représentatif et réussi. La même année, avec le château des Tesnières en Torcé, demeure d'une famille noble revenue sur ses terres, l'architecte adopte une composition asymétrique articulée sur une tour d'angle polygonale, démarquant le bâtiment d'une production parfois stéréotypée. Une série d'édifices comprenant le château neuf de la Vieuville à Fougères, celui de Coat-Carric en Plestin-les-Grèves ou encore celui de Bodéan à Saint-Jacut-les-Pins, témoigne en effet de l'influence de modèles architecturaux. L'alliance d'un plan allongé et symétrique, d'une élévation ordonnancée accentuée au centre de la composition et d'une ornementation néogothique est parfois mise en oeuvre avec une grande économie de moyens et n'échappe pas souvent à un manque d'originalité et à une relative sécheresse.
En revanche, des édifices comme le château de Kerfily en Elven ou celui de Kervoazec en Saint-Goazec, bien que représentatifs de la production régionale de cette période, se démarquent par leur ampleur et la majesté de leur parti ; l'introduction d'une légère asymétrie, d'éléments comme le jardin d'hiver ou la galerie vitrée et d'une mise en scène paysagère ne sont pas étrangers à leur réussite.
Aux côtés de bâtiments dont le style néogothique peut apparaître assez sévère, une frange de la production de cette période adopte un style " troubadour " richement orné et recherche les silhouettes hérissées des châteaux de la fin du 15e siècle grâce à la multiplication de tours et de tourelles en encorbellement, se rapprochant ainsi des motifs de la première Renaissance. Le petit château de la Haute-Forêt en Bréal-sous-Montfort, construit en 1858 pour la famille de Farcy par Jacques Mellet, peut être considéré comme l'une des plus élégantes constructions de ce genre. Grâce à son implantation, à sa mise en scène paysagère et au déploiement de deux tours latérales, le bâtiment acquiert une monumentalité en trompe-l'oeil et répond ainsi au programme d'une résidence secondaire pour une famille noble rennaise.
Le modèle paternel n'est vraisemblablement pas loin lorsqu'en 1876, Jules Mellet présente le projet du château des Aubiers en Hillion. L'édifice est cette fois monumental et appartient à un ensemble qui doit être signalé pour son ampleur, sa cohérence et sa complétude. Remarquable à l'échelle même de la région, il peut être considéré comme représentatif du premier style Mellet dont il paraît être, à la mort de son créateur, comme le chant du cygne.
S'il n'appartient pas directement au corpus de l'étude et malgré le fait qu'il soit intégré au tissu urbain actuel de Brest, le château de Ker-Stears doit être signalé en tant qu'oeuvre atypique et unique. Construit en 1861 pour un industriel écossais, il était rattaché à une usine à gaz et se distingue par une grande qualité d'expression et le style gothique Tudor de l'une de ses façades.
Type 2 : Entre 1875 et 1895 environ, les châteaux de style néogothique abandonnent progressivement le parti qui avait fait leur fortune au cours du 3e quart du 19e siècle. Pendant cette période de transition, les plans se ramassent peu à peu, les ailes et pavillons latéraux s'atrophient autour d'un corps central réduit ou dissimulé sous l'agglomération de corps secondaires. L'influence du modèle précédent persiste cependant dans la présence de pavillons et de tours circulaires coiffées en poivrière, l'ordonnancement à travées et le décor composé de créneaux, mâchicoulis, allèges ajourées de mouchettes et lucarnes à gâble. Le travail d'Henri Mellet, qui exerce désormais seul, est caractéristique de cette période ; il met en place de nouvelles formules marquées par l'asymétrie et une composition de façade jouant sur l'équilibre des masses autour d'un porche d'entrée surmonté d'un balcon. Le château de Bellevue à Moncontour, construit en 1889, peut être considéré comme un des meilleurs représentants de cette série parmi laquelle entrent les châteaux de Kercadiou en Lanmeur, de Launay-Guen en Plémet ou de Portrieux à Saint-Quay-Portrieux (détruit). Ce dernier, avec son plan en X, illustre les mutations qui s'opèrent, sous l'influence des théories de Viollet-le-Duc, dans la conception de l'architecture domestique à la fin du 19e siècle.
