Située sur la frange méridionale de la petite ville de Saint-Méen-le-Grand, l'ancienne abbaye, totalement méconnue il y a encore une dizaine d'années, dormait un peu à l'écart des circuits monumentaux. Il faut reconnaître que la disparition de sa nef depuis le XVIIIe siècle, l'occultation de nombreuses baies et sa désorientation au XIXe siècle ne plaidaient pas pour l'édifice qui a retrouvé lors d'une importante campagne de restauration une partie de son ancienne splendeur ainsi qu'un ensemble de peintures murales gothiques.
Saint-Méen-le-Grand est l’une des plus anciennes abbayes bretonnes, fondée au VIe siècle par l’ermite Méen, dont le tombeau devient dès le haut Moyen Âge l'objet d'un pèlerinage fervent : c'est là que le roi Judicaël, après avoir pris l'habit monastique, vint finir ses jours en odeur de sainteté, après avoir fondé le monastère proche de Paimpont. Cette aura eut un impact considérable au point de faire de Saint-Méen au début du Moyen Âge un sanctuaire important, symbole de la légitimité dynastique bretonne. Cette faveur ne se démentira pas pendant toute la période ducale.
L’église, plusieurs fois sinistrée et reconstruite par étapes aux XIe, XIIe, XIIIe et XIVe siècles, pose de nombreux problèmes d’interprétation. La nef, remontant d’après d’anciennes descriptions à l’époque pré-romane, en très mauvais état au XVIIe siècle et déjà désaffectée au début du XVIIIe, fut finalement détruite vers 1775. Lors de travaux de consolidation de la première moitié du XVIIIe siècle, le pignon du bras nord du transept fut démoli et remplacé par une croupe, ce qui a entraîné une réduction de la hauteur de la baie. Le transept servit alors de nouvelle nef ; pour installer des retables, plusieurs baies furent bouchées dont la maîtresse vitre du chœur, et la porte ouest alors remontée au pied de la tour. En 1850, l'ancienne église abbatiale devenue paroissiale, désormais réduite au transept et au chœur, fut réorientée, le portail ouest de nouveau remonté dans le pignon est, le clocher à l’ouest de la croisée devenant le chœur et l’ancien chœur servant de nef. Enfin, l'ensemble du chœur est couvert par un toit unique qui englobe les deux anciennes charpentes du vaisseau central et du collatéral nord. Les récents travaux de restauration ont permis de découvrir dans le mur sud de l’ancien chœur deux arcades à doubles rouleaux retombant sur une pile à colonne monolithe, deux oculi à l’aplomb dans l’axe ainsi qu'une baie à ressaut à l’est, de la fin du XIe siècle, vestiges probables de l’ouverture d’un bras de transept plus bas que le vaisseau principal, disposition caractéristique des débuts de l’époque romane. L’emplacement de la tour, qui n’est pas à la croisée, confirme l’ancienneté du plan originel. Ses murs épais, une porte et deux baies géminées au nord, semblent remonter à la seconde moitié du XIIe siècle. Son dernier étage ainsi que les chapiteaux et les culots figurés de sa voûte se situent vers 1200. Le transept et le chœur furent reconstruits à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle.
Lors de cette campagne de construction, les arcades sud de l'ancien chœur roman, qui devaient ouvrir sur un collatéral, ont été condamnées. Cet espace de 14 m sur 5 m désormais fermé a été voûté de trois travées d’ogives, et ses murs reçoivent, vers 1300, un décor de peintures murales illustrant la vie de saint Méen. Contrairement à l'opinion avancée par plusieurs auteurs, cette pièce n'a probablement jamais été une salle capitulaire : son emplacement, à l'opposé de l'ancien cloître au nord, infirme radicalement cette thèse hasardée sur une simple similitude d'aspect. Elle semble bien plutôt avoir été conçue dès l’origine pour renfermer l’important trésor de l’abbaye, qui abritait entre autres précieuses reliques les chefs et bras reliquaires de saint Méen et de saint Judicael, mentionnés dans une description de 1646. Son unique accès d'origine, par une petite porte dans le mur sud du chœur, ses voûtes d'ogives et ses fenêtres encore garnies de leurs grilles d'origine semblent appuyer l’hypothèse. Le style des peintures murales et la représentation dans une des scènes d'un carme au manteau rayé, abandonné par cet ordre au profit du manteau blanc à partir de 1287, situent ces peintures aux alentours de 1300. L'ouverture actuelle de cette pièce sur le bras sud du transept après démolition du refend qui l'en séparait résulte de sa transformation au XVIIe siècle en chapelle dédiée à saint Vincent Ferrier, puis de nouveau en sacristie au XIXe siècle.
