Une région fortement marquée par les héritages militaires
La Bretagne se caractérise par sa géographie péninsulaire et son trait de côte de 2 470 km qui représente un tiers du linéaire côtier métropolitain. Son caractère à la fois rural et maritime, source de richesses en raison du cabotage et des échanges culturels et commerciaux, mais aussi de convoitises, lui confèrent un statut stratégique. Eperons barrés, châteaux forts, fortifications d’agglomération, citadelles, place fortes, forts et batteries, casernes, corps de garde, magasins à poudre, arsenaux, bases de sous-marins, bunkers, et autres ouvrages militaires fortifiés ou non fortifiés sont indissociables des paysages bretons.
Comprendre les contextes qui ont présidé au projet et à l’implantation des ouvrages militaires est indispensable pour rendre compte de cette histoire : défense d’habitats et de résidences aristocratiques ou élitaires, défense du duché de Bretagne, défense de l’État royal, impérial puis républicain, défense du Reich allemand durant la Seconde Guerre mondiale avec la construction des bases de sous-marins et du Mur de l’Atlantique et enfin, de la guerre froide jusqu’à nos jours, défense et projection à l’échelle mondiale par la dissuasion nucléaire.
Éléments essentiels de l’histoire de l’architecture et de l’évolution des sciences et techniques, les fortifications et le patrimoine militaire témoignent ainsi des enjeux de défense de territoire.
L’étude d’Inventaire du patrimoine donnera à lire la permanence des installations militaires et stratégiques sur le temps long du Moyen Âge à la Seconde Guerre mondiale. Cette approche diachronique et pluridisciplinaire intégrera les champs de l’archéologie et ouvrira également des perspectives d’archéo-géographie.
Des héritages non protégés et menacés
En certains points du littoral breton, notamment sur les plages, l’érosion marine entraîne, avec le recul du trait de côte, la dégradation d’ouvrages de fortifications ou encore le basculement de bunkers à la mer. Ce phénomène pose à la fois des questions de conservation du bâti et de sécurité.
Les bunkers construits par l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale ont été élevés sur le littoral ou dans l’intérieur des terres, soit sur des terrains militaires, soit sur des parcelles publiques ou privées réquisitionnées par l’occupant. Non soumis à l’impôt, les bunkers ne sont pas cadastrés (sauf réutilisation postérieure) : sans existence du point de vue fiscal, ils appartiennent au seul propriétaire de la parcelle. Non cartographiés et non protégés, ils sont le plus souvent détruits lors des aménagements urbains.
Si le "bunker" et les sites de la Seconde Guerre mondiale se sont progressivement imposés comme éléments du patrimoine dans les années 1990, notamment par le biais de publications spécialisées, ils ont fait et font toujours l’objet d’un pillage effréné. De nombreux "objets" sont ainsi détenus par des collectionneurs privés. Les bunkers dans lesquels certaines collections sont présentées attirent un large public.
Près de deux cents "architectures militaires" sont protégées au titre des Monuments historiques : il s’agit en majorité de fortifications de l’époque médiévale. Sur le littoral, une cinquantaine d'ensembles ou d'ouvrages fortifiés conçus pour la défense des ports bretons et des archipels sont également protégés au titre des Monuments historiques. C’est le cas de la tour de défense côtière imaginée par Vauban à Camaret, dès 1907, et inscrite en 2008 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco avec onze autres sites français.
En 2022, seule l’ancienne station radar allemande de Port-Coton à Bangor (Belle-Île) est protégée au titre des Monuments historiques en Bretagne comme élément du Mur de l’Atlantique.
Des héritages à valoriser
A côté de sites emblématiques comme les grandes fortifications médiévales ou vaubaniennes, les héritages militaires contemporains (19e et 20e siècles) sont encore peu valorisés en Bretagne. Le sentier côtier donne en effet à voir de nombreux sites désaffectés, souvent difficiles d’accès, végétalisés et dégradés.
Pour y remédier, il convient de prendre en compte les difficultés de compréhension des édifices, a fortiori lorsqu’ils sont désarmés, pensés originellement pour leur fonctionnalité militaire et l’accueil de soldats, et non du public : le besoin est pressant de raconter des histoires et d’investir des supports de transmission.
Parmi les héritages militaires, ceux de la Seconde Guerre mondiale, encore fortement liés à des moments clés de la mémoire collective, stimulent pourtant les passions de nombreuses associations, notamment dans le domaine de la connaissance et de la reconstitution historique, et séduisent un large public attiré par le "tourisme de mémoire". A Batz-sur-Mer (Loire-Atlantique), près de la Pointe Saint-Mathieu à Plougonvelin ou à la Cité d’Aleth à Saint-Malo (dont le projet a bénéficié du financement du Loto du patrimoine), la réhabilitation de grands postes de direction de tir nazis en musée est un succès touristique et économique.
L’étude d’Inventaire du patrimoine consacrée aux héritages militaires ouvre d’emblée des orientations et opportunités de valorisation touristique et culturelle à construire avec les interlocuteurs concernés (Tourisme Bretagne, collectivités, réseaux…). Une méthode de travail interne à la collectivité sera élaborée afin que le regard porté par l’étude puisse se connecter au mieux avec les démarches opérationnelles mises en œuvre par les autres politiques de la Région Bretagne (valorisation du patrimoine, tourisme...).
Co-construire, partager et valoriser la connaissance de l’étude d’Inventaire
La richesse, la diversité, l’exemplarité, l’originalité et le bon état de conservation des fortifications littorales modernes et contemporaines en Bretagne (17e-20e siècle) en font une véritable spécificité. Réunissant littoral et arrière-pays, l’exploration de cette histoire singulière permet des approches pluridisciplinaires : historique, patrimoniale, environnementale, touristique... Cette vision s’accorde avec la stratégie régionale d’Inventaire, articulée à d’autres politiques régionales. Elle offre un outil de compréhension des territoires : en renforçant les liens qui existent entre eux, en croisant des patrimoines, en révélant des éléments méconnus de ce passé.
En favorisant les démarches participatives associant les habitants et les acteurs du territoire, la co-construction de l’Inventaire du patrimoine est un gage d’appropriation et d’insertion par les territoires : conservation, remploi, valorisation du patrimoine. C’est également un atout pour pour l’étude et la thématique elles-mêmes.
L’étude permettra de réaliser un état des lieux des témoignages de l’histoire militaire de la Bretagne, selon la méthodologie d’Inventaire : recensement in situ, études approfondies, porter à connaissance des données produites et actions de restitution. Elle sera conduite dans le cadre de la stratégie de co-construction portée par la Région Bretagne en articulant régie directe et partenariats : collectivités, universités associations, mais aussi CRMH, SRA, Conservatoire du littoral, ministère de la Défense, Inspection générale des affaires maritimes…
Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.