Le port de Penfeld : un espace devenu exigu
Jusqu'en 1865, le trafic du port de commerce s'effectue au port de Penfeld. Les navires marchands stationnent dans la partie aval de la Penfeld où 170 mètres de quai leur sont réservés : quai Jean Bart côté Recouvrance et quai Tourville, côté Brest. La difficulté majeure réside dans l'obligation de laisser le chenal d'accès prioritairement à la marine militaire. La fonction militaire du port prévalant, le développement du port de commerce n'est pas possible. Les observateurs tels Jacques Cambry en 1795 ou Jules Michelet en 1831 soulignent l'exiguïté d'un port très fréquenté.
"Ici, les bâtiments pressés ne peuvent être déplacés sans des dispositions préliminaires qui demandent un grand travail et toute l'habileté d'un officier de port intelligent ; dans les temps de grands armements, toutes les passes sont obstruées ; il règne dans le port un embarras, une confusion, une mal propreté [...]. Les querelles se multiplient sur les cales étroites et serrées. Les bâtiments pressés se touchent ; un incendie en dévorerait la presque totalité.[...] Le quai [côté Brest] est large, marchand, presque toujours couvert de vins, d'eau-de-vie, des objets nécessaires à la consommation ; on y débarque avec facilité ; ses cales sont sans cesse obstruées par la quantité d'individus qui traversent de Brest à Recouvrance, de Recouvrance à Brest, au moyen de bateaux mal faits, trop petits, dangereux, mais qu'on est forcé d'employer pour ne pas gêner, par un chaland ou par [...] la multitude incroyable de bâtiments qui se rendent en rade ou qui viennent de la rade au port. [...] Choquet [du Lindu] et ses prédécesseurs [ont fait de Brest] une énorme masse de pierre : je m'y sens étouffé, je n'y suis pas à mon aise." (J. Cambry, Voyage dans le Finistère ou État de ce département en 1794 et 1795)
Jules Michelet confirme ce sentiment en 1831 : "Tout cela dans un port serré, où l'on étouffe entre deux montagnes chargées d'immenses constructions. Quand vous parcourez ce port, c'est comme si vous passiez dans une petite barque entre deux vaisseaux de haut bord ; il semble que ces lourdes masses vont venir à vous et vous allez être pris entre elles. L'impression générale est grande mais pénible." (Tableau de la France)
170 ans de projets pour créer le port de Porstrein
Ainsi, dès la fin du 17e siècle, il est projeté d'établir le port de commerce à l'extérieur de la Penfeld, laissant celle-ci à l'usage exclusif de la Marine.
-1683 : projet Vauban ; digues formées d'anciens navires coulés et garnis d'enrochements ; port situé à Porstrein.
-1769 : projet de Blondeau : port de commerce à Laninon.
-1785 : projet Trouille situé à Porstrein ; un bassin communiquant avec la Penfeld par le nord du château.
-1788 : projet Blaveau et des Fours ; début d'exécution des travaux en 1788-1789.
-1792 : reprise des travaux ; modifications du projets par l'adjonction de quais, forme de radoub.
-1800 : projet Delorme ; modification de l'orientation de la passe d'accès au bassin.
-1807 : projet Tarbés ; premier projet présentant plusieurs bassins (3) ; 11 hectares.
Chacun des projets proposent une augmentation de la superficie du bassin passant de 3 à 12 hectares.
-1810 : second projet Trouille ; formes de radoub implantées sur des terre-pleins ; communication entre Penfeld et Porstrein par un canal contournant le château ; proposition passe Est.
-1822 : projet Lamblardie ; reprend le projet de Blaveau.
-1823 : même projet repris par Rabourdin ; bassin de 4 hectares ; projet de construction des Rampes reliant la place du château à la rue de Paris en longeant les fortifications desservant ainsi l'anse de Porstrein.
En 1836, le directeur général des Ponts et Chaussées M. Le Grand demande au préfet du Finistère un nouveau projet de création du port de Porstrein. Alors que le Conseil Général du Finistère et la Chambre de commerce de Brest demande la création de ce port à des fins de services transatlantiques, le projet n'est présenté qu'en 1847 (rédigé par M. Le Helloco). La Révolution de 1848 empêche la réalisation du projet d'un bassin de 16 hectares.
L'étude est reprise en 1855 par M. Garet et est présentée par l'ingénieur en chef Le Pord. Le port de commerce actuel est issu de ce projet.
Un projet portuaire et urbain
Ce dernier projet, estimé à 16 millions de Francs, prévoit : une passe à l'Ouest-contrairement aux autres projets proposant une passe soit Sud-Est soit Est ; un bassin de 26.5 hectares ; 3 000 mètres de quais ; 19 hectares de terre-pleins ; 1 forme de radoub.