Le vaste transept, long de 35,50 m dans-œuvre, présente une disposition originale à chapelles orientées peu profondes, de plan rectangulaire, qui rappelle les plans cisterciens, l'une au sud dédiée au Saint-Esprit et l'autre au nord à Notre-Dame de Bon Secours. Le carré de la croisée ne sert qu'à délimiter l'espace intérieur de l'édifice et, curieusement, l'arc triomphal marquant l'entrée du chœur s'interrompt bien avant le lambris de couvrement du chœur qui file de manière continue depuis le mur du chevet jusqu'à celui de la tour à l'ouest. Le vaste transept largement débordant et dont les bras sont presque aussi longs que le chœur est rigoureusement scandé sur toute sa longueur, du nord vers le sud, par une série de cinq arcades que recroise au milieu deux autres arcades d'est en ouest délimitant la croisée. Comme le montre bien le décalage important du raccord du transept avec la tour du côté nord, ce nouveau chœur est sensiblement plus large que l'ancien ; il n'est pas voûté mais couvert d'un lambris en berceau brisé. L'architecture très particulière de ce transept est scandée de demi-colonnes adossées à des massifs aux arêtes chanfreinées Curieusement et de façon plutôt inhabituelle, le rouleau externe des arcs puissamment moulurés retombe non sur une colonnette mais sur les extrémités des murs : ce détail qui confère à l’ordonnance une élégance austère rappelle l'église de l'abbaye de Beauport. A la croisée, l'absence de colonnettes dans l'angle rentrant des piles est naturellement liée ici à l'absence de voûtement. Cette transcription épurée des formules du gothique classique met l'accent sur la vigueur de la mouluration des arcs qui font alterner de larges tores et de profonds cavets. Les beaux chapiteaux à crochets parfaitement dessinés ainsi que les bases retrouvées lors de sondages archéologiques, malheureusement de nouveau enfouies depuis, qui ont révélé des galettes débordantes et des lignes de perles semblables à celles que l’on trouve dans le chœur de Saint-Sauveur de Redon, appartiennent pleinement au gothique classique et orientent vers une datation du dernier tiers du XIIIe siècle. Le réseau de l'importante et haute verrière qui s'ouvre généreusement dans le bras sud, bien au-delà de la base du pignon, est constitué de deux larges arcatures géminées dont les trois lancettes sommées d'arcs aigus se recroisent à leur sommet. Ces arcs recroisés, fréquents dans le milieu anglo-normand, que l'on retrouve sur les baies du collatéral nord du chœur, étaient également visible jusqu'au milieu du XIXe siècle dans une baie du mur ouest du bras sud, murée depuis. Dans la grande baie du bras sud, les formes ainsi déterminées sont remplies de rosaces à six ou cinq lobes, et le sommet occupé par une rose elle-même composée de sept petites roses à six lobes. Parmi les fragments de vitraux conservés, le rondel central au sommet de la baie présente un écu échiqueté d’or et d’azur à la bordure de gueules, brisé d'un franc quartier d’hermine, armes utilisées par les ducs de Bretagne depuis Pierre de Dreux, baillistre de Bretagne entre 1213 et 1237 et jusqu’en 1316, date à laquelle Jean III adopte l’écu d’hermine plein, date qui donne donc pour le transept un terminus ad quem. Il faut probablement attribuer cette campagne de construction à Jean II, duc de 1286 à1305, époux de Béatrice, fille du roi d'Angleterre Henri III.Le collatéral nord du chœur, que les actes anciens appellent “ chapelle de Saint-Florent et de Saint-Méen ” en souvenir du transfert des reliques de saint Méen à l'abbaye de Saint-Florent de Saumur au IXe siècle, double littéralement le chœur. De même hauteur que le vaisseau principal, par ses larges et hautes baies percées dans le mur nord et les larges arcades qui l'en séparent, il supplée au côté sud presque complètement aveugle. D'un style radicalement différent de celui du transept, ce collatéral nord a été reconstruit dans la première moitié du XIVe siècle. Les chapiteaux à feuillages souples et gonflés rappellent ceux du chœur de Dol et de Saint-Suliac. Les bases prismatiques à ressauts, les baies à lancettes aiguës qui se recoupent ont des accents anglo-saxons que l'on retrouve à la même époque à Notre-Dame de Lamballe. Le style tellement particulier de ces arcades, leurs bases à galette saillante sur une masse à pans coupés moulurée en talon, leurs chapiteaux à corbeille étirée que surmonte un tailloir à plusieurs ressauts pourraient sans difficulté passer pour l’œuvre d'un maître d'outre-Manche. Le tailloir qui touche la croisée, orné de serpents entrelacés rappelant de façon troublante les enluminures carolingiennes, fait sans doute aussi allusion à la légende de saint Méen auquel on attribuait d'avoir chassé des environs d'Angers un serpent monstrueux. Au fond, dans le mur du chevet, l'ancienne baie du collatéral, mise au jour lors de la récente restauration, présente un réseau anguleux à base de trilobes et de quadrilobes qui, avec les larges baies à dessin recroisé percées dans le mur nord, permettent de situer la reconstruction de cette partie de l'église au cours de la première moitié du XIVe siècle.
Dans le contexte de la création bretonne de la seconde moitié et de la fin du XIIIe siècle, le chantier de Saint-Méen-le-Grand apparaît comme déterminant. La richesse, le renom de cette abbaye et la faveur ducale qui s'attache à l'époque de sa reconstruction montrent que le choix qui a été fait d'un couvrement en bois et non d'un édifice voûté de pierre n'est pas alors jugé indigne d'un important et prestigieux sanctuaire de pèlerinage. Cette préférence, alors relativement atypique dans le royaume, porte sans doute déjà la marque de la singularité de la création gothique bretonne. L'option retenue ici apparaît bien non comme une solution économique ou le palliatif d'une méconnaissance mais comme un véritable choix esthétique.