"La bannière de procession de Minihy-Tréguier est ornée d’un côté par la scène du Calvaire, de l’autre par saint Pierre. Par sa grande qualité, c’est une illustration exemplaire du savoir-faire des brodeurs aux 17e et 18e siècles. Le classicisme du choix de l’iconographie peut mettre en lumière la façon de travailler du brodeur. Le recteur, le fabricien ou le donateur anonyme qui désirait faire réaliser une bannière, consultait un choix de modèles des gravures sans doute mises à sa disposition dans l’atelier. Il pouvait associer à son gré des personnages tirés de gravures différentes et leur donner le fond de son choix. Une dizaine de bannières autour de celle de Minihy-Tréguier nous permettent de juger de cette démarche.

Le Christ en croix choisi ici est très différent de celui de la bannière de Tréduder : les bras ne sont plus à l’horizontale, mais dessinent un V ; les jambes ne sont plus croisées, les pieds, cloués séparément reposent sur un suppedaneum ; le périzonium est drapé de façon différente. En revanche, c’est le même modèle qui est utilisé seul à Plouëc ou Squiffiec, dans la même scène à Trégastel, Prat et Hengoat. A Coatascorn, le même Christ et la même Vierge ont été représentés. A Goudelin et à Brélidy enfin, les trois personnages du Calvaire sont identiques, de même que saint Pierre sur l’autre face, portant d’une main un livre, de l’autre, deux clés. Dans ces deux bannières, le même décor très exubérant et riche couvre pratiquement tout le fond. Ce sont les mêmes bouquets qui couvrent ailleurs le fond d’autres bannières, ce qui prouve que là aussi on avait recours à des carnets de modèles. Le même raisonnement s’applique aux décors des bordures.

La bannière de Minihy-Tréguier est l’œuvre d’un maitre-brodeur astucieux qui sait tirer parti du dessin pour donner l’illusion de la profondeur - l’auréole de saint Pierre et le haut de la croix sortent du cadre assigné par la bordure -, et qui utilise d’une façon savante le dégradé de couleur pour suggérer le volume des personnages."

Texte de Véronique Orain et Marie-Dominique Menant dans "Trésors secrets des Côtes-d'Armor, 1 000 ans d'art et d'histoire", Château de la Roche-Jagu, 1er juillet - 31 octobre 1991.