Parfaitement atypique au regard de la production régionale, le château du Nedo en Plaudren a été construit de 1881 à 1886 par le baron Lemarie de la Gatinerie, architecte et commanditaire. Situé au centre d'un ensemble comprenant un parc paysager et des dépendances, cet édifice de style Henri II mérite d'être signalé pour la qualité et l'originalité de son parti.
Type 3 : La troisième et dernière manifestation de l'architecture néogothique naît à la fin du 19e siècle et témoigne de l'importante transformation de la conception architecturale à cette époque. Conséquence des leçons rationalistes de Viollet-le-Duc, les plans massés sont caractérisés par de multiples décrochements tandis que les volumes des bâtiments cherchent à exprimer, à l'extérieur, la fonction interne des espaces et leur hiérarchie. L'étude de l'architecture domestique médiévale, puis de l'architecture vernaculaire permet une approche plus archéologique et plus juste des références. Autour de 1900, l'importance du modèle du manoir, porté par le courant régionaliste, inspire un ensemble de réalisations témoignant du renouvellement de la création architecturale.
Formé à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, Jean-Marie Laloy est l'une des figures marquantes du milieu artistique et culturel rennais de la fin du 19e siècle ; sa production est marquée par le rationalisme pittoresque mais sait s'adapter à la commande d'une clientèle privée issue de la grande bourgeoisie et de l'aristocratie. Au château de la Haute-Dibois à Baguer-Morvan, il réalise une construction inspirée par l'architecture civile du 15e siècle, dans un style gothique flamboyant pittoresque et rationaliste. Il est déclinera le modèle à l'hôtel Le Chapelier (1898) à Rennes (rue de Viarmes), puis au château de Kerriou en Gouézec, en une version plus développée réalisée en 1906 pour un membre de la même famille.
La composante régionaliste de ce dernier type d'édifice est remarquablement illustrée par le château du Val à Saint-Just, réalisé entre 1895 et 1900 par l'architecte Henri Mellet. Inspiré des grands manoirs du 15e siècle, le bâtiment se signale par une architecture néogothique où la recherche d'authenticité se traduit notamment par l'emploi de matériaux locaux (schiste et granite). Les fonctions internes sont exprimées sur l'enveloppe de l'édifice grâce à la hiérarchisation des volumes et à l'irrégularité des percements.
La construction néo-Renaissance
Avec un total de 25 édifices construits ex-nihilo ou reconstruits, le style néo-Renaissance est peu représenté à l'échelle de la région. L'analyse plus détaillée de ce corpus laisse apparaître un criant déséquilibre de la répartition géographique de ces bâtiments, plus de 60 % d'entre eux se trouvant en Ille-et-Vilaine (17 édifices). Le style est également bien représenté dans le Morbihan (33 % avec 7 édifices) mais n'a rencontré aucun succès dans le Finistère et les Côtes-d'Armor, avec un seul château pour ce dernier.
La principale cause de ce phénomène doit être trouvée dans le fait que ce corpus d'édifices est majoritairement l'oeuvre de l'architecte rennais Jacques Mellet. Celui-ci a réalisé une série de châteaux dont le parti est comparable à celui de ses édifices néogothiques, le style étant donné par le décor porté inspiré par la Renaissance. Les plans sont symétriques avec un corps de logis central cantonné ou flanqué de pavillons et de tours circulaires ou polygonales, les élévations sont ordonnancées en travées, les toitures couvertes à longs pans, à croupe et en pavillon ; cependant une utilisation plus fréquente est faite de corps ou d'avant-corps de forme polygonale individualisés au niveau des toitures et offrant aux pièces qui les occupent divers points de vue sur l'extérieur. Le décor se concentre sur le traitement des travées marquées par des ordres de pilastres superposés. Les allèges et les bandeaux des baies sont garnis de tables moulurées et ornées de médaillons, les balcons sont ajourés de réseaux en résille, les lucarnes sont surmontées de frontons chantournés et encadrées de volutes. La travée centrale reçoit un décor plus foisonnant et se distingue généralement par la présence de baies géminées en plein-cintre.
