doctorante en Histoire, Tempora, université Rennes 2 et université de Lorraine
- enquête thématique départementale, Inventaire des bannières d'Ancien Régime conservées dans le département des Côtes-d'Armor
- (c) Shantty Turck
Dossier non géolocalisé
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Aires d'étudesCôtes-d'Armor
Sur le territoire du département des Côtes-d’Armor, 23 bannières de processions réalisées entre le 16e et le 18 e siècle sont conservées.
Quinze d'entre elles sont classées au titre des Monuments historiques : celles des églises de Brélidy, Bringolo, Coatascorn, Grâces, Hengoat, Lanleff (aujourd'hui disparue), Minihy-Tréguier, Prat, Saint-Juvat, Saint-Péver, Trédrez-Locquémeau (chapelle), Trédrez-Locquémeau (église), Squiffiec (deux bannières) et Tréduder. De plus, cinq bannières sont inscrites au titre des Monuments historiques : celles des églises de Trégastel, Plouëc-du-Trieux, Hénansal (disparue), Plouaret et Tréméven. Trois autres bannières, celles des églises de Le Merzer, de Goudelin et de Langrolay-sur-Rance sont en cours de protection. Le travail d’Inventaire n’est pas encore terminé et des bannières d’Ancien Régime demeurent peut-être encore à découvrir. Ce patrimoine textile reflète à la fois la riche présence des bannières de procession dans les églises et chapelles de confréries à l'époque moderne, mais également leur conservation exceptionnelle en Bretagne par le maintien de la pratique du pardon et des fêtes religieuses comme la Fête-Dieu.
Aujourd'hui comme à l'époque moderne, en dehors des processions, les bannières demeurent suspendues à leur hampe, parfois fixées par une clavure en métal (clef et serrure) à une barrière ou à un pilier de l’église, voire glissées dans un pied de bannière. Certaines bénéficient d'une armoire à bannière réalisée en bois, dont quelques-unes d'origine sont protégées au titre des Monuments historiques.
Les bannières d'Ancien Régime conservées ne sont pas toutes issues du même atelier de broderie et pourtant elles constituent un ensemble assez homogène, suivant les modèles en usage. Toute bannière est constituée de 4 éléments de base : une hampe verticale, une traverse horizontale et deux tableaux textiles. Auxquels s'ajoutent des cordons qui partent du haut de la bannière et permettent de la maintenir à flot lors des processions, des clochettes placées au bas de la bannière et parfois des glands de fils qui viennent finaliser la bannière. La hampe et la traverse, généralement en bois, forment une croix indivisible et quasiment invisible. Seules les extrémités se laissent voir, notamment les pommeaux de la traverse qui sont souvent sculptés voire dorés. A la croisée de la hampe et de la traverse se dresse parfois une petite croix, rajoutée à l'époque contemporaine, qui symbolise la fonction même de la poutre. Comme l'écrit Patrick Savidan : "porter la bannière est avant tout porter la croix". Les deux tableaux textiles sont cousus l'un à l'autre formant par le haut une glissière afin d'être enfilée sur la traverse et parfois des housses en tissus viennent recouvrir le reste des parties visibles.
Les tableaux textiles sont de forme rectangulaire, et sont particulièrement monumentaux à l'époque moderne, mesurant en moyenne 120 cm de large sur 180 cm de hauteur. C'est pour cette raison qu'elles sont souvent nommées dans les inventaires des biens d'églises comme les "vieilles grandes bannières".
Chaque tableau textile est composé d'un panneau d'étoffe tendu (de velours ou de satin) rigidifiée par une doublure en toile (de chanvre ou de lin) sur lequel est apposée une œuvre en broderie, figurant une scène ou un figure religieuse. L'ensemble est disposé dans un encadrement, généralement brodé, permettant la mise en avant de l'image qui donnera son nom à la bannière. Un lambrequin, généralement composé ou découpé en festons, orne le bas de la bannière sur une vingtaine de centimètre. Même si la broderie est l'art du fil le plus caractéristique de la bannière, la présence d'une variété de galons, d'éléments de passementerie et de franges en fils dorés ou argentés témoignent des divers arts du fil constitutifs de l'art des bannières. L'art de la peinture est parfois présent, au niveau des parties carnées, le plus souvent réalisées au 19e siècle, afin de remplacer les fils de soie ou de lin brodés d’origines abîmés. L'ensemble compose un véritable tableau d'arts du fil accueillant les techniques de couture, de passementerie et de broderie.
