La pêche sur le grand banc à bord des doris

Synthèse d'après les recherches de André Guégo et autres auteurs.

Après une traversée souvent mouvementée de l'Atlantique Nord, l'arrivée se fait sur les lieux de pêche.

Les matelots, qui ont pêcher bulots, capelans et calamars, pour servir d'appât, se mettent à bouëtter chacun 12 pièces de lignes de 80 brasses (115 m), et un hameçon toutes les brasses soit environ 960 hameçons par homme (960 x 2 = 1920 par doris) et 2800 m de ligne à tendre un peu avant la nuit.

Le doris (1870-1935)

Le doris est une embarcation légère, à fond plat, de section trapézoïdale et de dimension variable :

Doris de Saint-Malo : longueur 5,80 m largeur 1,70 m, profondeur 0,60 m. Doris de Fécamp ; longueur 4.80 m, largeur 1,80 m, profondeur 0,80 m.

Armé de deux hommes, le "patron" et son "avant", manoeuvrant chacun deux avirons ; il peut être gréé de voiles à l'initiative de chaque patron.

Maniables et faciles à stocker à bord, car s'emboîtant les uns dans les autres, les doris ont permis à de plus petits navires, goélettes, lougres, dundees, sloops, incapables d'exploiter les lourdes chaloupes employées primitivement par les trois mâts, de tendre des lignes selon la méthode Sabot ; ils ont également permis aux grands navires de rentabiliser la pêche pour des quantités de poissons équivalents (d'aucuns pensaient également que les risques de pertes de vies humaines seraient moindres avec les doris : 2 hommes au lieu de parfois de 8 pour de grandes embarcations).

L'équipement d'un doris :

II se composait de 5 avirons, dont un de rechange, utilisable comme bout dehors, lorsqu'on grée la voile, 3 bancs, un compas, une corne de brume, des boîtes de biscuits (3,200 kg au moins) et de l'eau pour 3 jours.

Pour pratiquer la pêche, les dorissiers disposaient, comme nous l'avons écrit, de 12 pièces de lignes de 80 brasses, avec environ 1800 à 1900 hameçons, par doris.

Ils disposaient encore de 2 bouées équipées chacune d'une ancre et d'un orin d'une centaine de mètres, mouillées à chaque extrémité de la "corde" formée par les pièces de lignes mises bout à bout.

Une direction (ou aire de vent) était attribuée par tirage au sort, à chaque doris pour tendre ses lignes. Le patron ramait dans la direction qui lui avait été attribuée, et "l'avant", son compagnon, à l'arrière du doris, près des mannes, mouillait les lignes.

Cette opération durait plusieurs heures.

Les doris rentrés et embarqués à bord, le bosco (le maître d'équipage) désigne les veilleurs de nuit, une heure chacun. Après la soupe, tout l'équipage dort jusqu'au petit matin. Le dernier de quart appelle "branle-bas ! " pour tout l'équipage. Le mousse et le novice apportent le café, et le patron ou le second crie "croche ! " pour mettre les doris à l'eau. (II est entre 4 et 6 heures du matin, suivant les périodes de l'année).

Après la mise à l'eau des embarcations, six à tribord, six à bâbord, les hommes : 2 par doris, avec les mannes vides. Puis, chaque patron de doris se dirige à la boussole ou au compas vers la bouée convenant pour tirer les lignes vent debout. L'opération dure de 4 à 6 heures, selon les difficultés rencontrées. Il n'est pas rare de rentrer 6 à 700 morues par doris.

En cas de bonne pêche, les doris ralliaient le bord puis repartaient en prenant parfois une manne d'appâts pour rebouëtter les lignes sur place.

A leur retour vers le navire, les doris s'amarraient généralement sur la "sabaille", long cordage filé sur l'arrière du Terreneuvier, puis hâlé le long du bord pour embarquer les hommes et le matériel de pêche.

La boëtte ou appât, était selon l'époque et les aléas de l'approvisionnement, constitué de harengs, capelans, d'encornets ou de bulots.

A défaut de boette fraîche, harengs par exemple, les bulots sont écrasés à coups de pelle et mis de 4 à 5 par hameçon. Lorsque vient l'encornet, la pêche recommence, moins en nombre, mais plus grosse. Là on abandonne le plateau du Grand Banc pour des fonds plus profonds de 100 m environ.

Comme on peut le constater, cette pêche sur le Grand Banc est différente de la pêche à la côte Est où se préparait la morue sèche.

Les accidents

Parfois des dorissiers se perdaient dans les brumes et dérivaient. S'ils n'étaient pas récupérés sous une semaine, ils finissaient par mourir de faim et de soi£ car règlementairement ils n'emportaient que 6 litres d'eau et 1600 g de biscuits.

