Les stalles médiévales de l´ancien duché de Bretagne forment un corpus riche du point de vue iconographique, autant que du point de vue historique.
Les stalles sont avant tout un mobilier utilitaire, utilisé par les communautés religieuses lors des offices. On y prie, on y chante beaucoup et l´on s´y réunit de façon exceptionnelle, quand la salle capitulaire est indisponible, par exemple. Chaque stalle était attribuée à un chanoine et marquait son appartenance à la communauté. La cérémonie d´intégration avait en partie lieu dans les stalles. Le mot en lui-même a d´ailleurs la même racine étymologique que le verbe installer, c´est-à-dire stallum.
Aspect général
Ces sièges sont situés dans le choeur des religieux qui correspond généralement au choeur des églises. Le plus souvent, elles sont disposées en deux fois deux rangées de chaque côté de celui-ci. Ces deux rangs sont réunis entre eux par une série de trois marches.
La rangée de stalles la plus en avant est ainsi appelée «stalles basses» par opposition avec le rang arrière, plus élevé du fait des marches, et qui est, lui, appelé «stalles hautes». Cette dénomination induit déjà à elle seule une hiérarchie entre ces deux rangs.
À l´origine, les stalles hautes étaient toutes surmontées de dorsaux couronnés par un dais. Au total, la rangée arrière pouvait donc atteindre plus de cinq mètres de haut, rendant cette structure véritablement imposante. Ces éléments supérieurs, qui faisaient partie du système de clôture du choeur, ont été largement supprimés après le Concile de Trente (1545-1563), durant lequel il fut décidé que le choeur devait être rendu à la vue des fidèles. Ce fait explique que beaucoup de stalles soient aujourd´hui privées de leurs dorsaux et dais.
La majorité des ensembles est en bois. Chaque stalle est construite selon le même schéma et ceci, tout au long du Moyen Âge :
Le siège est ainsi constitué d´une assise mobile, montée sur charnière, et qui fonctionne à la manière d´un strapontin. Sous cette assise est fixée une petite console appelée miséricorde ou patience, et qui offrait un appui une fois le siège relevé. Les moines pouvaient s´y appuyer discrètement pendant les très longs offices, tout en donnant l´impression d´être debout.
Les miséricordes sont une création médiévale, création qui a perduré jusqu´à nos jours. Elles sont mentionnées pour la première fois dans le code des règles ecclésiastiques du monastère d´Hirsau, en Allemagne. Elles sont nommément appelées ainsi dans ces Constitutiones, au chapitre XXIX.
Le fait de s´asseoir durant les offices était déjà sujet à caution de la part des instances religieuses qui y voyaient un certain laxisme. Au XIe siècle, la règle s´assouplit et les changements de position devinrent plus fréquents. Les miséricordes remplacèrent peu à peu les béquilles sur lesquelles s´appuyaient les chanoines les plus âgés ou malades et permirent aux autres de s´asseoir discrètement, et de temps en temps seulement, sur cette petite console.
Les miséricordes ont, en moyenne, les mêmes dimensions, mais pas les mêmes formes au niveau de la console. Elles mesurent en général trente centimètres de large pour une hauteur de vingt centimètres.
Données historiques : naissance et vie des stalles
L´apparition des stalles dans le choeur des églises n´est pas datée avec précision. La relation entre ces deux éléments est néanmoins étroite comme le rappelle M. D. Teijeira Pablos : «décorer le choeur» signifie implicitement «faire des stalles». Au début, les officiants s´asseyaient sur de simples bancs disposés dans l´abside, au centre desquels se trouvait la cathèdre de l´évêque. La disposition en arc de cercle, basée sur le modèle antique, s´est rapidement avérée non adaptée à la pratique du service religieux. Les sièges évoluèrent donc en parallèle de l´évolution du choeur, jusqu´aux Xe-XIe siècles, époque à laquelle leur forme est à peu près arrêtée.
Au départ, les stalles étaient des sièges fixes, généralement en pierre, et n´offrant que peu de confort. Dès le XIe siècle, le bois fut introduit pour leur construction. Mais au XIIe siècle, certaines restent encore en pierre comme celles de la cathédrale Saint-Jacques de Compostelle, commandées à Maître Mateo.
L´utilisation du bois offre plusieurs avantages. Il permet à la fois d´isoler thermiquement le choeur et offre une très bonne acoustique pour le chant, renforcée par la forme des dais.