Ce type d'édifice est décliné à différentes échelles : la plus modeste peut être illustrée par les châteaux de la Touche-Rolland à Talensac (1852) ou de la Chapelle-Erbrée (1871), le modèles intermédiaire par la Bichetière en Cornillé ou la Chesnaie en Mordelles, la plus monumentale par le château détruit du Breuil en Iffendic ou encore le château de la Tournerais en Goven.
Le style de Jacques Mellet trouve un prolongement dans la production de son fils Henri qui, au château du Brossay à Renac donne, en 1895, une de ses réalisations majeures. Suivant le processus évolutif caractérisant l'architecture châtelaine de la fin du 19e siècle précédemment décrit, cet édifice s'inscrit dans une démarche plus archéologique. Libéré d'un carcan formel, il témoigne à la fois d'un souci de vraisemblance par rapport aux modèles de la Renaissance tout en affirmant sa modernité.
L'important château de la Bourdonnaye en Carentoir, daté de 1893, peut être comparé avec celui de la Grée de Callac en Monteneuf construit pour le Comte du Bot de 1892 à 1908 par Frédéric Jobbé-Duval et protégé au titre des Monuments historiques (inscrit M.H.). Le parti de ses édifices est similaire avec un corps de logis rectangulaire encadré de deux pavillons latéraux, une élévation de deux étages carrés au-dessus d'un niveau de soubassement, la présence de lucarnes à meneaux géminées surmontées de frontons finement ouvragés faisant référence à l'architecture maniériste du 16e siècle finissant. A Carentoir, la monumentalité de la façade sur jardin est magnifiée par l'inscription de l'édifice dans une perspective paysagère tandis que la façade antérieure offre, grâce à une marquise marquant l'entrée et la présence d'une chapelle latérale richement ornée, un aspect plus accueillant.
Le château de la Ville-Aubert en Campénéac offre un exemple remarquable de reconstruction de manoir après 1900, une variante rurale et régionaliste faisant pendant aux constructions monumentales précédemment citées. Plusieurs éléments caractérisent l'intérêt de cet édifice : la composition intègre les communs directement liés au logis, en référence aux organisations spatiales traditionnelles tandis que l'ensemble des bâtiments adopte un style homogène inspiré de l'architecture régionale de la fin du 16e siècle. Son attribution à Frédéric Jobbé-Duval peut être proposée en comparaison avec le parti adopté à la Bassardaine en Saint-Maugan (35) construit en 1903.
Les châteaux de style Louis XIII et néo-XVIIe siècle
Parmi la déclinaison des styles historiques mise en oeuvre par l'éclectisme du 19e siècle, certaines formules rencontrent une plus large adhésion de la part des commanditaires châtelains. Les références à l'architecture du XVIIe siècle, en ce qu'elles renvoient à une période faste de la monarchie, sont fréquemment utilisées dans la construction d'édifices neufs en Bretagne, 78 ouvrages de ce type ayant été dénombrés. Leur répartition géographique est relativement homogène avec plus de quinze bâtiments sur les trois départements des Côtes-d'Armor, du Finistère et du Morbihan et une trentaine en Ille-et-Vilaine, où leur nombre reste proportionnel à celui des constructions.
L'observation du corpus permet de constater que de nombreux architectes ont eu recours à ces formules, une quinzaine de personnalités différentes ayant été identifiées comme auteurs. D'autre part, les 35 édifices datés autorisent à repérer de plus fortes fréquences de constructions entre 1855 et 1865, puis à partir de 1880.
L'évolution stylistique au sein de ce groupe est comparable à celle observée au sein des autres catégories analysées. A partir des années 1880, le parti des bâtiments est moins stéréotypé, la stricte symétrie des compositions est abandonnée au profit de plus de variété ; si les plans restent globalement allongés, les dispositions des pavillons et des avant-corps introduisent un jeu plus subtil des volumes. Au tournant du siècle, la tentation régionaliste renouvelle le genre grâce à des recherches formelles inspirées de l'architecture classique vernaculaire.