Les risques étaient évidemment liés aux conditions météorologiques (brume, neige, vent, température) à l'étale de la mer et des courants. Les différents facteurs rendaient pénibles et dangereux les transits entre le navire et l'aire de mouillage des lignes, ainsi que leur mise à l'eau et leur relevage.

Et ceci même pour les hommes courageux, expérimentés, endurcis et solidaires comme l'étaient un patron et son avant, engagés ensemble pour la durée de la campagne de pêche.

Les variations très rapides du temps et de l'état de la mer dans la zone de Terre-Neuve, étaient un souci constant pour le capitaine Terre-Neuvas, quand ses doris étaient dehors. En cas d'aggravation prévisible, il hissait le pavillon de rappel des doris, filait un ou plusieurs doris sur l'arrière du navire au bout de plusieurs pièces d'orins de bouées (1200 et plus) pour donner aux embarcations incapables de rejoindre le navire et d'y accoster, une chance de s'y accrocher et d'être ensuite hâlés jusqu'au bord. Par mauvaise visibilité, il faisait actionner la corne de brume ou tirer le pierrier. II fallait ensuite attendre et être prêt à porter secours aux dorissiers, par l'envoi d'une embarcation ... enfin le pavillon était mis en berne pour signaler aux autres navires dans les parages qu'au moins un doris n'était pas rentré.

Le capitaine et l'équipage gardaient cependant l'espoir que les hommes s'étaient réfugiés sur un autre navire, ce qui se produisait effectivement quelquefois ... dès que le temps le permettait, souvent le lendemain, d'autres doris se rendaient sur les aires de mouillage pour retrouver trace des disparus.

A partir d'une élude statistique élaborée à partir des procès-verbaux de disparition des équipages de doris à Terre-Neuve, établis par les capitaines de navire pour la période 1894- 1901 nous avons dénombré 127 accidents ayant fait 183 victimes, soit annuellement 15 accidents et 22 victimes, l'équivalent d'un équipage de goélette Islandaise. Il s'agit là d'un chiffre minimum, nous ne pouvons en effet affirmer voir, au travers des dossiers déposes aux archives nationales, recensé tous les accidents de la période considérée. Il ne faut pas non plus oublier qu'il s'agit exclusivement des accidents de doris à l'exclusion des autres sinistres pouvant survenir en cours de campagne.

Les différents types de pêche à Terre-Neuve

Au cours des siècles, la pêche à la morue s'est pratiquée de trois façons différentes.

La pêche "errante" sur les bancs

Cette pêche se pratiquait depuis le bord du navire, comme elle se fera dans la seconde moitié du 19ème siècle en Islande, avec des "lignes de main", pendant que le navire dérive lentement sous petite voilure. La ligne de main est constituée d'une corde solide de 80 m environ, lestée de plomb et supportant des hameçons tous les 1, 60 m. Parfois, les marins se tenaient chacun dans un tonneau, équipé avec un grand tablier de cuir. On utilisait aussi des chaloupes, qui se laissaient dériver.

La pêche sédentaire ou pêche à la côte à la morue sèche

L'équipage était établi à terre dans des installations fixes, appelés "chaffauds" ou "chaffauds" pour traiter la morue et des cabanes pour le logement. Le poisson hareng ou morue est séché sur la grève ou sur des "vignaux" (tréteaux en bois). Le navire désarmé restait mouillé à l'ancre dans son havre. Les pêcheurs sortaient chaque jour en mer à proximité de la côte, soit à bord de chaloupes pour pêcher à la senne (grand filet de 1, 50 m de haut, ramené à la grève), soit à bord de petits bateaux qu'on laissait dériver, pour pêcher à la ligne à la main.

La pêche à la morue verte ou pêche à la ligne dormante ou ligne de fond

Cette technique a été initiée en 1789 par un pêcheur dieppois, le capitaine Sabot qui remplaça les lignes du bord, par une ligne dormante ou ligne de fond, déjà utilisée en Manche, pour la pêche dite "aux cordes". Le navire mouillait en pleine mer, les pêcheurs sortaient chaque jour, soit en chaloupes, soit en doris, pour tendre puis relever leurs lignes de fond, garnies d'une centaines d'hameçons. La morue était préparée et salée à bord.

Les graves et les graviers

Synthèse d'après les recherches de André Guégo.

Les Binicais, les Tagarins et les quinocéens ont régulièrement fréquenté les graves de Terre-Neuve et de Saint-Pierre et Miquelon.

Historique des graves

Les grèves ou graves représentent les sols de nature à recevoir les morues à sécher, soit des sols offrant des conditions particulières : un terrain plat, exposé au vent et non au soleil, dont la chaleur cuit le poisson au lieu de le dessécher et favorise, en outre, l'éclosion d'insectes. Cependant, il fallait éviter les graves à fond de vase ou de sable, sur lesquelles le poisson séchait mal et se corrompait.

