INTRODUCTION
Selon les définitions du Thésaurus de l´architecture, une cité est un groupe concerté d´habitat, individuel ou collectif, généralement ouvrier ou social. La cité-jardin est définie comme un lotissement concerté, où les habitations et la voirie s'intègrent aux espaces verts publics ou privés, destiné généralement en France à un usage social, alors que la cité ouvrière est un ensemble concerté d'habitat ouvrier, généralement mono familial.
Selon ces définitions, la cité est un type de lotissement concerté, en particulier dans le cas où elle est formée de logements individuels disposant d´une parcelle indépendante. Cette configuration spatiale, qui se confond avec celle du lotissement, est remise en cause par l´apparition du logement collectif qui remplace peu à peu les logements individuels, puis par ce qu'il est convenu d'appeler les grands ensembles et dont Yves Lacoste donne une définition (cf. annexe 6).
Ces grands ensembles sont étudiés ici dans le contexte des opérations d'urbanisme qu'ils ont généré. On se reportera également au dossier sur les secteurs urbains et plus particulièrement les ZUP et les opérations de rénovation urbaine.
La cité apparaît comme une forme de logement social qui sera le critère discriminant pour la distinguer du lotissement.
Les sources
L´étude des cités est documentée par l´ouvrage de Monique Eleb, pour la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle, mais également par l´ouvrage de François Loyer qui rappelle que le logement social est d´abord une création d´architectes et le lieu de novations techniques importantes - emploi du béton armé, de la brique à décor industrialisé, mais également le vecteur de la modernisation et du développement du confort, enfin l'occasion de la mise en place d´un urbanisme d´îlot et d´une continuité intérieur/extérieur en lien avec l´importance des espaces collectifs (Loyer, p. 440), qui semblent constituer le deuxième critère discriminant, dans le cas des cités-jardins.
Pour l´entre-deux-guerres, les modèles anglais et belges sont abondamment documentés mais l´ouvrage de Sellier, fondateur de l´Ecole des Hautes Etudes Urbaines, en 1919, pose le problème de l´habitation dans le contexte nécessaire d´un espace raisonné. Le plan d´aménagement urbain étant pour lui la garantie et l´expression de la solidarité qui doit permettre de rompre avec les espaces hiérarchisés qui sont l´expression de la lutte des classes. L´aménagement raisonné de l´espace implique les mêmes droits pour tous aux nécessités élémentaires esthétiques, hygiéniques et morales. Analysant les exemples américains et allemands, il propose une conception dominée par la nature et les accidents du terrain, préconise les maisons individuelles ou à deux unités d´habitation superposées pour limiter la densité et la hauteur des gabarits, et pour « se dégager des formules américaines des lignes droites sans tomber dans l´obsession allemande de la superstition des rues fermées ». Il recommande également de s´inspirer du style local, de s´inscrire dans une harmonie d´ensemble, d´éviter monotonie et uniformité, et de produire des types d´immeubles cadrant avec les besoins locaux, répondant aux besoins de toutes les catégories sociales qui doivent y être représentées, ainsi que les fonctions marchandes. C´est donc une conception basée sur l´intégration à un espace urbain existant.
Le congrès de Londres en 1920 préconise qu´un plan méthodique soit élaboré par chaque gouvernement, propose de définir les conditions minimales d´habitation, et d´établir une réglementation dans le cadre des plans d´extension.
HenriSellier observe que la loi du 14 mars 1919, sur l´aménagement et l´embellissement des villes, et la loi Loucheur (1928) qui a pour conséquences d´accorder des crédits aux HBM et aux particuliers propriétaires d´un terrain, ont entraîné une augmentation des prix des terrains, de la main d´oeuvre et des matériaux de construction. Des normes de standardisation (cuisine, salle, 1 chambre pour 2 personnes) lui semblent nécessaires pour réduire les coûts.
Pour la 2e moitié du 20e siècle, l´ouvrage de Joseph Abram rappelle le contexte de l´après-guerre en France, où le problème du logement est lié aux destructions mais également à l´insalubrité et à l´exode rural. Le logement devient une priorité du Deuxième Plan : 3 millions de logements vétustes sont démolis, 100 000 logements sont construits en 1953, selon une progression continue qui atteindra 445 000 logements en 1968.