Type 1 : La construction de style XVIIe siècle se conforme à un parti relativement homogène dont les principales caractéristiques sont un plan allongé, le plus souvent en H, avec un corps de logis rectangulaire encadré de deux pavillons en saillie sur les façades, une élévation ordonnancée à travées se développant sur un niveau de sous-sol (semi enterré ou étage de soubassement), un rez-de-chaussée surélevé, un étage carré et un (parfois deux) étages de comble. La travée centrale est généralement marquée par la présence d'un perron, parfois d'un balcon au niveau du premier étage et d'une lucarne répondant à celles des pavillons latéraux. La mise en oeuvre des matériaux privilégie les effets de polychromie avec l'utilisation fréquente de la brique ou de l'alternance brique et pierre, en particulier pour les chaînes d'angle et les encadrements de baies. Les corps de bâtiments sont fortement différenciés au niveau des toits avec, le plus souvent, une toiture à longs pans et à croupe encadrée de toitures en pavillon, de hautes cheminées occupant leurs intersections. Une forte part de la production ne retient cependant qu'une partie de ces caractéristiques pour adopter des références plus diffuses à l'architecture du XVIIe siècle.
Parmi le corpus d'édifices repérés, plusieurs réalisations apparaissent typiques de cette production. Au côté du modeste château de Quillien en Pleyben réalisé par Joseph Bigot en 1858, le château de la Vallée à Betton (remanié) construit la même année par Aristide Tourneux ou encore le château des Forges de Lanouée offrent d'intéressants exemples de style brique et pierre inspirés par l'architecture Louis XIII. Plus exceptionnel, le château de Goudemail en Lanrodec est un objet architectural monumental s'inscrivant dans un ensemble remarquable et homogène comprenant un jardin à la française, des communs et un parc paysager. Par sa forte affirmation dans le paysage rural duquel il s'est totalement exclu géographiquement et architecturalement, il peut apparaître à la fois comme exceptionnel au regard de son contexte d'implantation et comme représentatif de ce qu'est le château du 19e siècle. La même volonté d'ostentation et de distinction est donnée au château de la Roche-Giffard en Saint-Sulpice-des-Landes. L'édifice de style néo-XVIIe siècle est là encore magnifié par une implantation en terrasse au-dessus d'un niveau de soubassement, la présence d'un jardin et d'importantes écuries. Le luxe et le faste de cette réalisation doivent être mis en correspondance avec les origines du commanditaire, député des Alpes-Maritimes, qui y établit un domaine de chasse. La production châtelaine régionale est encore illustrée par les châteaux de Kéronic en Pluvigner, de Pont-Calleck en Berné, de Trémigon à Combourg, du Riffray à Chanteloup, ou encore, à une échelle plus modeste, par celui de la Montagne à Visseiche, édifice construit pour une noble famille locale par le cabinet Mellet en 1884.
Type 2 : La deuxième génération d'édifices néo-XVIIe siècle peut être représentée par plusieurs édifices intéressants. Réalisé par l'architecte Ambroise Baudry dont la carrière s'est principalement déroulée en Egypte, le château de la Haichois à Mordelles est une oeuvre d'importation qui se distingue fortement de la production architecturale locale. Les commanditaires, un couple d'aristocrates parisiens, y établissent une résidence d'été où ils s'adonnent à l'équitation et rénovent le domaine de l'ancien manoir. Le château illustre bien les mutations stylistiques qui s'opèrent dans les années 1880 : le parti général s'inspire du style Louis XIII cependant la composition n'est plus symétrique, des variations sont introduites dans le percement des baies avec notamment l'introduction de formes modernes. A Kersa en Ploubazlanec, le phénomène est accentué : l'utilisation d'un plan massé et dissymétrique, les références au style Louis XIII mêlées à la recherche d'effets pittoresques, apparentent l'édifice à l'architecture de villégiature et en font un exemple maîtrisé et original des dernières variations autour d'un style.
Attribuée à l'architecte rennais Arthur Regnault, la reconstruction de Toulancoat à Rosnoën et de ses communs s'établit dans un contexte fort différent, celui du réinvestissement foncier tardif de la part d'une famille noble sur un domaine patrimonial dont l'ancien manoir est en mauvais état. La composition classique en H laisse place à un parti plus modeste, avec un seul pavillon latéral, tandis que la sobriété de l'élévation et les ornements des frontons s'inspirent des grands châteaux historiques du Finistère ; l'historicisme s'inscrit ici déjà dans une démarche archéologique, à laquelle la personnalité de l'architecte n'est pas étrangère, et annonce les réalisations du tournant du siècle.