Quand on ne pouvait faire autrement, on construisait des vigneaux, sortes de banquettes rectangulaires, faites de pierres ou de branchages, pour y étaler les morues ; mais bien préférables étaient les graves de galets ou de roches.

Sur la côte du Petit Nord, l'attribution s'en faisait par ordre d'arrivée à l'échafaud du Croc, près du havre de Belle-Île, au nord de Terre-Neuve.

Aux îles de Saint-Pierre et Miquelon, comme auparavant à l'Île Royale, elles appartenaient à des propriétaires. Le gouvernement Dangeac les distribua aux colons, de préférence à ceux qui avaient tout perdu, quand ils durent évacuer l'Île Royale, prise par les Anglais en 1758, qui chassèrent les navires français de Terre-Neuve.

En 1764, il y avait 27 concessions de graves sur l'Île Saint-Pierre et 19 sur l'Île aux Chiens. Les deux tiers constituant d'excellentes graves et le reste, étant formé de marais, nécessitait donc l'installation de vigneaux. A Miquelon, les graves étaient moins importantes et servaient surtout aux colons canadiens.

Les capitaines de navires venant de France devaient passer des accords avec les propriétaires des graves : ce qui n'alla pas sans contestations, car le ministre Choiseul obligea Dangeac à imposer une prix de location raisonnable.

Les graviers

On appelait ainsi les jeunes garçons âgés souvent seulement de 14-15 ans qui accompagnaient les marins-pêcheurs et qu'on débarquait à Saint-Pierre et Miquelon. S'ils ne faisait pas partie des équipages, les graviers étaient transportés de Paimpol et surtout de Saint-Malo, sur des frégates, dans des conditions lamentables, entassés dans des réduits sans air. Leur rôle, très pénibles, consistait à faire sécher sur les graves les morues pêchées près des côtes de Terre-Neuve ou du grand Banc. Chaque soir, il fallait les ramasser et le lendemain les étendre à nouveau jusqu'à ce qu'elles soient bien sèches. Ils étaient mal payés et encore plus mal nourris et très mal logés. Le gouverneur des îles nomma une commission spéciale chargé d'inspecter les bateaux transporteurs à leur arrivée et de constater la manières dont les graviers avaient accompli leur traversée.

Lorsqu'on était arrivé à destination, le premier soin était de choisir son havre ; l'attribution des havres fut réglementée de bonne heure par le parlement de Bretagne. A terre, les marins élevaient un abri à l'aide de voiles et de branches de sapin, ainsi qu'un "chafaud", fait de gros troncs de sapin. Le sel apporté par la campagne était mis à l'abri. A l'extrémité, qui se trouvait du côté de la mer, étaient installés des "étals" ou établis, sortes de tables rudimentaires bordées de sièges occupés par des décolleurs et des saleurs. Une fois traité par le piqueur, le décolleur et l'habilleur, la morue était placée dans du sel pendant huit à dix jours. Après avoir été lavée, les graviers l'étendaient alors sur les graves où elle séchait assez longtemps, mis en piles ou en javelles. Le poisson "suait" pendant quelques jours puis était replacé sur les graves pour achever de sécher, en étant cependant retourné plusieurs fois par jour.

Dernier espoir pour les armateurs et les marins : Saint-Pierre et Miquelon

Synthèse d'après les recherches de André Guégo.

A Terre-Neuve, on était presque heureux. La plupart des marins sont à terre et vivent comme sur nos côtes. Mais la pêche tombe à partir de 1880. Les armateurs étaient pour leurs frais dans ces armements et ne pouvaient continuer...

Heureusement, il restait Saint-Pierre et Miquelon ! Ces îles ont tenu bon, se sont développées et même ont gagné énormément.

Mais quelle différence de pêche ! C'est à nouveau les lignes amorcées à bord> la descente en doris, la pose d'un kilomètre de ligne puis le retour sur la goélette pour reprendre une nouvelle ligne, la reposer et ainsi pendant toute la campagne.

A cela, s'ajoute le passage des paquebots qui. à chaque instant, menacent nuit et jour nos faibles bricks et goélettes. Ces monstres ont beau mettre à leur avant "marche ralentie", ils n'en continuent pas moins leur vitesse accélérée de 18,19 et 20 noeuds, si bien qu'en cas d'abordage nos marins auraient le temps de se noyer dix fois avant de recevoir le moindre secours.

Au milieu de ces nouveaux dangers, matin et soir, deux matelots, après avoir boetter leurs lignes, sautent à bord de leur doris. A tout moment, ces hommes sont exposes à chavirer par suite de la boule ou du manque d'équilibre. Tous les jours> quand le temps est favorable, ils s'en vont, munis d'une boussole, d'un peu d'eau et de quelques galettes de biscuits, jeter et visiter leurs lignes à une lieue ou une Lieue et demi du navire.

