• enquête thématique départementale, PNR Golfe du Morbihan - Patrimoine bâti maritime
Le patrimoine bâti ostréicole (Parc naturel régional du Golfe du Morbihan)

Dossier non géolocalisé

  • Dénominations
    installation aquicole
  • Aires d'études
    PNR Golfe du Morbihan
  • Adresse
    • Commune : Arradon
    • Commune : Le Hézo
    • Commune : Locmariaquer
    • Commune : Séné
    • Commune : Saint-Philibert
    • Commune : Île-d'Arz
    • Commune : Damgan
    • Commune : Bono
    • Commune : Crach
    • Commune : Baden
    • Commune : Pluneret
    • Commune : Surzur
    • Commune : Theix-Noyalo
    • Commune : Saint-Armel
    • Commune : Sarzeau

Activité expérimentale au début du XIXe siècle, l’ostréiculture s’est peu à peu imposée sur une grande partie du littoral pour devenir une activité identitaire du territoire du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan. En effet, à partir de 1850, l’ostréiculture se développe le long des principales rivières (rivières de Saint-Philibert, de Crac'h, d'Auray, du Bono et de Noyalo), sur le littoral et l’estran des communes du Golfe du Morbihan, ainsi que dans l’estuaire de la rivière de Pénerf.

Les éléments bâtis qui témoignent de l’activi­­té ostréicole sont très présents sur le territoire d’étude. D’un point de vue quantitatif, ils représentent la catégorie de bâti inventoriée la plus importante.

(Christelle NICOLAS ; Marianna FUSTEC; Irène BEGUIER)

L’ostréiculture moderne, c’est-à-dire la culture des huîtres via la maîtrise des différentes étapes de la mise en culture (captage, élevage, affinage), se développe dans la seconde moitié du XIXe siècle après plusieurs décennies d’expérimentation. Avant cette période, les populations littorales vont puiser la ressource, par la pratique de la pêche, dans les bancs naturels d'huîtres plates, ostrea eludis, dont l’espèce indigène est présente en grand nombre sur le territoire d’étude. L’activité de pêche est saisonnière et pratiquée par tous (hommes, femmes et adolescents), soit à la drague, soit au râteau. F. Le Masson du Parc, dans son ouvrage État des pêches maritimes sur les côtes occidentales de la France au début du XVIIIe siècle1, indique qu'à Séné, Locmariaquer ou au Bono, la pêche des huîtres se pratique alors "à l'entrée de la baye et à la mer [...] à la drague et avec râteau". Jusqu'à la veille de la seconde guerre mondiale, les journées de drague marquent la fin de l'hiver et le début de la saison de pêche.

Réglementation et gestion de la ressource naturelle par l’État

Suite à la non gestion et à la surexploitation des bancs naturels d'huîtres, la ressource s’épuise au cours de la première partie du XIXe siècle. Selon Olivier Levasseur2, à cette période, les bancs naturels du Golfe du Morbihan sont particulièrement concernés. En 1852, afin de protéger la ressource, une loi est votée pour réglementer la pêche des huîtres. Cette loi organise les conditions d’exploitation des bancs. Un dispositif de surveillance des huîtrières est également mis en place. Cette réglementation donnera lieu, notamment, à l’acquisition de terrains par l’État près des bancs naturels pour la construction de logements de gardes maritimes3. Malgré les mesures réglementaires adoptées par l’État et les expérimentations pour réensemencer les bancs naturels d’huîtres, cela ne suffit pas à enrayer l’épuisement de la ressource. En 1888, sur la rivière du Bono et celle d'Auray, 140 bateaux draguent en neuf jours près de trois millions d'huîtres issues des gisements naturels de Sainte-Avoye et Plessis jusqu'à la pointe du Blair4. Louis Joubin, de l'Institut océanographique et professeur au Museum d'Histoire naturelle de Paris, mène entre 1907 et 1908 un état des lieux des gisements de coquillages comestibles compris entre la Vilaine et la rivière d'Auray 5, 6, 7. A cette occasion, il recense les bancs naturels d'huîtres plates (ostrea eludis), ceux disparus, ceux en cours d'évolution ainsi que les viviers et parcs de dépôt. Son étude révèle une disparition importante de bancs naturels dans le golfe et à l'embouchure des rivières du Vincin et de Noyalo, ainsi qu'une exploitation ostréicole dominante dans les rivières de Crac'h, d'Auray et de Pénerf. Jusqu'en 1914, la drague dure environ huit jours, puis quatre jours dans les années 1930, en raison théoriquement d'une heure quotidienne. La pêche des bancs huîtriers perdurera jusqu'en 1940 dans le Golfe du Morbihan8.