L´objectif est là encore la généralisation du confort moderne. Le MRU se dote de nouveaux outils urbanistiques qui lui permettent de lancer de nombreux programmes de logements suivant des standards de construction définis par un concours lancé en 1947. Le procédé Camus est breveté en 1948. Cette architecture normalisée est encore « régionaliste », entre 1945 et 1955. La reconstruction du Havre, sur les plans de Perret, apparaît comme une réalisation précoce par sa modernité.
Les années cinquante sont cependant marquées par le style des ingénieurs, Lurçat et Le Corbusier ou encore Jean Prouvé.
Dans les années 1950, la loi Courant (1953) permet l´expropriation pour cause d´utilité publique et crée un nouveau standard dit logécos. En 1957 sont créées les ZUP qui doivent encadrer tous les programmes de plus de 100 logements (1958). En 1958 débute la préfabrication lourde et les grands ensembles.
On y applique les normes architecturales mais également urbanistiques, préconisées par le CIAM en particulier pour la liaison avec les espaces verts. Ces programmes définissent des qualités esthétiques, des types de logement, pas plus de 3 appartements par palier, position centrale du bloc sanitaire admise.
Les réalisations sont considérées comme des échecs en raison des difficultés à qualifier les espaces publics, de l'insuffisance des équipements et de problèmes de population.
Joseph Abram rappelle les dispositifs récurrents :
Typologie : barres, tours, plots, plaques avec combinaisons d´immeubles bas et de tours
Standard : immeuble de faible hauteur, parc, appartements traversants, loggias
Valeur d´usage : orientation est-ouest, plan ouvert, baies vitrées, balcon
Répartition discontinue du bâti dans des espaces verts
Découpages constructifs, processus de production, organisation du chantier (refends porteurs, préfabication lourde, coffrages tunnels).
Les exemples rennais sont documentés par les publications et les archives de l´office public d'HLM qui en donne un historique. Les HBM de la ville de Rennes (création en 1919) et l´Office Public départemental d´Habitations à Bon Marché (création en 1921) succèdent à l´association la Ruche ouvrière, créée en 1902 (annexe 1), et à la société de crédit immobilier, créée en 1912. En 1950, les HLM remplacent les HBM.
L´architecte W. Guillaume est président de l´Office de 1920 à 1925, E. Le Ray en est l'architecte, en 1928 ; enfin Yves Lemoin est l'auteur de plusieurs des cités construites dans les années 1950.
Trois cités sont attestées par cet ouvrage, pour l´entre-deux-guerres, celle de la rue de Nantes, dite Foyer-Rennais (1922), celle de la Thébaudais (1929) et celle du boulevard Villebois-Mareuil (1931).
La production de logements sociaux est très importante entre 1950 et 1960. L´ouvrage mentionne la construction de 64 logements en 1952 (cité de la Touche), de 125 logements en 1955 (cité de la Croix-Cohan), de 147 logements en 1956 (dont 64 dans la cité d'urgence de Cleunay et 83 rue Rabelais), de 893 logements en 1957 (dont 614 à Maurepas), 70 en 1958 (près de l'hôpital Pontchaillou), 120 en 1959 (rue Champion-de-Cicé), 1054 en 1960 (dont 910 dans la cité du Gros-Chêne à Maurepas).
Un document conservé dans le fonds de l´architecte Georges Maillols présente les normes minimales des logements des cités de transit ou cités provisoires construites au début des années 1950 (annexe 2) et l´ouvrage d´Henri Fréville présente l´action de la municipalité entre 1947 et 1977 (annexes 3 à 5).
On sait par ailleurs que plusieurs de ces cités sont autorisées sous forme de lotissement, entre 1929 et 1960, comme le montrent les autorisations conservées aux archives communales (série 717 W).
Le dépouillement des sources conservées aux archives communales permet de dresser la liste des principaux commanditaires :
- La Ruche Ouvrière, société coopérative d´Habitations à Loyer Modéré, fondée en 1902, devient la coopérative régionale d´Habitations à Loyer Modéré.
- L´association Notre-Foyer
- Les Castors Rennais
- L´association de lutte contre les Taudis
- L´Office Public d´Habitations à Bon Marché qui devient l´Office Public d´Habitation à Loyer Modéré en 1950.
Orientations
La cité se présente donc comme une forme de logement social qu'on peut étudier en termes de recherches sur l´unité d´habitation, d´équipements et d´intégration à l´espace urbain.