La disposition des stalles est cohérente dans toute l´Europe médiévale. Elles forment une sorte de U, ouvert à l´Est pour permettre une vision et une communication large avec le sanctuaire. La position face à face permettait les chants et les prières en répons lors de la liturgie des Heures. Au centre du choeur se trouvait un grand lutrin sur lequel était posé le Lectionnaire, les Évangéliaires, antiphonaires, cérémoniaux ou ordinaires. Cet espace était également destiné aux processions.
Les stalles étaient individuelles et nominatives. Chaque clerc possédait la sienne. Lorsque la commande n'émanait pas de seigneurs, ou plus rarement, de bourgeois et artisans de la ville, ce sont les chanoines qui les finançaient et choisissaient ainsi leur décor.
Un chantier colossal...
Grâce aux registres de comptabilité de la Fabrique, on peut estimer l´importance d´un tel chantier dans la vie des chanoines. Il représentait en effet un tiers à deux cinquièmes des dépenses de la Fabrique. La main-d´oeuvre qualifiée étant plutôt rare, les huchiers bénéficiaient de privilèges non négligeables, comme des cadeaux, un salaire élevé, le logement. À Rouen, ils n´étaient pas payés à la pièce mais à la journée.
...et un lieu de représentation
Chaque stalle est nominative et individuelle ; elle matérialise l´appartenance du chanoine ou du moine à sa communauté et son attribution fait l´objet d´une cérémonie lors de laquelle le religieux y est « installé », c´est le terme employé.
Par ailleurs, la répartition des chanoines dans leurs stalles reflète la hiérarchie ecclésiastique. Les stalles hautes étaient ainsi réservées aux chanoines et aux dignitaires. Les prébendiers, les chapelains et aumôniers se partageaient, quant à eux, les stalles basses. Les dignitaires les plus importants se retrouvaient autour de la cathèdre, située le plus souvent côté ouest. Plus précisément, la stalle sud-ouest était réservée à l´abbé ou au doyen, et la stalle nord-ouest au prieur. À l´est, le chancelier et le trésorier se faisaient face, le premier sur le rang sud et le second sur le rang nord. Pour le reste des stalles, la répartition répondait également à une division juridictionnelle entre les prêtres, les diacres et les sous-diacres.
À Saint-Pol-de-Léon, les dossiers des stalles basses sont recouverts de plus d´une centaine de graffiti qui datent pour la plupart des XVIIe et XVIIIe siècles. Ces graffiti ont été relevés par Y. -P. Castel pour l´Inventaire. Si on y compte quelques monogrammes liturgiques, des croix aussi, beaucoup sont en fait les noms des différents occupants des stalles. Ils indiquent que ces derniers n´avaient pas forcément de place fixe. En gravant le bois de leurs noms, ils s´appropriaient ainsi le siège. Ces inscriptions nous apprennent également que les enfants de la psallette occupaient huit sièges dans le bas du choeur, au moins à partir du XVIe siècle.
Certaines places étaient plus prestigieuses que d´autres, particulièrement après la Contre-Réforme où le choeur mais aussi les religieux étaient visibles. À Tréguier, des querelles ont ainsi éclaté entre chanoines sur l´attribution des stalles au XVIIe siècle. Cette fonction de représentation sociale que l´on associe à l´emplacement d´une stalle n´est pas l´apanage de cette époque et se fait encore sentir au XIXe siècle dans les comptes de la Fabrique de Saint-Pol-de-Léon . Les stalles étaient louées, annuellement, par différentes personnalités de la ville. En 1848, il fallait payer 10 francs pour occuper une stalle haute contre 5 francs pour une stalle basse. On constate également que les occupants des stalles hautes sont des notables. Jusqu´à la fin des années 1860, Bertrand de La Boissière occupe le siège n°1 et Albert de la Boissière le siège n°37. Mais en 1867, le conseiller de la fabrique change et les chanoines reprennent possession des stalles hautes n°1 à 8. Cependant, en 1878, les stalles sont quasiment désertées et de nombreux locataires ne versent plus d´argent à la fabrique. Conséquences de la guerre ou changement dans les mentalités en ce début de IIIe République ? Toujours est-il que même dans ce contexte, le maire a toujours une stalle réservée, preuve s´il en est que ce mobilier n´a pas pour autant perdu de son prestige.