Naissance et évolution de l’ostréiculture

Parallèlement aux mesures prises par l’État, on assiste entre 1850 et 1875 au développement empirique de l’ostréiculture et des techniques de captage, d’élevage et d’affinage. Ce développement rapide de l'ostréiculture moderne s'inscrit dans la continuité des travaux du naturaliste et professeur du Collège de France, Jean Marie Cyprien Victor Coste (1807-1873), et du commissaire de la Marine à Saint-Servan, Ferdinand François De Bon (1813-1884). J.M.C. Victor Coste formule en 1847 les mécanismes de reproduction des huîtres9 et étudie à partir de 1853, à la demande du gouvernement, des méthodes pour collecter le naissains10. C'est pendant cette période, comprise entre 1850 et 1870, que la princesse Elisa Napoléon Baciocchi (cousine de Napoléon III), alors en relation avec J.M.C. Victor Coste, installe dans sa propriété de Toulvern des parcs à huîtres expérimentaux11. A partir de 1850, les techniques de captage du naissain à partir des bancs naturels d'huîtres plate vont être appliquées sur le territoire et de nombreuses concessions vont être attribuées pour l’élevage des huîtres. Dans le golfe du Morbihan, M. Chaumel et Eugène Leroux affinent ces techniques de captage. M. Chaumel, à partir de 1862, étudie la période favorable au captage en observant des ruches de tuiles demi-rondes placées dans la rivière d'Auray et de Pénerf12. De son côté, en 1867, E. Leroux, implanté sur l'île de Cuhan en rivière de Crac'h, invente la technique du "bouquet de tuiles"13, qui sera rapidement préférée aux autres collecteurs placés à même le sol (fagots, plateaux de bois, etc.). Par ailleurs, depuis 1865, grâce aux recherches menées par le docteur Kemmerer sur l'Île de Ré et celles de Jules Michelet à Arcachon, la technique des tuiles chaulées, facilitant le décollage des jeunes huîtres, a été adoptée par les parqueurs14 du golfe du Morbihan. Les rivières d'Auray et du Bono, qui comptent 300 hectares de bancs naturels (du moulin de Poulben en aval de Saint-Goustan, en passant par la chapelle de Sainte -Avoye à Pluneret jusqu'à l'étier de Coët-Courzo à Locmariaquer)15, profitent de ces avancées techniques et deviennent l'un des berceaux de l'huître plate du golfe.

Au départ, ceux qui se lancent dans l’aventure sont majoritairement issus de milieux favorisés. Par exemple, au Bono, les premiers chantiers ostréicoles sont fondés par des notables, tels que M. Jean Le Clair qui en 1861 possède au Berly un parc à huîtres de 26 ares ou encore M. Félix de Thévenard, notaire puis maire d'Auray, qui en 1865 fonde un chantier au Paluden, à proximité de sa propriété du Rocher16. Puis, avec l’évolution de la législation, l’activité ostréicole va se développer et s’étendre à une grande partie de la population littorale. Ainsi, en 1866, est créé le long de la rivière du Bono, en amont du Pont suspendu, "le parc de la société", géré par six familles. Encouragées par les autorités maritimes, des structures similaires, regroupant veuves et marins retraités, font également se développer à la même période à la Trinité et à Pénestin. Dans leur ouvrage, Le Bono au temps des forbans, Alain Brulé et Fabienne Morio indiquent : "En 1875, le quartier maritime d'Auray compte déjà 300 concessions. En 1903, les seuls rivières d'Auray et du Bono en totalisent 826. [...] Sont d'abord occupées les zones dures sur la rive gauche de la rivière accessible à pied lors des grandes marées. [...] La rivière se montrant féconde et généreuse, les parcs de captage gagnent rapidement la limite des vasières (Kerdréan, Sarcelle). [...] A la veille de la guerre, pratiquement toutes les surfaces susceptibles de recevoir des collecteurs sont concédées dans la rivière. Une soixantaine de terre-pleins on été édifiés [...]".

Les parcs ostréicoles sont concédés à des personnes provenant de milieux très différents et parfois totalement étrangères au milieu maritime. Ainsi, c’est une société anonyme, créée en 1883 et dont le siège social est situé à Paris17, qui exploite l’anse de Brénéguy à Locmariaquer. Dissoute en 1885, les bâtiments ainsi que les vestiges des différents bassins de l’exploitation sont toujours visibles aujourd’hui. Ce site se distingue par le nombre, la structuration et la superficie des bassins.

