Le groupe d’œuvres étudiées ici sont des statues de la Vierge, qui, en raison de leur réputation miraculeuse, ont reçu sur leur tête une couronne d'or, à l'occasion d'une cérémonie officielle, autorisée par le pape. Cette pratique d'intronisation est l'occasion pour les évêques de faire reconnaître certains pèlerinages ou de les relancer. C'est ainsi qu'aujourd'hui encore, plusieurs Vierges couronnées demeurent au cœur d'importants pèlerinages ou pardons.
De nouvelles circonscriptions civiles et religieuses : l'héritage de la Révolution
Le contexte des couronnements de statues de Vierge aux 19e et 20e siècles, en Bretagne, mais aussi partout en France est celui d'intenses bouleversements. Les agitations politiques et religieuses, initiées par la Révolution française, mettent à mal tous les codes préalablement établis. D’abord par la mise en place d’un nouveau découpage géographique modifiant les diocèses jusqu’à présent établis sur le territoire. La Bretagne passe de neuf évêchés (Saint-Malo, Dol, Cornouaille, Léon, Nantes, Rennes, Vannes, Tréguier, Saint-Brieuc) à cinq ; Rennes, Nantes, Vannes, Quimper et Saint-Brieuc et Tréguier (qui devient un seul et même diocèse), ces derniers partageant les limites territoriales des départements nouvellement créé de L’Ille-et-Vilaine, de la Loire-inférieure, du Finistère, du Morbihan et des Côtes-du-Nord.
Définir le couronnement canonique
Le couronnement n’est pas uniquement le fait de déposer une couronne sur une statue ou un tableau. En effet, toutes les statues et Vierges couronnées des sanctuaires bretons ne sont pas officiellement reconnues par Rome. Le couronnement de la Vierge existe dans l’iconographie chrétienne, il est tiré de l'Apocalypse où la Vierge est couronnée dans les cieux, mais également de plusieurs évangiles apocryphes. Ce type d’iconographie est très présent depuis le début du 12e siècle en Europe. Or, le couronnement dont il est question dans cette étude est officiel et se réfère à une cérémonie spécifique organisée en vertu d'une autorisation (une bulle) pontificale. Plus précisément, pour qu’une Vierge soit couronnée solennellement dans un sanctuaire, une demande par l'évêché doit être faite auprès de l'Église de Rome. C'est seulement à réception d'une bulle pontificale que l'on peut procéder aux festivités et à la cérémonie officielle.
Cet acte s'apparente pleinement à un couronnement royal. Il est octroyé par la même occasion une indulgence plénière au sanctuaire marial, c'est-à-dire une remise des peines encourues pour les péchés commis, lors de la visite de ce sanctuaire. Dans la foulée, l’église concernée peut se voir élever au rang de basilique mineure, un titre honorifique concédant des privilèges plus importants en comparaison à d'autres églises.
La cérémonie de couronnement se déroule sous forme d'une grand messe à la fin de laquelle une couronne est déposée sur la tête de la statue (ou deux si la Vierge est accompagnée du Christ). Généralement réalisées par des orfèvres locaux, ces couronnes en pierres précieuses ou semi-précieuses sont fabriquées spécialement pour cet usage.
Le couronnement d'une statue mariale n’est donc pas anodin. Il élève le sanctuaire et lui confère une place remarquable au sein de l’évêché et du territoire.
Un siècle de couronnements (1857-1954) dans le diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier
Le premier couronnement de Vierge en France a lieu le 9 juillet 1853 au sanctuaire de Notre-Dame-des-Victoires à Paris, à la demande du Pape Pie IX en remerciement de la libération de Rome par la France en 1849. Un an plus tard, le 8 décembre 1854, ce même pape proclame le dogme de l’Immaculée Conception, propulsant la figure de la Vierge Marie vers une dévotion populaire très largement diffusée dans toute l’Europe. L’Immaculée Conception accorde à Marie son statut supérieur de mère du Christ exempte de tout péché.
En France, plus d’une centaine de Vierges sont couronnées sur deux siècles. La Bretagne en comptabilise 25 sur les 4 diocèses (Vannes : 5 ; Quimper : 4 ; Rennes : 7 ; Saint-Brieuc et Tréguier : 9), ce qui en fait la seconde région la plus couronnée de France après la région Auvergne-Rhône-Alpes qui compte 30 statues ainsi distinguées sur 5 diocèses.
La présente étude, conduite dans le cadre d'un mémoire de master universitaire, se concentre sur les Vierges couronnées du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier. Avec 9 statues, c’est le diocèse disposant du plus important nombre de statues couronnées solennellement en France et également le premier en Bretagne. A l'échelle régionale, c'est aussi le premier diocèse qui couronne un sanctuaire en 1857, à Guingamp. Ce premier couronnement est suivi par celui de Rumengol (diocèse de Quimper) en 1858 (1).
Les statues de la Vierge
Les statues couronnées du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier sont toutes d’origines différentes. Les commanditaires et sculpteurs sont inconnus, à l’exception de Notre-Dame de L’Espérance à Saint-Brieuc sculptée en 1852 par Pierre-Marie Ogée. Hormis un buste à Rostrenen, ce sont des statues en ronde-bosse de la Vierge seule ou avec l'Enfant et en pied.
Elles sont réalisées dans différents matériaux et il n'existe pas de modèle unique.
Les couronnes
L’atelier d'orfèvrerie Desury, spécialisé dans la réalisation d’objets religieux, a été l'un des plus importants du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier. Fondé par Romain Desury en 1781, il a perduré jusqu’au milieu des années 1960 avec le dernier orfèvre de la famille, René Desury. Durant deux siècles, la famille Desury joue un rôle majeur pour les paroisses et l’évêché lui-même, réalisant une grande partie des couronnes des statues des Vierges, notamment celles de Notre-Dame de la Clarté (1946), Notre-Dame de Toute-Aide (1950) et de Notre-Dame de Rostrenen (1913).
Des pardons et pèlerinages de renom
La plupart des pardons et pèlerinages sont antérieurs aux actes solennels de couronnement, mais ils ont pris davantage d'ampleur à l'issue de ceux-ci. Dans certains cas la date du couronnement devient celle du pardon. L’un des plus importants du diocèse - et le dernier chronologiquement - est celui de Notre-Dame-de-toute-Aide de Querrien. Le couronnement a lieu le 14 août 1950 et rassemble plus de 20 000 personnes, dont de très nombreux représentants de l’évêché et des archidiocèses de tout l’Ouest de la France (2). En 2024, ce pardon est toujours l'un des plus importants du diocèse attirant environ 2000 participants chaque année pour les fêtes de l'Assomption.
En règle générale, des pardons sont toujours célébrés annuellement aujourd'hui aux dates anniversaires des couronnements. Ils ont néanmoins, pour la plupart, perdu de leur ampleur et de leur faste.
Dans cette étude, ce sont avant tout les statues couronnées qui ont fait l'objet d'investigations. Les sanctuaires eux-mêmes ainsi que les objets de pèlerinage et de procession liés pourront faire l'objet d'études complémentaires ultérieures.
(1) HOLLANDER Paul (d’) et LANGLOIS Claude (dir), Foules catholiques et régulation romaine, Limoges, PULIM, 2011, p. 253-266.
(2) COUESSIN Pierre, Apparitions de Marie en Bretagne à Querrien, Paris, Salvator, 2007, p. 27.
Etudiante Université Rennes 2, master 2 rechercher Histoire de l'art.