Témoignage de Vilhjálmur Eyjólfsson, Hnausar, Islande, 2003

La grande de Vilhjálmur Eyjólfsson, Hnausar a servi en 1899 et en en 1912 à héberger des équipages de marins 'islandais'. C'est le père et le grand-père de Vilhjálmur qui, en 1899 puis en 1912, recueillèrent les équipages du navire hôpital 'Saint-Paul' et de la goélette 'Aurore'. Né en 1923, c'est encore du sauvetage du Lieutenant Boyau de Gravelines, en 1935, dont Vilhjálmur se souvient le mieux : c'est ici à l'étage de la grange qu'on accueillait les naufragés ; les lits étaient disposés de part et d'autre des poutres, sur toute la longueur de la pièce. C'est dans cette pièce qu'autrefois mes grands-parents vivaient, chauffée par la chaleur des bêtes. Echoué à quelques kilomètres de là, à Slýjafjara, le navire 'Lieutenant Boyau' laissera derrière lui une trace notable de son passage ; il est en effet aussi connu sous le nom de Rauðvínsstrandið, soit 'l'échouage du vin rouge'. Pour le dernier navire français échoué en Islande, on ne pouvait imaginer meilleur surnom.

Extrait de récit du pasteur Jón N. Jóhannessen, participant au sauvetage de l ´Aurore (Paimpol) avec son valet de ferme Eyjólfur, le père de Vilhjálmur Eyjólfsson résidant aujourd´hui à Hnausar :

Skeiðarársandur est un désert d'une superficie de plusieurs centaines de kilomètres. carrés, limité à l'est par le fleuve de Skeiðará et à l'ouest par celui de Nupsvötn, deux cours d'eau parmi les plus dangereux en Islande, franchissables seulement par des personnes connaissant bien les parages et montant des chevaux solides. Skeiðarársandur portait autrefois le nom de Fagra-Hérað (ou la " belle région ") et était parsemé de belles fermes, mais une nuit le glacier Öraefajökull s'est mis en éruption, amenant une telle crue de Skeiðará que toutes les fermes ont été balayées et tous les habitants ont trouvé la mort. A présent restent seulement huit fermes situées loin de la côte au pied des montagnes. Mais sur Skeiðarársandur l'éternelle houle au large gronde, se détachant sur le ciel, et tous les jours parviennent à nos oreilles les rugissements de la mer, tels de lointains tonnerres de canons.

Au printemps 1905, je fus nommé pasteur à Sandfell dans le district d'Öraefi. Chaque matin, de bonne heure, je montais sur la montagne près du presbytère pour avoir une vue jusque sur la côte lointaine, où tant de navires se sont échoués. Le 27 février 1912, au matin, je montais donc comme à mon habitude, sur la montagne. Je vis alors un navire trop près de la côte, ce ne pouvait pas être normal. Je rentrai donc en hâte, fis préparer des chevaux et me mis aussitôt en route pour atteindre la côte. La route est longue et difficile, avec entre autres des sables mouvants. J'avais avec moi mon bon compagnon Eyjólfur. Au bout de sept heures nous atteignîmes le fleuve Skeiðará, le bateau avait échoué à l'ouest du fleuve, ce qui était bien pire et plus dangereux. Le fleuve était en crue et la traversée serait évidemment dure. De l'autre côté de ce cours d'eau, se trouvaient, sur une langue de terre, 4 ou 5 hommes de l'Aurore. Il avaient voulu traverser le fleuve à pied, entreprise impossible. Ils étaient là et ne pouvaient rien faire. Nous avons quand même pu traverser le fleuve malgré la fureur de l'eau, et sur la rive ensablée nous avons trouvé l'équipage (Reykjavik, 2 octobre 1952).

Extrait de Tonton Yves, 'le jardinier des mers lointaines', Jacques Dubois.

Oui, c'était une terrible région que celle-là, et nombre de marins y avaient péri, dont les tombes s'étendaient au long de cette côte ; d'autres y avaient été retrouvés errant, plus morts que vifs, et l'on avait dû les amputer avec des moyens de fortune, qui d'une jambe, qui d'un bras. Pourtant, il n'en avait pas toujours été ainsi, et les anciens se souvenaient du temps où Skeiðarársandur portait le nom de 'Fagra-Hérað', ce qui, en islandais, signifiait 'la belle région'.

En quel point de la côte s'étaient-ils échoués ? Allez donc vous y reconnaître dans cette nuit d'encre absorbant toute chose ? Et ce sable spongieux, dont la succion les aspirait jusqu'aux chevilles, bordait-il une terre habitée ou n'était-il que la frange littorale d'une étendue désertique, telles celles où tant de naufragés avaient péris au terme d'une douloureuse errance ?

Eh ! regardez ! là ! On vient ! Il ne s'est pas trompé, le matelot qui, le premier, a distingué les vagues silhouettes émergeant peu à peu de la brume : celles de deux cavaliers tenant leur chevaux en bride et qui s'avancent à la rencontre des naufragés. Soudain, chez ceux de l'Aurore, c'est une grande explosion de joie ; on rit, on crie, on s'interpelle cependant que d'un seul mouvement tous se portent à la rencontre des nouveaux arrivants, que l'on congratule comme il se doit. Celui qui prend la parole se présente. Son nom est Jon Nordfzörd Johannessen. Son état : pasteur de Sanderfell, petite paroisse du district d'Öraefi. Son compagnon se nomme Eyjölfur, et lui tient lieu de valet.