Dès lors, à partir des années 1880, les paysages littoraux vont être transformés durablement par l’aménagement de parcs18, de terre-pleins, la construction de bassins submersibles, de cabanes de chantier et de maisons qui permettent d’abriter les concessionnaires ou les gardes des chantiers ostréicoles. A hauteur de la rivière du Bono, le premier terre-plein est construit en 1869 par Joseph Le Gac, ostréiculteur à Pen Castel à Arzon. Situé sur la rive droite de la rivière, juste en aval du pont suspendu, ce terre-plein est accompagné d'une maison de gardien.

Entre les années 1920 et 1970, malgré plusieurs épisodes de crises où la ressource en huître plate est affaiblie, l’activité ostréicole en Bretagne sud connaît une période de forte croissance et reste un centre de production d'huître plate important. Suite à la crise de 1920, les huîtres de parcs et de bancs de Bretagne sont décimés, provoquant une pénurie de naissain (en rivière d'Auray, en 1919, vingt naissains étaient récoltés par tuile, quatre en 1921 et un seul en 1924)19. Dès lors l'huître devient un produit de luxe, affichant un prix au kilo passant d'environ 0,75 franc en 1919 à 5 francs en 1923 et 14 francs en 1928. Pour remédier à cette situation le ministère de la Marine marchande interdit en 1923 le dragage sur les bancs des rivières d'Auray et d'Etel puis l'Etat accorde, cette même année, une subvention de un million de franc pour réensemencer les bancs des rivières d'Auray, de Crac'h et de Pénerf20. Cette première crise a entraîné, à hauteur de la rivière d'Auray et du Bono, la disparition de petits chantiers, souvent tenus par des femmes. En revanche, les chantiers qui ont su traverser la crise se sont étendus. L'ostréiculture devient dès lors dans ce secteur un second métier excercé à plein temps par des marins retraités ou actifs, qui vont également pratiquer l'élevage sur des parcs situés à Locmiquel (Baden), Locmariaquer ou l'Île-aux-Moines. La période de l’après-guerre est caractérisée par un développement important de l’activité (augmentation des surfaces exploitées, multiplication des concessions).

A partir des années 1970, les maladies parasitaires (Marteilia refringens et Bonamia ostreae) qui déciment la ressource vont profondément modifier les pratiques ostréicoles sur le territoire. Le Golfe du Morbihan, jusqu’alors principal fournisseur du naissain d’huître plate, doit alors importer massivement du naissain d’huîtres creuses (crassostera angulata puis crassostrea gigas) pour l'élever. Ce bouleversement aura de fortes conséquences sur l’organisation et les pratiques de la filière ostréicole. Dans la rivière du Bono, trop encaissée pour installer des parcs d'élevage, l'activité ostréicole s'arrête en 1974.

Notes de bas de page :

1. F. Le Masson du Parc, Etat des pêches maritimes sur les côtes occidentales de la Franceau début du XVIIIe siècle, 1728, ADM.

2. Olivier Levasseur, L’histoire de l’huître en Bretagne, Broché, Skol Vreizh, avril 2006.

3. D Ragiot., Carte des côtes du quartier maritime d'Auray, dressée pour le service ostréicole, [Document cartographique] / par ordre de Mr. le Ministre de la Marine ; Gravé par F. Dufour ; Paris : Lemercier et Cie., 1880.

4. Louis Joubin, Notes sur les gisements de mollusques comestibles des côtes de France: la région d'Auray (Morbihan), avec I carte, Bulletins de l'Institut océanographique de Monaco, n°89, 15 janvier 1907.

5. Ibid. Louis Joubin, Bulletin de l'Institut océanographique, 1907.

6. Louis Joubin, Notes sur les gisements de mollusques comestibles des côtes de France, le Morbihan oriental, Bulletin de l'institut océanographique, n°116, 10 mai 1908.

7. J. Guérin Ganivet, Notes sur les gisements de mollusques comestibles des côtes de France, la côte Morbihannaise d ela rivière d'Etel à l'anse de Kerguelen, Bulletin de l'Institut océanographique, n°155, 20 décembre 1909.

8. Ministère de l’agriculture et du développement rural, Direction départementale du Morbihan, L’ostréiculture : aménagement du Golfe du Morbihan, Vannes, novembre 1972.

9. J.M.C. Victor Coste, spécialiste en pisciculture, théorise en 1847 la théorie de l’œuf et découvre l'hermaphrodisme de l'huître (voir A. Brûlé et F. Morio, Le Bono au temps des forbans, L'essor d'une communauté maritime, éd. Association Le Forban du Bono, 2017, p.110- 111.