Au bout d'un mois ou deux, presque tous les bâtiments vont porter leur pêche à Saint-Pierre. Des graviers y ont été débarqués, à la suite de La traversée.

Pendant le premier mois, ces jeunes gens ont été employés à casser du bois et à préparer un

emplacement pour le séchage du poisson. Au fur et à mesure que la morue arrive, ils le lavent, le tournent et le retournent. Le soir, ils l'entassent en piles, et le lendemain, même opération et cela dure tout le temps de la campagne.

Mais la vie des graviers reste dure ! La loi donne un dimanche sur deux à ces jeunes pour se nettoyer, se laver, s'occuper de leurs pauvres vêtements. De temps en temps, un inspecteur passe au milieu des "chafauds" demander aux jeunes marins s'ils sont libres le dimanche. De peur d'être malmenés par le "géreur", c'est à dire par le surveillant, ils répondent affirmativement, mais hélas ce n'est pas toujours vrai. Le géreur, la plupart du temps ne regarde pas plus au Dimanche qu'à un autre jour de la semaine.

Que se passe-t-il alors ? Dès que celui-ci a le dos tourné, les graviers se mettent au soleil et font mine de s'occuper. Ils se rattrapent du temps qui leur est volé. Certains rapportent : Si nous avions notre dimanche libre, nous aurions plus de goût et de courage pour soigner la morue Nous pourrions nous nettoyer, entendre la messe et nous reposer.

Depuis le déclin de la pêche on ne voit plus en Avril ou en Mai, sur nos rades d"Etables-Portrieux, de Binic ou de Saint-Malo, toute une flottille de gracieux bricks en partance pour Saint Pierre.

Engagement d'un équipage pour Terre-Neuve

Synthèse d'après les recherches de l'association "Etables en terre et mer".

Les conditions d'engagement de l'équipage du terre-neuvier "Le benjamin" L'an 1798, dont presque tous les hommes sont originaires d'Etables.

Le 27 Mars du matin, au nom de Dieu et de Notre Dame de Bon Voyage, par devant nous, Maître Fairier, notaire de siège royal de Saint-Brieuc et des regraires de la même ville ont comparu les officiers mariniers et matelots :

- Noble homme François Célestin Daman, sieur de Villeuneuve, demeurant en cette ville de Saint-Brieuc, paroisse de Saint-Michel, négociant et armateur du navire, d'une contenance d'environ 120 tonneaux, ancré au Légué, port de Saint-Brieuc,

- Capitaine Sieur Fabien Guérin de l'Orme.

Voyage de terre-Neuve, tant au quartier du petit nord, cap breton, Gaspé, la Grande Baye, et sur le

grand banc.

Il sera convenu pour pot de vin et salaire.

Participeront cependant les engagés, à la pêche qu'ils feront suivant l'usage communément dit "la Mode du petit nord", chacun levant un lot, et le capitaine, deux à raison de cent sous par milliers de morues qui seront embarqués à leur bord, et ne seront les dits lots, acquis qu'après que le dit navire sera rendu au lieu de sa décharge et la morue au lieu de sûreté.

- Le Sieur François Louis Daman, de Saint-Brieuc, engagé pour enseigne sur le dit vaisseau, a reçu en notre présence la somme de 70 livres, dont quittance et à signer après lecture.

- Jean Allain, fils de Jacques de la paroisse d'Etables, engagé pour décolleur, a reçu 129 livres et a déclaré ne savoir signer, et a requis pour le faire pour lui soussigné : Jean Jouannin.

- Jean Guérin, de la paroisse d'Etables s'est engagé pour servir en qualité de charpentier et décolleur et a reçu en nos présences, la somme de 300 livres et a signé.

- Laurent deys, fils de Jean, de la paroisse d' Etables, s'est engagé pour servir en qualité de saleur et tonnelier, et a reçu la somme d e360 livres, et a signé.

- Yves Verri, fils de Guillaume, de la paroisse d1 Etables, engagé pour maître de bateau capelanier, et a reçu la somme de 310 livres, et a signé.

- Guillaume Brusquellec, de la paroisse d'Etables, engagé pour banquier capelanier, et a reçu 90 livres, et a déclaré ne pas savoir signer, quoique interpellé suivant l'ordonnance, et a requis de le faire pour lui le soussignant Le Mender.

- Jean Guérin, de la paroisse d'Erables, engagé pour décolleur, et a reçu 150 livres et a signé.

Descriptif du gréement et de l'aménagement d'un trois mâts goélette

Synthèse d'après les recherches de l'association "Etables entre terre et mer" et de Christian Querré.