Les paramètres définissant la cité sont :
- les commanditaires et le type de réglementation
- les types de logements
- le mode d´intégration à l´espace urbain
- la place des équipements collectifs
- les innovations techniques et spatiales.
Considérant que les critères discriminants sont les commanditaires (organismes sociaux) et la présence d´espaces à usage collectif (square, place), la typologie sera basée sur la nature des logements (collectifs ou individuels) et des parties constituantes mais également sur le mode d´implantation et la disposition des logements.
Les repères chronologiques seront la date de création de l´Office d´HBM (1919), la Seconde Guerre mondiale (1939), puis 1960, après la création des ZUP.
CORPUS
Dans le cadre du recensement effectué hors secteur sauvegardé, 130 cités ont fait l´objet d´un dossier.
Le corpus est compris dans une fourchette chronologique allant de 1905 à 1975.
- Avant 1919, date de la création de l´Office d´HBM, une seule cité a été identifiée, bien que plusieurs cas isolés d´habitations à Bon Marché apparaissent dans les permis de construire.
- Entre 1919 et 1939, 7 cités ont été identifiées. On observe que la répartition des types de logements est relativement homogène : logements collectifs (2), individuels (1) et type mixte (3).
- Entre 1939 et 1959, 54 cités ont été identifiées, dont 10 camps provisoires et cités d´urgence. On observe que, durant cette période, le corpus est également constitué de logements individuels (26) ou collectif (23) mais que le type mixte (3) est proportionnellement faible.
- Entre 1960 et 1975, 67 cités ont été identifiées. Durant cette période, qui représente 51% du corpus, le logement collectif est dominant (85%).
Situation dans la ville
Les cités sont toujours construites en position périphérique, plutôt au sud de la ville, en particulier les cités de logements individuels. Durant l´après-guerre, elles sont plus nombreuses au sud de la ville (cités du ministère de la Reconstruction et initiatives municipales au sud du quartier Sainte-Thérèse). A partir de 1960, elles sont principalement construites dans les ZUP, où elles forment des groupes d´habitation.
L´emplacement des terrains disponibles, le plus souvent des terres agricoles, fait qu´elles sont même situées en limite extrême de la ville, au moment de leur construction. Elles sont toujours positionnées par rapport à un réseau existant, en général une voie primaire, à l´exception des premières cités HBM (rue André-Chénier, rue Docteur-Ferrand) et de quelques cités provisoires (square Joseph-Arot, rue Oradour-sur-Glane).
Elles peuvent être intégrées à un plan d´aménagement urbain comme c´est le cas du lotissement du MRU puis des ZUP.
Plan d´ensemble
L´absence de réseau généré par la construction de la cité est le cas le plus fréquent (100) en particulier à partir de 1950. L´habitat collectif y est dominant. Elles forment alors une
- composition isolée, hors site programmé, qui s´adapte à la forme du parcellaire disponible.
- composition en unités disjointes formant square (19), formant rue et place/square (3), ce sont alors des barres ou des assemblages barres/tours, disposées sur plusieurs îlots (3), ce sont alors des tours, comme c´est le cas dans la ZUP du Blosne.
- composition en unités jointives formant square/place et/ou rue moins nombreuses.
Dans les cas où l´on observe la création d´un réseau de desserte (27), 13 sont en impasse et 14 en rue. L´habitat individuel y est dominant, suivant une implantation de type poche. Elles forment alors :
- des unités jointives en rangées ou en bandes
- des unités disjointes de type bloc (logis jumelés)
- une composition mixte à immeuble écran avec desserte en rue.
Parcellaire
Dans le cas des cités composées de logements individuels ou mixte, le parcellaire est identique à celui d´un lotissement, en particulier la cité rue Docteur-Ferrand, desservie par une impasse, qui la rapproche des lotissements de type poche ou la Cité des Castors, rue Sous-Lieutenant-Yves-Berger (1954). C´est également le cas des cités construites dans les lotissements du MRU, à partir de 1946, et de la ville (lotissement Badault) en 1953 où elles s´inscrivent dans un plan d´ensemble à trame orthogonale ou en rues parallèles.
Dans le contexte des ZUP, le parcellaire est différent. Des parcelles sont attribuées à l´assise de l´immeuble, d´autres aux espaces libres qui appartiennent à la ville. On observe ainsi de nombreux immeubles parcelles mais également des immeubles formés d´autant de parcelles qu´il y a de cages d´escalier (ZUP de Maurepas).