10. F.F. De Bon expérimente dès 1852 des collecteurs artificiels pour recueillir du naissain.

11. Représentante de l'empereur qui souhaite développer la région Bretagne, la Princesse Baciocchi appuiera des initiatives dans le domaine agricole et maritime. Elle aménagera également une pêcherie, aujourd'hui comblée de terre, sur le domaine de Toulvern.

12. A.E Hausser, L'industrie huîtrière dans le Morbihan, Dunod, 1876.

13. Un bouquet est un assemblage de 10 ou 12 tuiles chaulées croisées, réunies entre elles par deux fils de fer passant chacun dans un trou percé à cet effet aux extrémités de chaque tuile. L'ensemble est ensuite accroché à l'extrémité d'un piquet.

14. Jusqu'en 1875, date à laquelle apparaît le mot ostréiculteur dans le dictionnaire étymologique Larousse, le mot parqueur était utilisé. Le mot ostréiculture apparaît en 1868.

15. Louis Joubin, Carte des gisements des coquillages comestibles de la côte du Morbihan, comprise entre la rivière d'Auray et la rivière d'Etel, Institut océanographique, novembre 1906.

16. Op. cit. A. Brulé et F. Morio, 2017, p. 113, 115, 116.

17. Jeanine Le Bihan, Ostréiculture et société ostréicole en Bretagne sud (1850-1986), travaux universitaires, sous la direction de Gérard Le Bouedec, 2007.

18. L’observation de l’ortho-photographie de 1950 permet de distinguer les délimitations des parcs ostréicoles sur le Domaine Public Maritime et de constater leur importance dans le paysage.

19. Op. cit. A. Brulé et F. Morio, 2017, p.123; Pierre Dalido, L'huître du Morbihan, M. Rivère et Cie, 1948.

20. Ibid. A. Brulé et F. Morio 2017, p. 123-124.

(Christelle NICOLAS ; Marianna FUSTEC; Irène BEGUIER)

  • Période(s)
    • Principale : 2e moitié 19e siècle, 21e siècle

Un territoire adapté au développement de l’ostréiculture

L’activité ostréicole se développe dans les zones abritées, dans les petites mers intérieures, les estuaires et les rivières maritimes en fond de baie et d’anse. La localisation de l’activité ostréicole est très souvent liée aux caractéristiques naturelles du site : géomorphologie et dynamique du trait de côte (zones abritées et se découvrant au gré des marées), nature du sol, caractéristiques hydrographiques (niveau de salinité, turbidité, température, courants, etc.). En fonction de ses spécificités, un site pourra être plus propice au captage de naissain, à l’élevage ou à l’affinage. Ainsi, jusqu’à l’épuisement de la ressource naturelle, dans le 4ème quart du XXe siècle, les rivières d’Auray, du Bono et de Crac’h sont reconnues dans le milieu ostréicole pour le captage du naissain d’huîtres plates. La rivière du Bono, rivière encaissée qui ne présente pas de grandes vasières littorales, est un centre de captage important peu adapté à l’élevage. Les communes du bassin central du Golfe, de Locmariaquer, de Saint-Philibert et de Damgan présentent, quant à elles, de grandes vasières, abritées des courants forts favorables à l’élevage et à l’engraissement des huîtres dans des parcs. L’affinage est très peu pratiqué sur le territoire d’étude, hormis quelques secteurs : Pénerf, Saint-Armel, etc. Les anciens marais salants, historiquement présents en très grand nombre sur le territoire d'étude, ont pu être utilisés en tant que “claires”, et surtout en tant que parcs d'élevage et bassins de stockage (saline de Lasné et du Ludré à Saint-Armel, saline de Bénance à Sarzeau, saline de Pencadénic au Tour-du-Parc, saline de Rudevent à l’Ile d’Arz, saline du Hézo, saline de Pentès à Surzur, saline du Roch'Du à Crac'h et saline de Brénéguy à Locmariaquer).

Une pluralité de bâtis

Le patrimoine bâti ostréicole embrasse plusieurs éléments : terre-plein, ca­le, rampe ou escalier d’accès à l’estran, bassin ou réservoir (submersible ou insubmersible), parc de culture, atelier de travail, lieu de stockage, habitation de garde ou de concessionnaire ostréicole. L’association de ces différents éléments bâtis, en totalité ou pour partie, forme le “chantier ostréicole”.

