L’industrie toilière joue un rôle fondamental dans l’histoire bretonne. Depuis toujours, le lin et le chanvre sont utilisés pour des besoins domestiques (habillement, linge de lit, de table...) mais aussi pour les voiles de bateaux, les cordages, l’emballage des marchandises… Avantagée par des conditions naturelles favorables aux cultures de ces plantes textiles et par une situation maritime exceptionnelle, la région oriente très tôt le développement de sa production en direction des marchés étrangers. Du 15e au 18e siècles, elle est au cœur d’un réseau international et atlantique, alimenté par l’énorme volume de toiles produites d’un bout à l’autre de la péninsule. Elle compte ainsi parmi les grandes provinces toilières de France et figure même à leur tête à la fin du 17e siècle. Cette « industrie » prospère marque durablement son économie, sa démographie, sa production intellectuelle et artistique.
Cette dynamique est bien identifiée et a fait l'objet de nombreux travaux historiques. Dès le début du 20e siècle, l’historien Henri Sée met en avant la place de l’industrie toilière dans l’économie bretonne, mais c’est Jean Tanguy qui porte la première synthèse sur les grandes périodes des manufactures, en concentrant son étude sur l’exemple du Léon. Il fait des émules qui élargissent la recherche à d’autres territoires que celui du Finistère nord. Leur point commun est de placer ces productions dans une perspective patrimoniale, en s’interrogeant sur les traces laissées par les activités de production, les activités marchandes et l’impact sur l’architecture religieuse. Néanmoins, de nombreuses zones d’ombres subsistent concernant le périmètre et la nature de certaines productions, les processus de fabrication, la dissémination de l’activité à l’échelle de la Bretagne…
La présente étude vise à réinterroger cette histoire toilière, à partir des témoignages patrimoniaux. Elle prend autant en compte les lieux de production que les habitations de ceux qui ont vécu de cette économie, et invite à faire le lien entre prospérité toilière et commandes artistiques. L’approche se veut globale, elle inclue les aspects matériels - architectures, infrastructures, objets – tout en restant ouverte aux opportunités de collecte de mémoires et de vocabulaires ainsi qu’à l’étude de la toponymie. Investir des territoires jusque-là peu explorés, revenir sur d’autres avec un regard aiguisé sur l’histoire toilière permet d’apporter un nouvel éclairage sur l’architecture rurale et urbaine.
L’étude se veut participative afin de multiplier les points de vue et les recherches, partager une vision globale et patrimoniale du territoire et de l’histoire toilière, favoriser son appropriation par le plus grand nombre. Pour inscrire cette démarche, elle s’appuie sur des collectivités et des associations, les professionnels concernés, les universités. Certaines associations, comme Lin et chanvre en Bretagne, sont des partenaires de longues dates de l’Inventaire. La proximité qu’elles entretiennent avec leurs territoires facilitent la production d’une connaissance renouvelée, parfois inédite. Elle doit aussi encourager la conservation, la restauration et la mise en valeur de certains sites, en dépit de leur fragilité.
L’étude thématique est envisagée à l’échelle régionale pour bénéficier d’une vision élargie qui aide à comprendre les dynamiques intrarégionales, à mettre en valeur les points communs ou, au contraire, les spécificités locales. A terme, elle permettra de cartographier précisément les différentes zones de production, selon leurs natures et leurs époques, et de vérifier la dissémination de l’activité à l’échelle de la Bretagne. Le périmètre historique de l’étude s’étend de la fin du Moyen Âge au milieu du 20e siècle. Il trouve dans le renouveau en cours de la filière lin en Bretagne un prolongement jusqu’à aujourd’hui.
La discrétion et la dispersion des artefacts, l'ampleur et la richesse du sujet invitent à imaginer de nouvelles façons de questionner cette histoire et les héritages qu'elle nous a transmis. Plusieurs axes de connaissances sont ainsi définis pour cibler les acteurs en fonction de leur domaine de compétences. Un premier axe permet d’identifier les acteurs de l’histoire toilière (individus, groupes et métiers impliqués). Un deuxième axe recherche la nature des productions toilières et les traces patrimoniales issues des richesses générées. Un troisième axe étudie l’impact de l’industrie toilière sur les milieux ruraux et urbains (infrastructures développées autour de la transformation du lin et du chanvre, du blanchiment des toiles et du fil). Le quatrième axe porte sur les traces iconographiques, mobilières et immatérielles de l’histoire toilière, notamment à travers la littérature, les traditions orales, les témoignages, la toponymie, l’iconographie. Ces quatre axes de connaissances sont nourris par la collecte du patrimoine et par des recherches en archives, deux volets indissociables de la méthodologie d’Inventaire.
Si la dissémination de l’activité toilière à l’échelle régionale induit une impossible exhaustivité, elle offre, en revanche, de multiples pistes d’étude. Une grande partie de la Bretagne étant concernée de près ou de loin par cette thématique, les opportunités de partenariats sont nombreuses. Elles sont l’occasion de remettre ce pan de l’histoire de la Bretagne au cœur du discours patrimonial et d’en faire un levier de développement.
Chargée d'études Inventaire