Le soutien à hauteur de 1 millions de Francs de la ville de Brest a contribué à la décision ministérielle de valider le projet de port de Porstrein (5 avril 1856). Celui-ci présenté et modifié par les ingénieurs Maitrot de Varenne et Carcaradec, selon les règles administratives de l'époque, sert de base au décret du 24 août 1859 (création du port Napoléon). Le décret du 26 avril 1862 concerne les aménagements intérieurs et fixe la dépense à 16 millions. Le plan qui accompagne le décret de 1862 intègre les liaisons ferrées entre le port de Penfeld, le port de Porstrein et la ligne de chemin de fer Brest-Paris dont l'inauguration a lieu le 25 avril 1865.
Prenant alors pleinement conscience du potentiel de développement d'un port connecté à un réseau ferré continental, les édiles demandent une modification du projet : la superficie des bassins sur la zone dénommée "port à marée" est augmentée et l'extension vers l'Est du bassin à flot est demandée. Le port que nous observons aujourd'hui est celui validé par décret du 17 mars 1869 (ingénieurs Maitrot de Varenne, Planchat et Fenoux).
Le nouveau port, implanté sur une ancienne grève, n'est ni coupé de la ville ni considéré comme une simple adjonction : les rampes d'accès contournant les fortifications, l'escalier monumental (1867) et la création d'un jardin public sur le lieu actuellement nommé "parc aux chaines" font du port, lors de sa création, un projet participant au développement urbain de la ville de Brest.
Port de cabotage vs port Atlantique
En 1839, date où s'établirent les premières lignes de vapeurs transatlantiques, Brest souhaite obtenir une concession de services postaux. L'objectif de créer et de développer une ligne de paquebots entre Brest et les Etats-Unis d'Amérique est présent dans la demande d'un port de commerce pour Brest, à Paris, par les députés Bizet, Pesron et Kerjégu, en 1843 ; la présence de la liaison ferroviaire Paris-Brest étant un des arguments en faveur du site brestois. Avant même la fin des travaux du port de Porstrein, Brest devient une escale des paquebots de la ligne Le Havre-New-York de la Compagnie Générale Transatlantique ; l'escale est supprimée en 1874, avant que le port de commerce ne soit opérationnel.
En 1907, se crée le comité d'étude de Brest-Atlantique. Voies ferrées (Paris-Brest), Canal de Nantes-à-Brest et Nantes-à-Lorient et l'ensemble des connexions fluviales et ferroviaires nationales et européennes intègrent les réflexions de développement du port de Brest à l'international (réflexions portées par l'amiral de Cuverville sénateur du Finistère de 1901 à 1912). Il y avait aussi la volonté de penser ce développement en lien avec Nantes et Saint-Nazaire dans une logique de réseau et non de concurrence. Quant à Claude Casimir-Perier (écrivain et fils du président de la République Jean Casimir-Perier), il propose, dans un ouvrage "Brest port transatlantique européen, projet de réorganisation des services maritimes et des chemins de fer français", de faire du port de Brest la porte d'entrée de la France vers les liaisons transocéaniques suite à l'ouverture du canal de Panama inauguré en 1914. Ce projet prévoyait une dizaine de bassins connectés aux voies ferrées, une gare maritime, une gare de marchandises et le comblement de l'anse de Saint-Marc et du Moulin-Blanc.
Georges Millineau, architecte et urbaniste de la ville de Brest, a dessiné à l'encre en 1913 ce port transaltlantique : une ville nouvelle complète le projet portuaire. Là encore, on voit combien le projet portuaire est associé au projet urbain.
En dépit de ces projets, Brest est considéré comme un port de cabotage au début du 20e siècle.
En 1913, Brest est le 19e port commercial de France. C'est un port de cabotage : 5e pour la réception et 15e pour les expéditions. Le cabotage n'est pas que régional : la compagnie brestoise Chevilotte et la Compagnie Worms gèrent des liaisons avec Bordeaux et d'autres ports français. Les bassins du port accueillent essentiellement des unités dédiées au cabotage. Celui-ci est en forte augmentation à partir de 1915 : 695 000 tonnes puis 1 159 000 tonnes en 1917.
Nouvelle impulsion en 1917
C'est au port de Brest que les soldats américains débarquent sur le continent européen lors de l'entrée en guerre des U.S.A. en 1917.
Afin de répondre au mieux à la logistique de guerre, l'armée américaine apporte des modifications importantes au port de Brest : hangars, dépôts, prolongement de quai, augmentation de la profondeur du 5e bassin, développement des voies ferrées. Ces évolutions impactent l'activité commerciale du port : chevaux, œufs, céréales, coton, charbon, acier...autant de matières nécessaires au fonctionnement de plusieurs services de la guerre. Vins et bois cèdent la place au pétrole, produits chimiques, métaux, houilles qui deviennent majoritaires dans les transactions commerciales du port durant la Première Guerre mondiale.