Adapté aux particularités du territoire et aux besoins du concessionnaire, le chantier ostréicole se traduit par des formes et une organisation plurielle. En effet, il ne correspond pas à une typologie unique et figée mais résulte d’une combinaison de bâtis pour le développement de l’activité de captage, d’élevage, d’affinage et/ou de commercialisation ostréicole. Le modèle de gestion de l’exploitation (familial, entrepreneurial, etc.) induit également une organisation spécifique du chantier. En outre, l’organisation des chantiers ostréicoles, les formes et l’apparence des bâtis ont évolué au cours du temps en parallèle de l’évolution des techniques, des matériaux et des pratiques ostréicoles (passage de la culture de l’huître plate à l’huître creuse, mécanisation des moyens et augmentation des volumes de production, etc.). Ainsi à partir des années 1970, la physionomie des chantiers ostréicoles se modifie profondément : les terre-pleins en pierre sèche s'agrandissent par l’ajout de béton et les petits ateliers en bois ou en pierre sont remplacés par des ateliers et habitations, en parpaings enduits.

Les éléments bâtis qui composent le chantier ostréicole peuvent être construits sur le Domaine Public Maritime et/ou sur le domaine terrestre. Pour obtenir le droit de construire un chantier ou d'exploiter un parc ostréicole, l’ostréiculteur doit obtenir une concession auprès de l’État pour l’occupation temporaire du Domaine Public Maritime. L’administration maritime a en charge, dès les prémices de l’activité ostréicole, d’encadrer les pratiques et les conflits d’usages sur le Domaine Public Maritime.

Au début du XXe siècle, les huîtres sont disposées dans des parcs de culture presque toujours à plat sur le sol dans des zones abritées des courants. Selon Louis Joubin, auteur de l’Étude sur les gisements de mollusques comestibles des côtes de France, éditée en 1908 : “Les parcs sont des espaces nettoyés d’herbes, sablés ou durcis [...]. Certains parcs sont entourés de murs étanches permettant de conserver l’eau, d’autres sont entourés de murettes en pierre sèche ou simplement balisés”. Ces parcs « au sol », dont les traces sont peu visibles aujourd'hui, ont pour l’essentiel été abandonnés, avec le développement de l’huître creuse, pour laisser place à la culture « sur tables » devenue la principale pratique1. L'évolution des pratiques de culture et l'augmentation du volume de production ont sensiblement modifié le paysage maritime.

Le terre-plein est un élément caractéristique du chantier ostréicole. Construit sur l’estran, le long du trait de côte, il offre un espace de travail au plus près de la ressource et permet de faciliter les échanges entre le domaine maritime et le domaine terrestre. Essentiel à l’ostréiculteur, le terre-plein transforme et rythme le paysage littoral. La superficie du terre-plein est adaptée à son usage. Toujours utilisés aujourd’hui par les professionnels ostréicoles, les terre-pleins permettaient autrefois de préparer les collecteurs de naissains, d’entreposer les tuiles chaulées, de laver, de détroquer les huîtres (le détroquage consiste à décoller le naissain des collecteurs), d’entreposer du matériel, etc. Jusqu’à l’apparition de nouveaux matériaux, le béton notamment, le terre-plein est constitué d’un muret réalisé en pierre sèche qui permet de soutenir un remblai constitué de différents matériaux : terre, pierre, vase, bois, etc. Le muret est établi de manière à ne pas être submergé lors des grandes marées.

Une cale, un escalier ou une rampe d’accès, à l’origine construits en pierre, peuvent être associés au terre-plein pour faciliter le lien terre-mer, l’accostage et le débarquement.

A proximité du terre-plein et des parcs, on observe très souvent un bassin ou réservoir sur l’estran, qui permet de protéger les collecteurs d’huîtres pendant l’hiver et de stocker les huîtres dans l’attente de leur expédition ou de leur détroquage. Ces bassins sont construits, à l’origine, en pierre sèche puis dans la seconde moitié du XXe siècle en béton. Ils sont de plan rectangulaire ou carré et présente un système de vannage. Les bassins insubmersibles, qui apparaissent dans la seconde moitié du XXe siècle, construits en béton sur le domaine terrestre, permettent notamment d’isoler les huîtres de pollutions potentielles dans le milieu marin.

Sur les terre-pleins ou, à proximité, sur le domaine terrestre ont été édifiés des bâtis qui permettent de travailler à l’abri des intempéries et de stocker du matériel mais aussi, parfois, de loger un gardien ou le concessionnaire du chantier ostréicole. Les cabanes, ateliers et lieux de stockage présentent une diversité de formes architecturales et de matériaux qui correspondent à des usages ainsi qu’à des époques de construction différents.

