La pêche de la sardine à Locquémeau : témoignage écrit de Yves Audren, 1954 :

Les sardines apparaissent généralement dans la baie de Lannion vers la fin du mois de juin lorsque la mer commence à se réchauffer ; elles quittent la baie vers le début du mois de novembre dès l'apparition des premiers froids. C'est une pêche saisonnière comme la pêche du maquereau. Elle commence à Locquémeau vers le début du mois de juillet et dure jusqu'à la fin du mois d'octobre.

Le type de filet en usage chez les pêcheurs de Locquémeau est le filet droit, dit encore dérivant, c'est le type le plus courant. C'est une nappe rectangulaire en fil de coton très fin, mesurant quarante mètres de longueur et dix mètres de large. Cette nappe est teintée en bleu par un bain de sulfate de cuivre qui rend le filet peu visible une fois tendue en mer. Au moyen de deux galets fixés aux extrémités de la ralingue inférieure et de lièges fixés à la ralingue supérieure, on dispose ce filet dans un plan vertical à la traîne du bateau.

Cette pêche oblige le pêcheur à posséder un jeu de filets de "moules" différents. Le "moule" est la longueur calculée en millimètres comprise entre cinq noeuds du filet en extension complète. Pour exemple, le moule 64 correspond au côté de la maille : 64 : 4 = 16 mm.

En réalité, il n'y a que très peu de différence, non visible à première vue, entre deux filets de moules différents. Cependant, les pêcheurs peuvent "perdre leur pêche" à cause du moule trop grand ou trop petit de leur filet.

Comme appât on emploie de la rogue composée d'ovaires de morues préparés et conservés en saumure dans des barils. Cette rogue est importée d'Allemagne et principalement de Norvège. Elle est mélangée à des tourteaux d'arachide, pour faire de la boëtte. De la qualité de la rogue dépendent les résultats de la pêche. Les rogues doivent être constituées par des "graines" nombreuses et bien formées.

Durant la dernière guerre, la rogue rare était remplacée par un mélange de crabes cuits, de coquillages, de pommes de terre cuites, le tout mouliné finement, mais avec des résultats moindres.

Les pêcheurs emploient également comme appât la "mnuse", pêchée à marée basse sur la côte de Saint-Michel en Grève. Cet appât est excellent surtout lorsqu'il commence à être vieux.

Les pêcheurs n'iront que rarement tenter leur chance dans les endroits où "la sardine n'a pas encore donné", selon leur expression, ils tiennent compte des pêches précédentes pour tendre leurs filets.

Pour la pêche à la sardine, chaque bateau a une ou deux annexes qui sont des canots de deux mètres de long environ. La pêche se fait du canot tandis que le bateau croise dans les parages, prêt à subvenir aux besoins du canot en rogue ou en filet.

Dans le canot, deux hommes suffisent. L'un "tiendra la canot bout au vent", c'est à dire qu'il ramera de telle sorte que le canot avancera dans la direction opposée à celle du vent, pendant que le pêcheur debout à l'arrière, file le filet, tout en jetant de la boëtte à droite et à gauche pour attirer la sardine. Le filet dérive dans la direction du vent, alors que derrière le canot se forme une traînée huileuse (la "lime"), qui est due à l'appât.

Le rôle du rameur est de tenir le filet au milieu de la "lime" pour que l'ensemble du filet soit appâté. Savoir tenir bout au vent demande de l'expérience. Le filet devant toujours être à pic. Si l'on rame trop vite, la ralingue inférieure remonte un peu, les mailles se ferment, et les chances diminuent ; mais il ne faut pas non plus "nager" trop lentement car le filet se ramasse alors en paquet. Il faut aussi agir avec la même force sur l'un et l'autre des avirons, sinon, la queue du filet sort de la lime en même temps que le filet se met à plat.

Le pêcheur à l'arrière appâte toujours de part et d'autre du filet, tout en observant les alentours. Lorsque la sardine est en profondeur, et qu'elle va "lever", elle est annoncée par un bouillonnement intense. C'est maintenant que va commencer le travail du pêcheur qui appâte, et ici, il faut également de l'expérience.

Si la sardine, une fois levée, se présente des deux côtés du filet, tout est pour le mieux. Le pêcheur appâte alors le long des lièges. La sardine se précipite sur la rogue dont elle est très friande, donne dans le filet et se maille par les opercules.

Au contraire, si la sardine ne se présente que d'un seul côté du filet, le pêcheur essaie, à l'aide de l'appât, de l'attirer des deux côtés. Une grave erreur qu'il ne faut pas commettre est d'appâter abondamment le long des lièges, la sardine se maillant alors d'un seul côté, et exerçant une telle poussée que le filet se met à plat.

Lorsque la sardine "travaille" bien, les lièges s'enfoncent dans l'eau et des écailles remontent à la surface. Le pêcheur augmente la quantité de rogue projetée en tenant compte des mouvements du filet qu'il faut toujours tenir dans la lime ; ce qui n'est plus très facile car la sardine dérange le filet.

Quand le filet est arrivé assez lourd, ce qui se reconnaît aux lièges qui s'enfoncent dans l'eau, le pêcheur resté dans le bateau arrive et hâle le filet plein à bord, tandis que dans le canot, le pêcheur met un autre filet à l'eau.

Quelque-fois la sardine, même présente, ne peut être vue par le pêcheur. Celui-ci devine alors sa présence si, en appâtant le long des lièges, le filet s'enfonce dans l'eau.

Le courant est souvent le facteur d'une mauvaise pêche car il entraîne la ralingue inférieure et le filet se met à plat.

Lorsque la pêche est terminée, après avoir duré de une à trois heures, le bateau met le cap aussitôt sur le port.

Yves Audern, Mémoire d'étude, Ecole Normale, "Locquémeau, port de pêche", 1954.

20032206184NUCB : Archives départementales des Côtes-d'Armor, 4 num 1/18, Numplan 6.

20032206179NUCB : Archives départementales des Côtes-d'Armor, 4 num 1/48, Numplan 9.