La Première Guerre mondiale positionne Brest comme porte d'entrée de l'Europe. Dans les années 1920, l'absence d'hinterland du port de Brest lui fait perdre sa place dans les liaisons transatlantique au profit du Havre. Cependant, son positionnement géographique, la possibilité pour les navires à fort tirant d'eau d'être accueillis, préfigurent d'autres orientations mises en place au cours du 20e siècle.
Histoire de câbles et de communication
Depuis l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique, Brest, ses édiles et sa chambre consulaire souhaitent se rapprocher du continent américain. Si l'argument géographique de la proximité de la pointe bretonne à New-York n'a pas permis de réaliser, économiquement et sur la durée, le projet Brest-Atlantique, il a permis le déploiement depuis le 19e et jusqu'à nos jours des télécommunications.
Le premier câble sous-marin de télécommunication est posé entre le cap Gris-Nez (entre Boulogne-sur-Mer et Calais) et le cap Southerland (Angleterre) en 1850 : câble co-axial il fonctionne 11 minutes. En août 1858, 4 200 km de câbles sont posés entre Valentia (Irlande) et Trinity Bay (Terre-Neuve). La ligne fonctionna 20 jours. Pour mémoire, le télégraphe n'est inventé qu'en 1876.
Le premier câble transatlantique sous-marin reliant la France (Plouzané, site du Minou) aux États-Unis d'Amérique est posé en 1869 par la Société du Câble Transatlantique Français. En 1879, la Compagnie Française des Câbles Télégraphiques s'installe au Déolen (Locmaria-Plouzané ; fermeture de la station en 1962) : un câble s’y déploie pour rejoindre l’île de Saint-Pierre, pour relier Cap-Cod (sud de Boston). Le câble est en cuivre, dans du caoutchouc (gutta-percha), d'une longueur de 5 800km posé à 4 000 m de fond. La compagnie française des câbles télégraphiques (CFCT) installe en 1898 un câble reliant Brest à New-York.
Dans un contexte de forte concurrence sur une nouvelle technologie, une parcelle de 937 m² du nouveau port de Brest est attribuée au service des câbles sous-marins (Ministère des finances, télégraphes et postes) en 1879. Située à proximité du 5e bassin, cette parcelle permet au centre de pose et de réparation des câbles d'avoir accès à la mer et aux navires : la voie maritime étant la seule possible pour transporter les câbles de section et de poids importants. Le poste câblier du port de Brest existe toujours, aujourd'hui implanté au 6e bassin.
Une zone industrielle, un port de réparation navale
Georges Lombard, président de la chambre de commerce et d'industrie en 1948 : Notre port [...] ne doit pas être comme par le passé une ville maritime mais une zone territoriale aménagée pour la réception, l'évacuation, la manipulation et même la transformation des marchandises. Notre port devra avant tout être une zone industrielle, son but n'étant pas de plaire aux yeux, mais de procurer du travail aux ouvriers, de rendre service aux usagers, en contribuant à la richesse de notre ville, de la Région et du pays."
En 1926, la société d'études Brest-Port pétrolier obtient l'autorisation d'implanter une raffinerie. La commission nautique refuse que les pétroliers accostent au 5e bassin pour des raisons de sécurité ; stationnement sur duc d'albe à proximité de la digue sud est préconisé, des pipe-lines reliant les navires à la raffinerie. Le coût du projet porté par Pechelbron-Ouest (Pelchelbronn-Brest port pétrolier) oriente le choix d'implantation à Donges (décision 1933 ; réalisation 1935). Au début des années 1970, un second projet de raffinerie est proposé en lien avec le site irlandais de île Whiddy (1968). Le risque de pollution de la rade et de la ressource en eau potable associé au risque d'explosion ont mis fin à un projet au coût jugé élevé par les compagnies pétrolières.
Le port de Brest bénéficie des plans mis en place par la France durant les décennies d'après-guerre. La zone industrielle portuaire est créée, l'anse de Saint-Marc est comblée et de nouvelles infrastructures s'implantent an lien avec des activités commerciales et de réparation (quai charbonnier, poste hydrocarbures, formes 2 et 3, quai multimodal). Le dernier des projets étant celui du pôle Energies marines renouvelables (EMR). Cimenterie, usine de triturations, silos, conteneurs complètent le paysage portuaire de Brest visible depuis la ville, les communes limitrophes et la ligne de chemin de fer Paris-Brest.
Chargée d'études d'Inventaire