Type 3 : Ainsi le château du Grand-Chesnay à Saint-Donan est représentatif d'une intéressante série d'édifices parmi lesquels on compte le château de Bel-Air au Pertre (inscrit M.H .) ou encore ceux de Montbrault en Fleurigné et de l'Eclosel en Nouvoitou. Ces oeuvres, dues à l'architecte Henri Mellet, renouvellent l'approche historiciste de l'architecture en s'ancrant dans une tradition constructive traditionnelle grâce à l'emploi de matériaux locaux et de motifs faisant référence à l'architecture régionale du 17e siècle. Le Grand-Chesnay est, à de nombreux égards, un édifice remarquable ; il allie avec maîtrise l'esprit des manoirs régionaux aux exigences d'un programme moderne et compte parmi les premières manifestations de l'architecture régionaliste bretonne.
Les châteaux classiques de style Louis XIV, Louis XV et Louis XVI
L'architecture de style XVIIIe est représentée en faible proportion tout au long du 19e siècle (20 édifices) et évolue de manière intéressante jusqu'au début du 20e siècle. Il est intéressant de noter que ce type de bâtiment est le moins représenté dans les Côtes-d'Armor mais qu'il rencontre un plus large succès dans le Morbihan.
A côté des édifices de style néoclassique inspirés par l'architecture palladienne, une conception entièrement héritée des modes du siècle précédent persiste jusque dans les années 1860. Si le château de Malleville (Ploërmel, 1840) adopte un parti plutôt rustique, la plupart des bâtiments concernés se réfèrent à l'architecture urbaine et officielle de style Gabriel. Le château de Talhouët (Guidel, 1860) peut être qualifié d'architecture de pastiche avec son corps de logis rectangulaire rythmé par des pilastres et chaînes d'angle appareillées en table encadrant un triplet de baies couronné d'un fronton triangulaire ; ce mimétisme pourrait correspondre à une volonté liée à la reconstruction d'un château construit autour de 1700, mais témoigne de l'attachement à des formules d'un grand classicisme. Plusieurs édifices modestes adoptent ce type de parti ; le corps de logis rectangulaire, généralement à 5 travées, marqué par un avant-corps central saillant, est encadré (ou non) de petites ailes basses comme à Créac'h-Balbé (Saint-Urbain) ou Kerousien (Plomelin) et est couvert d'un toit brisé. Malgré la modification de la pente du toit autour de 1890 et la suppression du brisis, le château de Kerandraon en Guiscriff, construit par Joseph Bigot en 1853, représente un des exemples les plus élégants de cette catégorie de bâtiment.
Les formules les plus simples, comme Craon à Comblessac (35) ou Kerlouannec à Douarnenez, sont de vastes demeures bourgeoises de type urbain transposées dans un parc. Il existe en revanche quelques édifices plus développés, le château de la Morinais à Pleucadeuc (vers 1875) par exemple, pour lesquels la composition est inversée par rapport au modèle précédent, le corps central étant encadré de deux ailes en saillie. Le style se caractérise principalement par l'emploi d'un toit mansardé et de chaînes d'angle appareillées en table, par la présence d'oculi, de lucarnes encadrées de volutes plates ou encore d'un fronton cintré.
Ce modèle rencontre à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle un plus vif succès et donne lieu à quelques réalisations remarquables. Le château des Forges de Paimpont, dit le Pavillon, construit en 1889 par l'architecte nantais Lenoir, domine le site industriel et séculaire des forges au devant d'une vaste pelouse. Cette mise en scène centrée et dégagée, une visibilité ostentatoire étant assurée à l'édifice depuis les voies de circulation publiques, n'est pas sans rappeler celle que met en oeuvre Jean-Marie Laloy pour le vicomte du Bouëxic à la Driennays (Saint-Malo-de-Phily). S'il s'agit du rhabillage d'un édifice néoclassique, la référence à l'architecture de style Louis XIV, particulièrement évidente, est mise au service d'une volonté politique et idéologique d'affirmation et de reconquête du pouvoir. Bien que le contexte historique de sa construction ne soit pas connu, le château de Launay en Ploërdut, édifié également dans les années 1910 pour la famille de Monti de Rézé, présente un intérêt architectural comparable dans ses proportions monumentales et sa qualité, mais apparaît véritablement comme une architecture de pastiche. Les deux édifices font chacun partie d'un ensemble comprenant un parc, des communs et l'ancien manoir déclassé. Si Launay est aujourd'hui restauré, il conserve un grand hall d'entrée avec péristyle et escalier d'honneur tandis que La Driennays, resté dans la famille de ses commanditaires et figé dans le souvenir de son ancienne grandeur, semble avoir conservé son décor intérieur.