Au niveau iconographique, la scène la plus couramment représentée est celle de la Crucifixion qui figure sur ce que l'on nomme l'avers de la bannière. L’Assomption, le Saint-Sacrement, le Rosaire, la Vierge à l’Enfant ou encore la Trinité sont d'autres sujets relevés sur cette première face. Sur l'autre face, que l'on nomme envers, comme en numismatique, figurent des saints apôtres, des saints martyres ou des saints évêques, alors associés au patronage de l'église qu'elle représente, telle la bannière de sainte Agnès de l'église Sainte-Agnès à Tréfumel. Des modèles communs servent aux ateliers de broderie, soit réalisés par les maîtres brodeurs eux-mêmes qui se définissent à la fois comme des dessinateurs et des brodeurs, soit réalisés par des peintres ou des graveurs, dont les estampes circulent dans le réseau des ateliers de broderie. A ce sujet, un des modèles les plus illustres est la représentation de l'Assomption de la Vierge, peinte par Nicolas Poussin en 1650, qui se retrouve, grâce au travail des graveurs et la diffusion par l’estampe, transposée en broderie sur deux bannières du département des Côtes-d'Armor (Bringolo et Hengoat) et une du département du Finistère (Loquénolé).
La fabrique et la provenance des bannières sont encore mal connues. La recherche historique de façon générale sur l'histoire de la broderie à l'époque moderne est en cours. L'étude des bannières conservées dans le département des Côtes-d'Armor, nous permet cependant de mieux comprendre aujourd'hui la pratique de cet art et la large diffusion des éléments brodés par des maîtres et marchands brodeurs.
En effet, la provenance d’une bannière dans les biens de l’église ou d’une confrérie peut être diverse. Elle peut soit avoir été offerte par un aristocrate bienfaiteur (laissant peu de traces dans les archives) soit relever d’une commande (alors décidé par le conseil de fabrique) auprès d’un atelier de broderie ou être achetée sur une foire auprès d’un marchand brodeur. Certaines bannières sont issues du travail des femmes brodeuses. Ainsi, la Maison du Bon Pasteur de Rennes, spécialisée dans la broderie, fournit en 1768 une bannière à l'église de Langrolay-sur-Rance, mais ce cas de traçabilité est rare. L’attribution d’une œuvre à un atelier est sans équivoque lorsque la bannière porte le nom et la date en broderie, comme celle de l’église de Sainte-Agnès de Tréfumel : « Lépine fecit », mais c’est une pratique peu répandue.
C’est surtout grâce à la conservation des archives paroissiales et notariales que les historiens recensent les noms de maîtres et marchands brodeurs travaillant sur le territoire. Par exemple, à la fin du 17e siècle et au début du 18e siècle, Jean et Gabriel Landais sont des maîtres brodeurs qui travaillent dans leur atelier situé à Lannion et fournissent plusieurs églises environnantes en bannières et ornements liturgiques, notamment Tréduder (1678), Pédernec (1715), Plouzané (1725), etc. D'autres maîtres, également nommés marchands, se rencontrent sur les foires, à Tréguier ou à Saint-Brieuc, originaires de Quimper ou de Morlaix (Turberville, Floch), de Rennes (Forestier, Dupin ou Lépine) voire de Paris (Desprez). Les transactions se font oralement mais lorsque la dépense est conséquente, un acte notarié stipule les détails des matières et des techniques exigées par les commanditaires, véritable mine d’or pour les historiens.
La lecture des sources paroissiales, des comptes et des factures, ou celles des confréries, permettent de comprendre l’économie de la fabrique de l’objet bannière dans sa globalité. Notons en particulier le travail des sculpteurs pour la réalisation de la poutre et des pommeaux, des maréchaux pour les clavures et divers marchands fournisseurs d'étoffes, de galons et de passementeries. Certaines poutres, d’origine, sont d’ailleurs à signaler avec un remarquable travail de dorure ou de sculpture au niveau des pommeaux. S’ensuit la vie de la bannière en tant que telle, son transport et son port lors des processions et bien sûr son « accommodage » (raccommodage ou légères modifications) par des tailleurs ou les brodeurs eux-mêmes. Cet entretien régulier est à voir comme une volonté de conserver au mieux la bannière, même si parfois les interventions ne sont pas « du niveau » de l’œuvre initiale. Car, il faut le rappeler, la bannière est une œuvre textile dont les matériaux sont fragiles et qui, par manque de soins, exposée à une luminosité trop forte, une humidité excessive ou un empoussièrement trop important, peut se détériorer. C’est pourquoi, à l’époque moderne, des housses de protection en toile de lin se fabriquaient afin de les transporter et les préserver durant les mois les plus froids.
Les bannières d'Ancien Régime conservées dans le département des Côtes-d'Armor constituent un patrimoine exceptionnel à plus d'un titre. Même si ces tableaux en broderie ont pour la plupart été "accommodées" ou restaurées: des galons ont été changés, des broderies raccommodées voire remplacées, les fonds de velours entièrement changés comme sur la bannière de l'église de Langrolay-sur-Rance, dont l'original a été conservée dans l'église même, mais dans l'ensemble, ces bannières vieilles de 300 à 600 ans, gardent l'essentiel du travail des mains des brodeurs et des brodeuses d'Ancien Régime.
- (c) Shantty Turck
doctorante en Histoire, Tempora, université Rennes 2 et université de Lorraine
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