Les « injures du temps »
Les stalles médiévales ont subi, d´une manière générale, de nombreuses dégradations au cours des siècles. Les raisons en sont multiples : religieuses, insurrectionnelles, idéologiques, etc. Mais, ce sont avant tout la mode et les goûts changeants qui ont nui le plus gravement aux stalles. Les ensembles étaient jugés obsolètes, inconfortables et encombrants à partir du concile de Trente, et surtout au XIXe siècle, période de renouveau du sentiment religieux qui se traduisit par la rénovation, l´agrandissement, voire la reconstruction complète de nombreux édifices. Le besoin «d´aérer» visuellement le choeur liturgique et de permettre le passage des processions, a entraîné la suppression de nombreuses stalles. Des stalles furent démantelées, vendues, reconverties en divers objets (parfois les dorsaux servirent à faire des chaires à prêcher), ou encore utilisées comme bois de chauffage.
L´état et les conditions de conservation de ces ensembles de l'ancien duché sont inégaux. Dans plusieurs édifices, les miséricordes sont fortement endommagées et maintenues par des tasseaux cloués directement dans la sellette. C´est le cas à Dol-de-Bretagne et à la chapelle Saint-Quay de Plélo.
Les appuie-main sont les pièces les plus sollicitées et les plus fragiles : nombreux sont les personnages ayant perdu leur nez, voire leur tête, et, avec l´usure, les sculptures deviennent illisibles. Les insectes xylophages menacent aussi un certain nombre d´ensembles. Des interventions parfois radicales ont lieu, comme à Boquého où les parcloses sont recouvertes d´un épais badigeon marron qui masque malheureusement les détails des sculptures. Cependant, en cas d´infestation, les dégâts sont bien souvent irréversibles.
Les stalles bretonnes ont par ailleurs subi les mêmes agressions que partout ailleurs. Aux conséquences de la Contre-Réforme s´ajoutent les destructions des Huguenots et des révolutionnaires sans oublier les disparitions de stalles jugées passées de mode au XVIIe et XVIIIe siècles.
L´église Saint-Symphorien de Couëron, en Loire-Atlantique, renferme un petit groupe de huit stalles, uniques rescapés de l´ancienne abbaye cistercienne Notre-Dame de Buzay. Cette abbaye fut détruite par un incendie en 1794 et, par la suite, transformée en carrière de pierres. Ces quelques éléments de stalles ont été remontés, à la fin des années 1870, dans les boiseries de la nouvelle église de Couëron. Malheureusement, leur état très fragmentaire a obligé les sculpteurs à faire avec ce qu´ils avaient : c´est ainsi que des bustes d´anges ont été remontés sur des corps de prophètes.
L´iconographie des stalles a également été à l´origine de nombreuses mutilations suite à la Contre-réforme et à certains mouvements populaires. Les Huguenots ont particulièrement endommagé certains ensembles de 1560 à 1570, et plus particulièrement en 1562. La Révolution de 1789 a engendré une vague de destructions sans équivalent dans les autres pays catholiques européens. Ainsi les stalles de Paris ont presque toutes été détruites et dans beaucoup d´autres exemples, elles ont été fragmentées et dispersées dans la région comme ce fut le cas pour les stalles de l´abbaye Saint-Victor, vendues par les chanoines en 1778.
À Tréguier, en 1793, c´est-à-dire un an avant que la cathédrale ne soit convertie en «Temple de la Raison», le Conseil de la Fabrique ordonna à quelques habitants de les démonter et de les cacher soigneusement. Elles furent réinstallées dans la cathédrale en 1801.
Cependant, les stalles bretonnes sont, d´une manière générale, plutôt bien conservées et réservent parfois quelques surprises. Ainsi, à l´église de Boquého, la jouée terminale nord conserve des traces de polychromie rouge, bleue et noire qui prouvent, encore une fois, que les stalles étaient peintes (peut-être pas dans leur intégralité, mais au moins sur certaines parties).
Les édifices de conservation ne sont pas toujours ceux d´origine et tous les ensembles ont été amputés d´une partie de leurs sièges. Trois groupes ont été fabriqués pour des cathédrales, deux pour des collégiales, deux également pour des abbayes et un pour une église de pèlerinage. Quant aux deux derniers ensembles, leur origine reste indéterminée.