Les bâtiments les plus anciens encore visibles aujourd'hui se trouvent essentiellement le long de la rivière du Bono2. Les premières cabanes ostréicoles sont construites en bois avec un toit en tôle ondulée. Le nombre de tôle commandé indiquait la taille de la cabane: "On les [les cabanes] commandait à la tôle! [...] Il y en avait quelques-unes à deux tôles mais c'était tout petit. Les trois tôles faisaient 2,60 mètres par 2 mètres; quatre tôles c'était un parc [un chantier] important où il y avait un certain nombre de tuiles"3. Ces cabanes en bois étaient enduites de coaltar, un sous-produit de la distillation de la houille4, qui leur donnait une couleur noire.

Cependant, sur le territoire d'étude, la plupart des ateliers ostréicoles inventoriés sont en parpaing enduit avec une toiture double pente et une couverture en tôle ondulée ou en fibro-ciment. La toiture présente généralement deux cheminées. Les bâtis sont de volume moyen. L’accès de service est généralement situé sur l’un des pignons. Les murs gouttereaux sont rythmés par une série d’ouvertures horizontales.

Certains ateliers ostréicoles se distinguent par la singularité de leur architecture et/ou des matériaux employés. C’est notamment le cas des ateliers ostréicoles construits en pierre avec une couverture en ardoise. Par exemple, le petit atelier situé sur la commune de Saint-Philibert près de la chapelle, parallèlement au trait de côte. Il présente des ouvertures, deux fenêtres et une porte, sur le mur gouttereau ainsi que deux souches de cheminée. D'autres ateliers en pierre avec une couverture en ardoise sont aussi observés ponctuellement le long de la rivière d'Auray (lieux-dits du Guern et Le Rohello à Baden), de la rivière de Crac'h (Kersolard à Crac'h) et du golfe (Bois-Bas, pointe de Locmiquel à Baden). Une autre, construite au nord-ouest des Sept Îles (Baden) est datée de la fin du XIXe siècle. Egalement datées de la fin du XIXe, début du XXe siècle, une cabane en pierres avec cette fois un toit en tôle ondulée est observée le long de la rivière d'Auray, à hauteur du lieu-dit de Kérentré (Crac'h). Restaurée en 2015, cette cabane s'intègre dans un ensemble comportant un hangar à bateaux/lieu de stockage taillé dans la roche et la maison de l'ostréiculteur, également construite en pierre avec une toiture en ardoise à la fin du XIXe siècle.

Ponctuellement, on observe également sur les communes de Séné et d’Arradon des ateliers ostréicoles, de petit volume, qui présentent une cale dans la continuité du pignon. Ces ateliers sont construits en parpaing. Certains bâtis sont enduits, d’autres sont bruts. Ils présentent une toiture, en tôle ondulée, de type monopente ou double pente.

Sur plusieurs chantiers ostréicoles, l’atelier coexiste avec l’habitation du concessionnaire. Quelques chantiers regroupent, au sein d'un même bâti, l’habitation et l’atelier (ex : Saint-Philibert et Crac'h (Kersolard, Fort Espagnol) - rives de la rivière de Crac’h). A Locmariaquer, Surzur ou encore Crac'h des ateliers ostréicoles sont associés à un second édifice qui semble avoir une fonction d’habitation. Ces édifices sont reconnaissables à la juxtaposition d’un volume vertical à un volume horizontal.

Sur le territoire d’étude, l’opération d’inventaire a également permis de mettre en avant quelques édifices à l’architecture unique. C’est notamment le cas de l’atelier ostréicole situé au nord du port de Locmariaquer. Il est revêtu d’un enduit blanc et présente une toiture à double pente, en ardoise. Orienté face à la mer, le pignon présente -dans sa partie haute- des modénatures ainsi qu’un ensemble d’ouvertures en anse de panier. Des bassins en béton et un important système de gestion hydraulique complètent l’ensemble architectural. Au lieu-dit Roguédas, à Arradon, un ancien atelier ostréicole en pierre se démarque des chantiers ostréicoles de la commune5. Édifié sur un terre-plein, il présente de grandes ouvertures en plein cintre soulignées par un entourage de briques. Egalement, sur l'Île Renaud, une petite cabane en pierre avec un toit en tôle ondulé monopente comporte au dessus de sa porte d'entrée un linteau taillé correspondant certainement à un remploi de l'ancien château de l'île, aujourd'hui disparu. Cette cabane ostréicole, équipée d'une cheminée et associée à un terre-plein et à un bassin submersible en pierre-sèche, aurait été construite entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Elle a fait l'objet de travaux en 2005.