Le trois-mâts goélette est un navire qui possède, outre le beaupré ou bout-dehors, un mât de misaine (à l'avant), un grand mât et, à l'arrière, un mât d'artimon, munis de hunes et de mâts supérieurs. On distingue le trois-mâts carré ou trois-mâts tout court qui porte à chaque mât des voiles carrées - c'était le cas pour la plupart des long-courriers - et le trois-mâts barque, navire trop petit pour porter des vergues à ses trois mâts, et trop grand pour être gréé en brick, c'est-à-dire à deux mâts, avec cacatois et bonnettes. Le mât d'artimon du trois-mâts barque est plus petit que les deux autres mâts et dépourvu de vergue et de hune. Ce n'est en fait qu'un mâtereau qui se termine au-dessus du capelage des haubans par un mât de flèche portant une voile d'artimon ou une brigantine, et parfois, par temps favorable, une voile triangulaire dite flèche en cul, hissée au-dessus de la corne, le long du mât de flèche. Cette disposition présente l'avantage de séparer la brigantine du grand mât, ce qui favorise l'action de la grand-voile et permet de mieux assurer la tenue des vergues de grand mât en faisant venir leurs bras sur l'arrière.

Mais la plupart des terre-neuviers étaient des trois-mâts goélettes, c'est-à-dire qu'ils ne portaient de voiles carrées qu'à l'avant : misaine, petit hunier fixe de misaine, petit hunier volant de misaine - c'était la seule voile nouvelle dans ce gréement où tous les mâts et les autres voiles conservaient leur nom – dont le grand perroquet fixe. Il n'y avait pas de vergue de cacatois au mât de misaine. Le perroquet avait près de 10 mètres d'envergure, la misaine 16 mètres sur le trois-mâts goélette type : il n'était pas question de donner trop de toile ni une trop haute mâture à un navire de 38 mètres de longueur et moins de 9 mètres de large, qui ne jaugeait que 335 tonneaux et dont le tirant d'eau ne dépassait pas 2,70 mètres à l'arrière et 1,70 mètre à l'avant quand il était lège ; 4,50 mètres et 3,70 mètres en pleine charge. Plus tard, on construisit néanmoins des navires de même type, gréés également en trois-mâts goélettes, mais dont la coque était en acier et qui étaient équipés de moteurs auxiliaires. En France, on n'en construisit que deux : le "Commandant Louis Richard" le "Lieutenant René Guillon", qui jaugeaient plus de 900 tonneaux.

Sur le terre-neuvier, le poste d'équipage se trouvait à l'avant, au-dessus de la soute à charbon. Même avant l'apparition du moteur auxiliaire, en effet, on embarquait à bord de ces navires du charbon qui servait à alimenter les cuisinières, les poêles (le chauffage et le moteur à vapeur du guindeau). On accédait à ce poste, éclairé par une claire-voie, par un capot à coulisse. C'est là que les hommes s'entassaient aux heures de repos. Le confort de cette pièce - crasseuse et humide laissait quelque peu à désirer, mais les hommes, qui n'avaient qu'un seul souci, faire une bonne pêche, s'y trouvaient mieux que dehors, sous les embruns. Devant le mât de misaine, sur le pont, était placé le guindeau, qui servait à remonter les lourdes chaînes de mouillage. Le moteur qui l'entraînait était abrité sous le roof, sorte de cabane en bois située au pied du mât de misaine. D'un côté de ce roof était aménagé un local où l'équipage remisait les cirés et par lequel on pouvait accéder directement au poste avant. De l'autre se trouvait l'accès au magasin général, à la soute à voile et au parc à boettes.

Derrière, on rencontrait la cuisine, puis la cale à poisson dont le panneau était à mi-chemin entre le mât de misaine et le grand mât. C'est autour de ce grand mât qu'avaient été disposés les puits à chaînes. Ce n'était guère pratique, car le guindeau était éloigné et la manœuvre rendue de ce fait épuisante, longue et délicate, mais le navire s'en trouvait soulagé à l'avant et bien mieux équilibré. Devant le mât d'artimon, on accédait à la cambuse. Elle n'était séparée de la cale que par l'ar-chipompe, local où l'on entreposait tous les moyens d'épuisement.

Sous la demi-dunette, qui commençait à s'élever devant le mât d'artimon, se trouvaient les logements des officiers ; à tribord la chambre du capitaine, à bâbord celle de son second. Les autres officiers disposaient de couchettes aménagées autour du carré. On y accédait par un capot à escalier tournant.

Enfin, à l'arrière, se trouvait la barre a roue et, de part et d'autre d'un roof, les w.-c. et la lampisterie à bâbord ; un magasin qui servait parfois de cuisine aux officiers à tribord.