Les châteaux éclectiques
Si la majorité des châteaux neufs peuvent être apparentés à un style de référence dominant, ne serait ce que par rapport à leur décor, certains d'entre eux ne peuvent être qualifiés que par leur éclectisme. Ils mettent en oeuvre une combinaison complexe de références stylistiques de laquelle il est difficile de définir les caractéristiques principales ou tentent de le faire en de maladroites juxtapositions. Une grande partie de cette production ne présente donc que peu d'intérêt architectural et la sélection des exemples représentatifs pour cette catégorie d'édifices s'avère plus délicate. Ainsi, les bâtiments retenus dans le cadre de ce travail se caractérisent principalement par la cohérence et la qualité générale de leur parti.
Construit en 1852 dans un style caractéristique de l'époque Louis-Philippe, le château de Bois Joly en Caudan est un édifice atypique et original en regard de la production régionale. Portant encore l'empreinte du néoclassicisme, il témoigne des mutations stylistiques qui génèrent l'éclectisme. De plan allongé, le corps de logis est encadré de deux pavillons en légère saillie soulignés par des pilastres monumentaux, comme la travée centrale couronnée d'un fronton triangulaire et richement ornée de sculpture. Une balustrade souligne le niveau du toit brisé, devant une série de lucarnes. La qualité de l'architecture et l'insertion de l'édifice dans un ensemble comprenant de nombreuses dépendances, un jardin, un parc et un mausolée contribuent à l'intérêt de cette oeuvre. Quelques autres bâtiments peuvent être rattachés à cette petite famille stylistique, ainsi les châteaux de la Ville-Davy en Quessoy ou de Kérozar en Morlaix.
Représentatif d'un type de bâtiment défini par un corps de logis rectangulaire cantonné de quatre tours dont plusieurs spécimens ont été repérés dans la région (Coat-an-Noz en Loc-Envel), le château de Saint-Jean en Saint-Jean-Kerdaniel est un des édifices majeurs de la production éclectique. Commencé en 1855 et attribué à l'architecte parisien Joseph-Antoine Froelicher, il combine harmonieusement les références stylistiques variées : le parti à quatre tours est hérité de l'architecture gothique tardive, la forme des frontons à celle de la Renaissance, les baies et la composition du corps central aux 17e et 18e siècles. Plus modeste, mais élégamment composé, le château de Kodéan en Dompierre-du-Chemin propose un parti original et atypique : le plan massé développé en hauteur et la composition générale du corps de logis sont issus de l'architecture des villas néoclassiques tandis que les quatre tourelles d'angle polygonales, l'ornementation des façades avec un faux appareil de brique et la modénature de la travée centrale, appartiennent au vocabulaire des châteaux du 17e siècle.
Plusieurs autres exemples peuvent être proposés avec les châteaux de Coëtlan en Langourla, de Talhouët en Pontivy ou de la Digue à Roscoff. Malgré le grand intérêt de son architecture, où références médiévales, renaissantes et rationalistes sont curieusement mêlées, l'environnement actuel de ce dernier, le centre hélio-marin de Roscoff, invite à une certaine réserve sur sa sélection.