Les espaces collectifs
Avant les années 1950, les cités ne disposent pas d´espace collectif, à l´exception des deux cités construites dans le lotissement du MRU comprenant des places (place de Bir-Hakeim et place du Souvenir). A partir de cette date, des espaces libres sont mis à la disposition des habitants, espaces plantés et aires de stationnement.
Le square est l´espace commun dans les cités des années 1950 et 1960, à l´exemple du groupe Saint-Cyr (1955) ou du square Louis-Jouvet, vers 1960. Les espaces plantés sont moins clairement qualifiés quand ils ne sont pas cernés par les immeubles (généralement des barres). Les tours sont disposées sur des espaces ouverts qui constituent un jardin d´agrément mais, dans la ZUP du Blosne en particulier, on observe que le square, placé en coeur d´îlot peut être commun à plusieurs cités.
Dans la ZUP du Blosne également, les tours abritent au rez-de-chaussée des espaces mis à la disposition des habitants ; ils sont parfois devenus des centres socioculturels dans les années 1980.
Typologie du bâti
Le corpus est constitué de cités regroupant des logements individuels (26%), principalement entre 1939 et 1960, de cités formées de logements collectifs (63%), principalement entre 1960 et 1975, enfin de cités de type mixte (5%), proportionnellement plus nombreuses entre 1929 et 1939.
Logement collectif : immeubles à logements ou immeubles à appartements.
Les premiers exemples identifiés sont des immeubles à plusieurs cages d´escalier préfigurant les barres, comme c´est le cas de la cité conçue par Georges-Lefort, rue Pierre-Martin (1929). Les barres et les tours sont plus tardives, souvent combinées comme c´est le cas dans les ZUP de Villejean et de Maurepas, en particulier dans le groupe du Gros-Chêne. Dans la ZUP du Blosne, les barres articulées des années 1960, à l´exemple du groupe d´habitations des Hautes-Chalais de Prunet (1963), sont remplacées par des tours autour de 1970, dans la ZUP du Blosne (cité de Terre-Neuve par Maillols 1970) ou dans la ZUP de Villejean (square du Dauphiné par Prunet 1963). En 1950, Yves Le Moine réalise cependant des compositions à unités disjointes de petits immeubles (cité de la Touche, rue Jacques-Defermon (1950), et cité de la Croix-Cohan, square Docteur-Arthur-Quentin (1955).
Logement semi-collectif : maisons à plus de deux unités d´habitation, à l´exemple des cités des Cheminots, de la Poterie, du square Joseph-Arot mais également de la cité HBM, allée André-Chénier (1905).
Logement individuel : maisons individuelles ou jumelées (à deux unités d´habitation), comme c´est le cas de la cité HBM de la Thébaudais, rue Docteur-Ferrand (1929), des cités de Cleunay, rue Eugène-Pottier (1953), rue Jean-Marcel-Châtel (1953), ou encore de la ZUP de Maurepas square de l´Europe et square Alexandre-Lefas (1963).
Mixte : immeuble et maisons dont on trouve des exemples avec les compositions à immeuble écran : boulevard Villebois-Mareuil (1929), rue de Saint-Malo (1937), et cité Oberthür rue de Paris (1953).
CONCLUSION
Les cités construites à Rennes sont peu nombreuses avant le milieu du 20e siècle. Cette rareté peut s´expliquer par l´absence d´un bassin d´emploi industriel. La construction des logements dans la deuxième moitié du 19e siècle aux abords des grandes usines est encore peu importante. Après la Seconde Guerre mondiale, la problématique hygiéniste et philanthropique à l´origine de la création des cités est remplacée par une production de masse qui doit permettre de faire face à une crise aiguë du logement.
Ainsi, jusqu´à la création des ZUP, les cités, principalement formées de maisons individuelles, ne se distinguent pas des lotissements qui permettent aux ruraux venus s´établir dans la ville de se construire des logements disposant d´un jardin, avec l´aide des organismes comme la Ruche Ouvrière qui traitent des demandes isolées. La construction de logements standardisés est une nécessité dès l´origine. Les normes changeront au fil du temps mais également la place disponible et la disparition importante du nombre de propriétaires (les cités HLM n´offrent que des logements locatifs) même si la mixité est l´un des objectifs des ZUP.