Quant aux doris, ces embarcations légères à bord desquelles se pratiquait effectivement la pèche à Terre-Neuve, ils étaient entreposés sur le pont, de pan et d'autre du mât de misaine. Tous ces navires quittaient leur port d'attache courant mars. II leur fallait en principe une douzaine de jours pour rejoindre les lieux de pêche, distants pour Paimpol par exemple de quelque 2250 milles. Mais lorsqu'ils rencontraient du mauvais temps, ce voyage pouvait durer vingt, parfois trente, voire quarante jours. Ils ne regagnaient leurs quartiers d'hiver qu'entre fin août et fin octobre, exceptionnellement un peu plus tard.

Mais tous ne revenaient pas : la mer, chaque année, réclamait son tribut, et, quand ils rentraient, les navires n'étaient pas toujours complets. Parfois, on ne revoyait pas même le navire : jusqu'en novembre on continuait à espérer le retardataire, puis l'on se rendait à l'évidence. Alors on célébrait une messe à la mémoire des disparus et la vie reprenait son cours. Au mois de mars suivant, les accidents les plus terribles étaient oubliés et les volontaires ne manquaient pas pour compléter les équipages, qui repartaient pour une nouvelle campagne, souvent aussi dure et aussi cruelle que la précédente.

Un Tagarin, chirurgien à Terre-Neuve : Joseph Menés

Récit transcrit par l'association "Etables entre terre et mer" (sources de la Morandière)

Tout bâtiment Terre-Neuvier de plus de vingt hommes devait embarquer un chirurgien, depuis une ordonnance de 1681. Ils devaient être deux pour plus de cinquante hommes (règlement de 1717).

Il était difficile de trouver des candidats, car ces postes étaient peu prisés. On fraudait donc pour la pêche du bord, mais on obtempérait pour la pêche à terre, qui occupait jusqu'à 140 hommes.

La compétence du médecin était médiocre : il savait saigner, rien de plus. Son "diplôme" se bornait souvent à un certificat de capacité délivré par d'autres chirurgiens à terre.

Son coffre à médicaments était à la charge de l'armateur.

En fait, à Terre-Neuve, il pêchait avec les autres, sans avoir tous leurs avantages. Aussi les armateurs en recrutaient-ils difficilement ! Cela s'améliorera par la suite, et le diplôme de Docteur en médecine sera exigé à partir d'une ordonnance de 1862.

Les navires hôpitaux de l'Oeuvre de Mer et les aumôniers du pays

Synthèse d'après nos prpores recherches et les recherches de l'association "Etables entre terre et mer".

Au milieu des marins pêcheurs isolés sur les bancs de Terre-Neuve, naviguait depuis 1896, un navire appartenant à la Société des Oeuvres de Mer, le "Saint-Pierre", premier navire hôpital, auquel succèdera le "Saint-François d'Assise", piloté pendant dix ans par le commandant Mahéas d'Etables. Ce navire fut béni au Légué en avril 1912. A la veille de la guerre 1914-1918, il sera remplacé par la "Sainte Jeanne", qui parcoura les bancs jusqu'en 1934, remplacé ensuite par un bateau plus petit, le "Saint-Yves", navire mixte, voiles et moteur, qui embarquait le célèbre Père Yvon, aumônier des gens de mer.

Le rôle du bateau-hôpital était celui de l'assistance complète, religieuse, morale et matérielle aux marins de la Grande Pêche. Il amenait le courrier aux équipages des bancs, mais aussi à l'occasion des vivres, de l'eau, des engins de pêche, des médicaments. Le navire-hôpital était équipé d'une salle d'opération pour les chirurgies, il pouvait consulter en mer et accueillir les malades et les blessés à son bord. A Terre-Neuve, le diocèse de Saint-Brieuc avait aussi organisé une "mission" financée par les armateurs de la baie. Une douzaine de prêtres furent aumôniers des marins-pêcheurs dont l'un était originaire d'Etables : l'abbé Jean-Louis Rebours. Un autre prêtre d'Etables, Jean-François Guillo, oncle du chanoine François Auffray, fut nommé curé de Miquelon et inscrit au cadre du clergé colonial le 18 janvier 1867. Il demeura 23 ans sur l'Île de Miquelon, dans des conditions climatiques éprouvantes. Il mourut à Etables, à la Ville Barré le 13 septembre 1894 à l'âge de 67 ans.

La ferveur des équipages en reconnaissance de prières exaucées lors de situations périlleuses s'exprima par le don d'autels en marbre, rapportés de Marseille pour orner les églises d'Etables, de Binic et de la chapelle Sainte-Anne au Portrieux. C'est le navire "L'Argus" de Portrieux, qui apporta le 25 août 1764, l'autel destiné à la chapelle Saint-Julien de Binic en Etables. Il avait coûté à l'équipage 100 pistoles, soit 1000 livres.