Pittoresque, rationalisme et régionalisme moderne
Une dernière catégorie d´édifices est constituée par les châteaux réalisés à la fin du 19e siècle et surtout au début du 20e siècle. Aux références stylistiques existantes se superposent d´autres sources d´inspiration. De l´architecture des chalets et des villas balnéaires, le château emprunte les ornements en bois découpés des pignons, balcons et lucarnes, les toitures en demi croupe ou encore l´utilisation du bow-window. De l´architecture rationaliste, il retient l´usage de la brique ou de matériaux polychromes utilisés en assises alternées, en particulier pour les chaînes d´angle, les encadrements de baies ou les bandeaux décoratifs, mais également la forme de baies plus larges, en arc segmentaire, héritée de l´architecture scolaire, ou encore l´emploi de linteaux métalliques. Les châteaux de la Hersonnière en Gomené, le Châlet en Paimpont ou encore Beaulieu en Bignan témoignent d´une forte rupture stylistique et de la disparition des référents traditionnels à l´architecture castrale. Ce glissement s´accompagne désormais d´une confusion sémantique entourant le terme de « château », ce dernier pouvant parfois désigner ou être synonyme de « chalet » et « villa ».
Depuis la période romantique, la recherche d´effets pittoresques accompagne l´architecture des châteaux. Cette composante domine l´étonnant château de Lannuguy en Saint-Martin-des-Champs, édifice original qui ne trouve guère d'équivalent dans la production régionale. L´édifice puise de manière discrète dans les répertoires de la fin de l´époque gothique, mais recherche la simplicité d´une demeure moderne, revisitant la formule du manoir breton. D´autres constructions affichent au contraire avec tapage leurs attributs châtelains comme les tours crénelées et les tourelles coiffées de toitures aiguës. Construit à la charnière des 19e et 20e siècles, le château de Lannigou à Taulé remplace un ancien manoir sur les terres patrimoniales d´une famille noble. Il présente un remarquable exemple de ce type d´édifice, à la fois château pittoresque, dans la tradition des demeures romantiques et villa moderne possédant tous les attributs de l´architecture de villégiature à la mode. Le château du Mûr, en Carentoir et Comblessac lui est tout à fait comparable.
Dans un style bien différent, mais également plus tardif, le château de Beauregard en Cléguerec est un édifice de grand intérêt, où sont alliées qualité et originalité architecturale. Comme à Coët Ihuel en Sarzeau, la construction neuve est implantée sur le site d´un ancien manoir ; elle adopte ici un style régionaliste moderne dont les composantes sont le pittoresque et la modernité de l´architecture de villégiature (larges baies, utilisation du pan de bois, d´aisseliers, jardin d´hiver) et l´observation de l´architecture gothique domestique bretonne. En référence au manoir des 15e et 16e siècle, le caractère régional est évoqué par l´emploi de matériaux locaux (schiste et granit) et de formes telles le pignon découvert en façade, les hautes toitures, les lucarnes à gable. Les mêmes principes sont utilisés au château de Brocéliande à Paimpont où le régionalisme est ici un style importé, puisqu´il s´agit d´un édifice néo-normand. Implanté au centre d'un domaine de chasse, le programme de château de villégiature répond aux exigences du mode de vie aristocratique fondée sur une culture de l'entre-soi. Edifice exceptionnel par la qualité de sa réalisation, il s'inscrit dans un ensemble homogène conservé dans son intégralité (décor intérieur et communs) et témoigne de la réception de la mode néo-normande dans la région. Quelques édifices de ce type ont en effet été repérés, comme le château de Coëtlogon dont le style original a été épuré pour retrouver un caractère plus breton, la Ville Lambert en Plorec-sur-Arguemon ou encore Villeneuve en Pleucadeuc. Seul ce dernier semble pouvoir présenter un intérêt comparable à Brocéliande mais n´est pas connu dans son état actuel.
Unicum
Unicum à l´échelle du corpus régional, le château de Mont-Rive à Bourg-des-Comptes, doit être évoqué de manière particulière. Cet édifice de style néo-toscan, construit en 1905 par l´architecte Henri Mellet pour Paul-Marie Vatar, vient au bas mot tripler la surface d´une villa de style néoclassique construite sur un site vierge au début du 19e siècle. Sa silhouette, plus proche de celle d´une église toscane que de celle d´un château, se retrouve au collège Saint-Vincent, bâtiment que l´architecte construira quelques années plus tard. Le château doit son originalité au contexte socio-historique de sa construction, le commanditaire appartenant à la famille de l´archevêque de Rennes Monseigneur Brossays-Saint-Marc et à la bourgeoisie ultra fortement opposée aux lois de séparation de l´Eglise et de l´Etat.
