Une composition associant trois artistes en une étroite collaboration
Le lycée Dupuy-de-Lôme est achevé depuis plusieurs années, lorsqu'en 1970 une question est posée au conseil d'administration de l'établissement, le 9 mai 1970, à propos de l'absence de décoration.
Des échanges s'ensuivent, en salle des professeurs, attirant l'attention de l'une d'entre eux, Annie Jappé, qui indique alors à son époux, le peintre Jean-Paul Jappé (né en 1936), qu'elle aimerait bien que le sculpteur Roger Joncourt (1932-2023) propose un projet. Il est déjà l'auteur de plusieurs "1%" et c'est un ami du peintre. Le processus d'agrément est connu de Jean-Paul Jappé, qui a été dessinateur pendant 10 ans chez Henri Conan, architecte d'opération des premiers bâtiments de la cité scolaire Dupuy-de-Lôme et du collège national technique de Lorient (aujourd'hui lycée Colbert). Il se rapproche de René Ouvré, l'architecte de la dernière tranche de travaux de Dupuy-de-Lôme, qui accepte la proposition. L'architecte et le sculpteur se connaissent. Ils ont en outre collaboré pour la décoration du gymnase du lycée Colbert.
René Ouvré propose à la commission nationale des travaux de décoration des édifices publics les noms des deux artistes, ainsi que celui du peintre Joël Moulin (1935-1997), Grand Prix de Rome. Vu le budget disponible - 90 000 francs environ, ils ont pensé que cette association faciliterait l'agrément d'une commission très "parisienne". C'est chose faite en septembre 1975.
L’œuvre créée est réellement collective. Elle comprend 15 éléments de béton brut, une composition au sol de galets de couleur blanche et de dalles d'ardoise de Sizun, d'une surface de 150 m2, et la plantation de plusieurs dizaines d'arbres et arbustes. Roger Joncourt en a conçu les volumes, Joël Moulin a dessiné les sols, Jean-Paul Jappé a coordonné la réalisation ainsi que l'installation et imaginé les plantations.
Dans un campus éclaté, l’œuvre est pensée comme un point de rencontre, de repos. Les éléments sculptés peuvent servir de fauteuil.
L'histoire de ce 1% serait presque un conte si l'architecte n'avait pas imposé le thème des cromlechs et des menhirs, évocateur d'un certain légendaire breton, de préférence au projet initial des artistes : de grandes voiles en acier Corten, rappelant celles des premiers cuirassiers, en hommage à Dupuy de Lôme.
L'intervention de la commission nationale et du conseiller artistique régional
Les archives de commission nationale des travaux de décoration des édifices publics offrent un autre angle de vue. Réunie une première fois le 19 mars 1975, elle a demandé aux artistes de poursuivre leur étude en liaison avec François Bergot, conservateur du Musée des Beaux-Arts de Rennes, conseiller artistique régional. Elle a notamment demandé à Roger Joncourt plus de variété formelle pour ses sculptures en béton et souhaité que l'architecte vienne lui-même présenter le programme de décoration (il semble que Georges Tourry ait été invité dans un premier temps, et que le sculpteur ait indiqué qu'il convenait désormais d'inviter René Ouvré).
La même commission, réunie une deuxième fois, le 26 juin 1975, a donné un avis favorable, tout en demandant un complément d'information concernant les espaces verts et un devis détaillé. Pendant les échanges, Jean-Bernard Perrin, conseiller paysagiste, avait appuyé sur la nécessité de planter des arbres et des arbustes : "gâteau sur une pelouse".
Lors des différentes étapes de l'examen du projet, les avis de l'inspectrice de la création artistique chargée de rapporter devant la commission, Mme Alberte Ruth Grynpas, ont varié, du favorable : "Ce travail de collaboration permet aux artistes de proposer un projet bien étudié sur le plan architectural (emplacement, proportions, etc.) et intéressant sur le plan des volumes et du décor au sol", au plus circonspect : "La poursuite de l'étude que la commission avait demandée aboutit à un projet sans grande originalité dans l'intention. Pour 90 000 f. on souhaiterait des volumes et des sols plus convaincants", avant d'aboutir à un accord final, le 24 septembre 1975 : "Les précisions concernant les plantations et le devis étant conformes aux souhaits de la commission, j'émets un avis favorable à la réalisation du projet".
Des plantations en grande partie disparues
Les plantations ont aujourd'hui en grande partie disparu... Il est, dès lors, intéressant de reproduire l'argumentaire qui accompagne le complément au devis initial :
"Descriptif - L'ensemble, sculpture + l'accompagnement végétal s'organisera sur une surface de 650 m2 environ ;
l'ensemble végétal proprement dit, ayant fonction de lier l'ensemble sculpture à l'environnement sera modulé en rapport :
- d'une part aux bâtiments par la plantation entre ces bâtiments (R+2) de bouleaux blancs (R.N 250/300) qui adultes formeront un écran d'une dizaine de mètres de haut, laissant découvrir au travers du feuillage fin et clairsemé les arrières plans architecturaux ;
- d'autre part différents massifs constitués d’arbustes à fleurs, à feuillages colorés et à fruits décoratifs (genêt d'Espagne, cotoneaster, prunus pissardi, éleagnus maculata etc...) d'une hauteur de 1M à 1 M 50, ces plantations proches de l'ensemble sculpture le laisseront néanmoins découvrir largement tout en le liant par leur contact à l'environnement végétal ; ces massifs seront constitués par des plantations d'arbustes à petite végétation (bruyères, lavandes, cotoneasters horizontalis) qui tout en ajoutant des taches de couleurs supplémentaires feront la liaison avec le gazon ;
- quelques conifères (allumi magnifica, cupressus sempervirus et juniérus hibernica) de tailles élancées, afin de ne pas couper les perspectives et d'une hauteur de 3 à 5 M 00, feront liaison entre les bouleaux et les arbustes à fleurs."
Ces débats témoignent de la difficulté d'intégration d'une œuvre de faible hauteur dans un ensemble aussi vaste que la cité scolaire Dupuy-de-Lôme.
Chargé d'études à l'Inventaire