Souvenirs d'Auguste Chenet, tagarin, fils de Terre-Neuvas

Témoignage transcrit par l'association "Etables, entre terre et mer", non daté

Mon père Auguste, né quelques jours seulement après le décès de son père, fut élevé dans une petite demeure à proximité du moulin de Merlet.

Tout jeune, il fut placé dans une ferme à Plourhan, chez Rosé Houard à la ville Aliot comme "patour" (garçon de ferme").

A l'âge de 11 ans, il partait comme mousse à Terre-Neuve, sous l'autorité du Commandant Morvan, originaire d'Etables-sur-Mer, qui s'était engagé à le prendre sous sa protection. C'était donc sa première campagne.

Il y en a eu bien d'autres qui justifiait tous ses souvenirs, la pêche dans les Doris, le piquage des morues, le tranchage, le salage à genoux dans le sel à fond de cale, jusqu'au moment où, en 1929, à l'occasion d'un battage, il fut victime d'un accident à la main droite. Et comme la chirurgie de l'époque n'était pas celle d'aujourd'hui, il fut carrément amputé jusqu'au moignon. Sa carrière de marin s'arrêta là.

Auparavant, mon père avait pratiqué pendant de longues années la pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve et ce, neuf mois sur douze.

Ma mère, qui vivait seule pendant ces campagnes de pêche, ouvrit alors un café épicerie, alors qu'elle élevait déjà, comme dans toutes les petites maisons de notre campagne dotées d'un lopin de terre, "vache, veau et quelques cochons".

Les Frères Mahéas : une lignée attirée par la mer

D'après les recherches de l'association "Etables entre terre et mer".

Le premier de la lignée Mahéas qui est mentionné dans les registres paroissiaux est Lorans Mahéas. matelot, né en 1603, décédé en 1681.

Quatre générations plus tard, Jean-Marie Mahéas, né le 22/09/1712, est dit navigant. Son fils, Jean-François-Marie, né le 21/12/1746, sera reçu capitaine au long cours en 1783. La famille vit toujours dans un monde maritime puisqu'un fils, Pierre Mahéas, né en 1781, épouse Marie-Jeanne Le Saulnier, fille de Jean-François Le Saulnier. capitaine au long cours.

Avec de tels antécédents, un des fils Jean-Marie Mahéas, né le 28/10/1815, est aussi capitaine au long cours ; II épouse Anne-Marie Couffon, dont il a 10 enfants.

Ce capitaine a entre autres commandé le brick "Jeune Auguste" de Binic pendant les campagnes de Terre-Neuve de 1842à l845.

La génération suivante va perpétuer cette attirance pour le large et l'un des fils Lucien, né le 12/12/1867, sera également capitaine au long cours.

La commune d'Etables a voulu rappeler la conduite valeureuse de deux autres fils de Jean-Marie Mahéas pendant la guerre de 1914-1918 en leur donnant un nom de rue.

La commune d'Etables se souvient de ces deux frères Mahéas :

- Jean Mahéas, colonel d'infanterie, né en 1855. mort au champ d'honneur en 1915 à Roclaincourt,

- Arnaud Mahéas, né en 1859, décédé le 30/10/1917. Lieutenant de vaisseau, rentré dans la marine après son service militaire . il fit la guerre de Chine en 1902, puis entra au service de l'association des Oeuvres de Mer, commandant successivement le "Saint-François d'assise", puis la "Jeanne d'Arc" en 1914. Ce bateau fut armé pour la guerre et naviguait en Manche à la recherche de sous-marins allemands. En 1917, il commandait un remorqueur, basé à Brest. Appelé dans la soirée pour secourir un navire perdu dans la brume, il fut abordé par un navire anglais aux Pierres Noires au large de Brest et ce fut un naufrage dramatique puisque le bateau ayant coulé, 51 marins dont le commandant périrent. Seuls 18 hommes purent être sauvés.

Au décès des deux frères, il faut ajouter la mort au champ d'honneur du fils d'Armand Mahéas, Bernard-Paul, étudiant en médecine navale, mort pour la France en 1915.

La tradition maritime va se poursuivre dans la famille Mahéas puisque Yves Mahéas, fils de Jean sera officier de marine avec le grade de Capitaine de corvette. Attiré par l'aviation naissante, il participera dans la vie civile au développement de lignes aériennes en Afrique.

Enfin, il faut rappeler qu'un autre fils de Jean-Marie Mahéas prénommé Pierre (1862-1932) a marqué Etables, en construisant l'hôtel Bellevue après avoir travaillé dans les Grands Magasins parisiens.

Un mousse à bord d'un terre-neuvier

Témoignage de Louis Verry, recueilli par l'association "Etables entre terre et mer".