Décors intérieurs remarquables
Le cadre de ce recensement, exclusivement réalisé à partir des sources existantes, a exclu toute visite d´édifice et à fortiori celle des intérieurs. Les informations touchant à ce domaine sont donc issues de la documentation disponible et restent rares. Il est donc évident que l´intérêt présenté par les seuls décors échappent aux critères de sélection des édifices dans la mesure ces derniers ne sont pas visibles. Un exemple significatif, sans doute exceptionnel, est fourni par le château du Bot en Hennebont (n°47) dont l´architecture extérieure ne présente que peu d´intérêt - il s´agit d´une construction de style classique, néo-XVIIIe - mais dont l´intérieur conserve un décor de style orientaliste remarquable. Conçu en 1880 par Ambroise Baudry pour le collectionneur Ernest de Blignières de retour du Caire, il mêle une collection d'objets d'art arabe à des copies réalisées en Egypte leur offrant un cadre approprié dans les pièces de réception du château.
Conclusion
Le recensement des châteaux du 19e siècle en Bretagne mené au cours de cette étude offre une première approche globale du phénomène châtelain dans la région. Si seule une approche topographique permettra d´en combler les lacunes, les grands traits de cette production peuvent d´ores et déjà être esquissés.
La répartition géographique des édifices témoigne à la fois de l´attachement à des sites d´implantation anciens, généralement des sites de manoirs, le long des cours d´eau, et de l´histoire foncière régionale. Tandis qu´en Basse Bretagne, un nombre moins important d´édifices modernes est construit dans les terres, en particulier grâce à la conservation des anciens manoirs, une plus forte densité d´implantation en Haute Bretagne marque les limites de la grande propriété foncière dans l´Ouest de la France. Par ailleurs, l´engouement pour les sites maritimes traduit la mutation du mode de vie des élites, l´occupation traditionnelle du château laissant peu à peu place à de nouvelles formes de villégiature.
Malgré le nombre important de châteaux repéré, la production bretonne peut être caractérisée par sa relative modicité ; la plupart des constructions sont en effet de taille modeste, élevées avec une certaine économie de moyens notamment pour ce qui concerne le décor extérieur, voire un manque d´originalité dans les partis adoptés. Ce phénomène correspond très certainement à la permanence des particularités de la noblesse régionale, nombreuse mais somme toute peu fortunée, telle qu´elle avait été observée pour le 18e siècle, et également de la persistance du modèle du manoir.
La pratique fréquente de la restauration ou de la transformation d´édifices anciens pour lesquelles sont privilégiés les styles néogothiques et néo-XVIIe siècle, en correspondance avec ceux des constructions antérieures, atteste d´une nécessaire modernisation des demeures et de l´évolution des modes de vie mais également d´un certain conservatisme peut-être entretenu par de maigres ressources financières. Le château moderne est distribué selon un schéma récurent, avec en particulier le déploiement des espaces de réception au rez-de-chaussée - les pièces comme le grand salon, le fumoir, la salle de billard ou la bibliothèque deviennent indispensables au mode de vie châtelain -, les chambres à l´étage et une relégation des espaces de services si possible en sous-sol. Les agrandissements tendent toujours vers ce modèle, s´accompagnent d´une redistribution des espaces et cherche toujours à faire une place à un vestibule (ou hall) d´entrée occupé par un grand escalier.
L´observation globale du corpus permet de différencier très clairement les édifices construits par des architectes et pour des familles étrangers à la région ; ces châteaux « d´importation » se distinguent tant par leur parti que par leurs proportions et traduisent les goûts d´une aristocratie plus urbaine, en particulier parisienne, auprès de laquelle le style Louis XIII rencontre un vif succès.
La production des architectes locaux est quant à elle dominée par celle de la famille Mellet à qui l´on doit une trentaine de châteaux générant plusieurs familles d´édifices et la diffusion de modèles stéréotypés. D´autres architectes travaillant à Rennes, Quimper, Nantes ou même Angers, interviennent plus ponctuellement et offrent un ensemble d´édifices de qualité, notamment à la charnière des 19e et 20e siècles, période à laquelle la création se renouvelle et apparaît la plus féconde.
Photographe à l'Inventaire