L'étude des archives -et notamment de la carte des côtes du quartier maritime d’Auray dressée pour le service ostréicole par le commandant Ragiot (1880)- nous indique que d’autres édifices liés à la surveillance des parcs à huîtres étaient présents sur le terrain d’étude. L'identification précise de la présence de ces bâtis n'a pu être réalisée dans le cadre de cette étude. Si la présence d'un bâti de surveillance au lieu-dit Les vieilles presses, sur la commune de Saint-Philibert, reste une hypothèse, la fonction de cabane de gardien de parcs à huîtres pour la tour du Tenero à l'Île d'Arz semble quant à elle attestée6.

Un patrimoine ostréicole en constante évolution

L’opération d’inventaire a recensé des chantiers ostréicoles présentant des états de conservation très divers. Quelques édifices ou chantiers ostréicoles présentent un bon état de conservation et n’ont pas été remaniés depuis leur construction. Toutefois, pour la majorité, la structure des chantiers ostréicoles a fait l'objet de réfections ou d'aménagements. Au sein d’un même chantier ostréicole, les bâtis correspondent, très souvent, à différentes époques de construction. En effet, l’aspect et la taille d’un chantier peuvent évoluer par extension, par fusion de plusieurs chantiers ostréicoles ou encore par l’ajout de nouvelles constructions à vocation technique ou d’habitation juxtaposant ainsi les volumes, les styles et les natures de matériaux au cours des années.

Egalement, au sein d’un même chantier ostréicole, les différents bâtis (cale, terre-plein, atelier, etc.) peuvent présenter un état de conservation inégal. Ainsi, les terre-pleins (en pierre sèche ou maçonnés) peuvent persister dans le paysage alors que les ateliers ostréicoles ont évolué ou disparu, comme le long de l'aber du Bono. Les terre-pleins peuvent aussi avoir été remaniés par l’ajout de béton (sous forme d’aplats, de parpaing ou par le réemploi de gravats et matériaux de comblement), endommagés par les facteurs naturels (érosion, submersion) et/ou la pression humaine (surfréquentation), menacés de disparition, ou encore détruits.

Certains chantiers ne présentent plus d’activité ostréicole et font l’objet de nouvelles affectations (habitation, dépendance, commerce d'activité nautique, association de restauration de bateaux traditionnels7, etc.). Aujourd'hui, la conservation du potentiel bâti de production est un enjeu majeur pour la profession ostréicole.

L'ostréiculture : paysages et ambiances

L’activité ostréicole a façonné, sur certains secteurs du territoire d’étude, une ambiance et des paysages ostréicoles spécifiques. Ainsi, sur les rives des rivières du Bono et d’Auray, les cabanes ostréicoles de petit volume dominent. Elles ponctuent le littoral et se succèdent à un rythme soutenu. Les cabanes parvenues jusqu’à aujourd’hui sont construites en bois, en pierre ou en parpaings. Elles présentent principalement une toiture monopente en tôle ou en fibro-ciment. Certaines cabanes présentent des matériaux bruts, d’autres sont colorées ou coltarées. Cet ensemble de bâtis témoigne de l’importance de l’activité de captage du naissain d’huître plate qui s’est développée en amont de la rivière d’Auray.

D’autres éléments participent à la création des paysages ostréicoles : les perches en châtaignier qui délimitent les zones de parcs de culture, les monticules de tuiles chaulées et les anciennes civières abandonnées sur les terre-pleins, ou encore les épaves de plates et de chalands en bois déposées sur l’estran.

En 2020, le patrimoine ostréicole de la rive droite de la rivière du Bono, rattaché à la commune de Pluneret, a été valorisé par l'écrivain, poète et philosophe Alexis Gloaguen, qui lui a consacré des textes poétiques, restitués lors d'une lecture publique8.

Note de bas de page :

1. Aujourd'hui, certains ostréiculteurs du Parc naturel régional ont choisi de conserver cette pratique d’élevage au sol.

2. Une vingtaine de cabanes en bois sont encore visibles le long de la rivière du Bono. Elles présentent différents état de conservation.

3. A. Brulé et F. Morio, Le Bono au temps des forbans, L'essor d'une communauté maritime, éd. Association Le Forban du Bono, 2017, p.126, 177 p.