Louis Verry (1821-1912) se rappelait avec émotion son premier départ pour Terre-Neuve. Tout Binic était là sur les quais, les femmes endimanchées agitant leurs mouchoirs. Le navire sortit du port, précédé du pilote, et le capitaine lança alors le "paré à virer" : c'était le grand départ, au printemps 1837. Il y avait trois mousses à bord. L'un servait de garçon de chambre, l'autre secondait le saleur pour saumurer le poisson, le troisième était affecté à la "chaudière" : il fallait entendre par là "à faire la cuisine".

Louis Verry s'initia à la pêche lors de sa première campagne et fut un aide précieux pour le chef de cuisine.

La cuisine était faîte au charbon, pour lequel une soute était aménagée sous le poste d'équipage situé à l'avant du bateau. Les cales étaient pleines de sel, d'ustensiles de pêche, de barriques d'eau, de cidre, de vin et d'eau-de-vie, de kilos de biscuits, de lard... et on notait la présence d'une douzaine de poules : Pour trente hommes, il faut compter environ cent vingt barriques de cidre, dix barriques de vin, cent litres de genièvre, deux mille litres d'eau-de-vie, cinq mille kilos de biscuits, mille cinq cents kilos de pommes de terre, lard, boeuf salé.

Il y avait un véritable petit jardin potager à bord, composé de paniers remplis de terre où étaient plantés de jeunes choux. On suspendait ces paniers au-dessous des hunes pendant la traversée et à l'arrivée on plantait les choux et des pommes de terre.

Le préposé à la chaudière semait dans la terre des salades, du cerfeuil, des pois, des navets, des épinards, du cresson, des radis. Il y a avait aussi la possibilité d'agrémenter la cuisine de nos marins qui se résumait un peu trop souvent à une soupe de morue et à du lard.

Parfois, et notamment lors du voyage de retour, les marins appréciaient la bonne Habituellement nos marins prenaient trois repas dans la journée. Le matin, ils se nourrissaient de pain avec du beurre accompagné d'un litre à un litre et demi de cidre, le midi c'était la soupe de morue, la viande fraîche, ou le lard et les pommes de terre, le vendredi, de la morue toute la journée : c'était pénitence ; le soir, une soupe et les débris du dîner : par dîner, il fallait entendre à l'époque le repas de midi. Dans les années 1850, des navires embarquaient des légumes salés. Hors les repas, chaque marin disposait d'un demi-litre d'eau-de-vie par jour.

A bord, les marins passaient la nuit sur des petits matelas remplis d'étoupe ou de laine. Chacun avait sa "cabane", sa "cambuse", que certains comparent aux lits clos bretons.

Une révolte à bord d'un Terre-Neuvas

D'après les recherches de l'association "Etables, entre terre et mer".

Ce navire s'appelait "Marquis de Cucé". Armé à Binic, il s'était rendu, en septembre 1743, sur les bancs de Terre-Neuve, sous le commandement du Capitaine Louis Denys, de la paroisse d'Etables. Le mois suivant, alors qu'on était en pleine pêche, Jacques le Goïc, pilote côtier, originaire de l'île de Bréhat, fomente une révolte à bord, et entraînant la majeure partie des officiers et de l'équipage, décidait de rentrer en France. Au mois de Novembre, il ramenait le navire à L'île de Ré.

Le 23 Janvier 1744, un arrêt d'attribution commettait le sieur de la Piguelaye, sénéchal royal de la ville de Saint-Brieuc, pour faire le procès des mutins. Le jugement souverain qui intervient, en conformité de l'Ordonnance de la Marine de Novembre 1684 et spéciale à la Bretagne, condamne à la peine de mort Jacques le Goïc

pour s'être rendu maître du gouvernail et avoir fait route en France, malgré les ordres et la résistance du capitaine.

Celui-ci fut mis aux fers pendant cinq à six heures au pied du grand mât et ensuite enfermé dans la dunette les cinq jours suivants. Il fut gardé jour et nuit par deux matelots armés d'anspects et de bâtons ferrés. Puis on lui enleva les fers qu'on lui avait mis au pied mais remis devant les yeux en forme de menaces.

En réparation de quoi nous condamnons le dit Goïc à être pendu et étranglé jusqu'à ce que mort s'ensuive. Il sera pendu au haut d'un mât qui sera à cette fin planté dans la falaise la plus haute du port et havre de Binic.

Nous déclarons les biens meubles et immeubles acquis et confisqués au profit de Sa Majesté. A l'égard des dit Sylvestre Guîbert, Jérôme le Provost, Jean Joubin, Pierre Morvan, Guillaume le Blanc et Mathurin Pierre Rouget, les avons renvoyés, quand à présent, hors procès.