Témoignage de André Le Houérou : ancien Terre-Neuvas de Plouha : synthèse

Pluah, le 23 mars 2006.

André le Houérou est né à Plouha le 9 novembre 1926. Il a effectué son premier embarquement à la "Grande Pêche"en 1951 sur le "Colonel Pléven" de l'armement Pléven de Saint-Malo. Les chalutiers entièrement motorisés (équipés de TSF et d'une chambre froide pour conserver la bouëtte) venaient de remplacer définitivement les voiliers mixtes et les cordiers, dont le "Lieutenant René Guillon" et le "Zaspiatbak" de cet armement. Ils côtoyaient sur les bancs 30 à 40 navires italiens, allemands espagnols, portugais (qui utilisaient encore des voiliers et des doris aux cordes en 1955). André Le Houérou a ensuite navigué sur d'autres navires pour cette compagnie ("Islande", "Madelena") et pour d'autres sociétés Vidal, Huret. A bord de ces chalutiers à pêche latérale, La campagne durait 4 mois entre Terre-Neuve, le Labrador et le Groenland, en mer Blanche, pour traquer la morue au chalut. Il a effectué au total 20 campagnes d'abord comme matelot, puis comme ramendeur, "largueur de cul" de chalut, à la fin de sa carrière. Il a occupé le poste décolleur (1 part), de piqueur (1, 25 parts), de ramendeur (1, 60 parts). Le bosco ou maître d'équipage à manoeuvre percevait 2 parts, le chef mécanicien 7/8 parts. Ce système de revenus à la part était courant sur les navires de grande pêche. Cependant, le marin percevait une avance en début de campagne. L'avance mensuelle sur la part de pêche et les congés payés permettait aux familles de subvenir à leurs besoins et d'acheter le ciré huilé avant la campagne. Il y avait 5 marins du même quartier de Kermaria à pratiquer la grande pêche. André se souvient de Louis Mevel, de Victor Le Bon et de Yves Guegan qui était saleur.

L'équipage du navire était composé de 52 marins.

Le navire ramenait environ 1300 tonnes de poissons, soit 1 tonne par palanquée, où on pouvait trouver du flétan et d'autres poissons souvent rejetés à la mer. La morue qui pouvait mesurer jusqu'à 1 m de longueur, était d'abord triée avec le piquois, puis travaillée par le décolleur et le trancheur (qui enlevait la tripaille et la tête), avant d'être lavée par les mousses et "affalée" dans la cale, à la fourche à 2 doigts, dans les "pots", sorte de mannes en fer ; le saleur pouvait alors saler les morues une par une, d'un geste précis avec une pelle en fer, et les empiler. Les quarts pouvaient commencer à 6 heures du matin et jusqu'à 18 heures le soir, où on prenait un peu de repos pour manger et dormir, avant de prendre la relève à minuit jusqu'au lendemain midi. La traversée durait 10 à 12 jours à l'aller. La morue était livrée à Bordeaux ou au Portugal. C'était pendant ces périodes de traversée que l'équipage préparait les filets, faisaient des épissures dans l'acier des filins, "potassaient", lavaient le pont à la potasse, au retour. Les temps de congés étaient courts : 15 jours seulement dans les années 1960, 1 mois ensuite entre deux campagnes, où les marins allaient souvent s'employer dans les fermes. Cependant, on débarquait toujours pour le 1er décembre afin de respecter la loi et on repartait pour le 15 février. Les marins pouvaient ramener chez eux des langues, des joues de morue, du flétan et du puant, en saumure dans des tonneaux, qui étaient vendus au voisinage. A cette époque, les marins à la grande pêche étaient nombreux entre Plouha, Pléhédel et Plouézec. Un car venait les chercher à Plouha et faisait ensuite toute la côte en particulier celle du Penthièvre (Planguenoual, Erquy, Plurien St-Alban, Cancale) pour emmener les équipages mixtes (bretons et gallos) jusqu'à St-Malo. Chacun avait sa statuette de la Vierge sur soi pour se prévenir des accidents en mer. Superstitieux sans l'avouer les marins : on ne mangeait pas de lapin à bord mais on avait nommer la poulie "en haut", au-dessus du pont, qui permettait de mettre le chalut à l'eau : le "lapin". Les marins pouvaient manger de la viande fraîche ou du poisson à bord. Il y avait un boulanger et un cuisinier à bord. Les marins recevaient 3 cl de "bistouille" (rhum) au lever, 1/4 de vin le matin, 1/2 à midi, le soir et à minuit.

Mais il fallait être attentif lorsqu'on était de quart sur la passerelle, avant l'apparition des radars pour repérer les glaces et les bateaux : il y avait une cloche sur le gaillard pour prévenir l'homme de barre...

Après 20 campagnes (1951-1969), André Le Houérou a débarqué définitivement pour aller travailler comme maçon, et ensuite prendre une retraite bine méritée dans son quartier de Kermaria An Isquit.