4. Le coaltar utilisé sur les chantiers de la rivière du Bono provenait de l'usine de gaz d'Auray.

5. L'identification de la fonction de ce bâti résulte de sources orales obtenues lors d'entretiens avec des habitants de la commune d'Arradon.

6. Voir le dossier d'inventaire http://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/cabane-de-gardien-de-parcs-a-huitres-dite-tour-de-tenero/2a2759ea-df1a-467d-a89c-5c75caa8cba1

7. L'association Kaer E Men Bro de locmariaquer est installée dans l'ancien chantier ostréicole de Kerivaud accueillant aujourd'hui des bateaux traditionnels nécessitant d'être restaurés.

8. Alexis Gloaguen, lecture de texte sur le chantier ostréicole de Pluneret, 27 septembre 2020

(Christelle NICOLAS ; Marianna FUSTEC, Irène BEGUIER)

  • Toits

Documents d'archives

  • Carte des côtes du quartier maritime d'Auray, dressée pour le service ostréicole / par ordre de Mr. le Ministre de la Marine ; par Dré. Ragiot, ... ; Gravé par F. Dufour - 1880, BNF

    Bibliothèque nationale de France : ark:/12148/btv1b53021040t
  • JOUBIN Louis, Notes sur les gisements de mollusques comestibles des côtes de France, le Morbihan oriental, Bulletin de l’institut océanographique, n° 116, 10 mai 1908, Paris.

    Bibliothèque nationale de France
  • Ministère de l’agriculture et du développement rural, Direction départementales du Morbihan, L’ostréiculture : aménagement du Golfe du Morbihan, Vannes, Novembre 1972.

    Archives départementales du Morbihan
  • Louis Joubin, Carte des gisements de coquilles comestibles de la côte du Morbihan comprise entre la Vilaine et la rivière d'Auray, Institut océanographique, Décembre 1907

  • JOUBIN Louis, Notes sur les gisements de mollusques comestibles des côtes de France, le Morbihan oriental, Bulletin de l’institut océanographique, n° 116, 10 mai 1908, Paris.

    Bibliothèque nationale de France
  • Joubin Louis, Notes sur les gisements de mollusques comestibles des côtes de France, la région d'Auray, avec I carte, Bulletin de l'Institut océanographique, n°89, 15 janvier 1907

    Bibliothèque nationale de France
  • J. Guérin-Ganivet, Notes préliminaires sur les gisements de mollusques comestibles des côtes de France, la côte morbihannaise de la rivière d'Etel à l'anse de Kerguelen, Bulletin de l'Institut océanographique, n°155, 20 décembre 1909.

    Bibliothèque nationale de France
  • Louis Joubin, Carte des gisements de coquilles comestibles comprise entre la rivière d'Auray et la rivière d'Etel, Institut océanographique, novembre 1906

  • F. Le Masson du Parc, État des pêches maritimes sur les côtes occidentales de la France au début du XVIIIe siècle, 1728

    Archives départementales du Morbihan

Bibliographie

  • GUILLET Jacques et GUILLET Ronan, L'ostréiculture en Bretagne de 1850 à nos jours, Coop Breizh, Spézet, 2008

  • LE BIHAN Jeanine, Ostréiculture et société ostréicole en Bretagne sud (1850-1986), thèse sous la direction de Gérard le Bouedec, Lorient, 2007.

  • LE BIHAN Yves, Les activités maritimes du Golfe du Morbihan, Travaux universitaires, Rennes, 1966

    Archives départementales du Morbihan
  • LEVASSEUR Olivier, L’histoire de l’huître en Bretagne, Broché, Skol Vreizh, avril 2006

  • BRULE Alain, GUILLET Jacques, L’ostréiculture morbihannaise. Au berceau de l’huître plate, in Le Chasse-Marée, n°45, 1989

  • Association Culturelle de Rhuys, Les salines de Rhuys, dans le cadre du concours “Patrimoine des Côtes et Fleuves de France” organisé par les revues Chasse-Marée et Armen, Le Roche-Bernard, 1996, 151 p.

  • Alain Brûlé et Fabienne Morio, Le Bono au temps des forbans, Ed. Association le forban du Bono, 2017

  • Jacques de Certaines et al., Le Golfe du Morbihan, 5000 ans d'histoire, Éditions Apogée, 2021.

  • Pierre Dalido, L'huître du Morbihan, Étude économique et sociale, Librairie Marcel Rivière et Cie, 1861, 147p.

  • A.E Hausser, L'industrie huîtrière dans le Morbihan, Dunod, 1876

Date(s) d'enquête : 2017; Date(s) de rédaction : 2017, 2019, 2020, 2022