Dossier thématique IA35132783 | Réalisé par
  • enquête thématique régionale, Inventaire de l'urbanisme rennais de l'entre-deux-guerres : quartier de Villeneuve
L'urbanisme rennais de l'Entre-deux-guerres du quartier Villeneuve (Rennes) 
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  • Aires d'études
    Rennes ville

Le quartier Villeneuve, situé au sud de la gare de Rennes, trouve ses origines à la fin du 19e siècle. Implanté autour d’un ancien manoir et de ses terres, il est caractéristique du contexte d’expansion urbaine de la ville aux tournants des 19e et 20e siècles, et des réflexions hygiénistes globales concernant le logement, la salubrité et l’accessibilité pour les populations ouvrières. Dès 1857, l’arrivée du chemin de fer favorise l’urbanisation des faubourgs sud, répondant à l’arrivée massive d’une population rurale venant travailler en ville. Le développement et la structuration de ce quartier sont également dus aux activités liées à l’Arsenal (mentionné dès 1854), puis aux constructions de la prison départementale en 1898, de l’église paroissiale Sacrés-Coeurs en 1908 et de la caserne Margueritte en 1911, mobilisant largement les populations ouvrières.

Le quartier est défini par sa forte cohérence architecturale : les maisons présentent une homogénéité tant dans les formes employées que dans les matériaux mis en œuvre. Comme le laisse entendre son nom, Villeneuve accorde une place importante à la vie de proximité par la construction d'équipements publics (le square, la crèche, l’école de filles…) et par la vie commerciale qui s’y développe (de nombreux services et des épiceries sont aménagés afin de répondre aux besoins quotidiens des habitants).

Révéler l’identité sociale du quartier : le profil des habitants et des commanditaires

Les chiffres des recensements de 1921 (1 976 habitants) et de 1936 (2 405 habitants, soit 2,44% de la population rennaise) traduisent la forte progression démographique observée à Rennes entre 1830 et le début du 20e siècle. Par exemple, sur cette même période, la rue Hector Berlioz passe de 9 à 39 habitants. Les rues les plus à l’est, comme celle d’Auguste Comte, connaissent une forte densification. Le quartier Villeneuve s’est principalement construit pour les Rennais et habitants des communes alentour : sur les 2041 habitants recensés en 1931, 1476 d’entre eux sont originaires d’Ille-et-Vilaine, soit plus de 72%, dont 40% nés à Rennes. 

Les classes moyenne et populaire accèdent à la propriété au début du 20e siècle, notamment par la création de la Société française des habitations à bon marché (SFHBM) en 1889 et la loi Ribot de 1908 qui souhaite démocratiser l’accès à la propriété foncière des classes ouvrières. Sur les groupes socioprofessionnels des commanditaires du quartier identifiés (55%), la moitié correspondent à la classe moyenne, 41,7 % à la classe populaire, et seulement 2,1% à la classe aisée. En prenant uniquement en compte les ouvriers et les employés, indépendamment des trois classes sociales déterminées, ils représentent 69,4% de l’ensemble des commanditaires du quartier. 

Entre 1921 et 1936, les habitants des classes populaire et moyenne représentent entre 89% et 97,5% de l’ensemble de la population du quartier. Si l’on distingue les deux classes, on constate que la classe populaire qui comprend les ouvriers représente entre 34,8% et 49,7% (selon les années), tandis que la classe moyenne représente entre 43,4% et 54,5%. La majorité de ces travailleurs est employée par des grands employeurs rennais, industriels et de services, comme les chemins de fer, l’Arsenal ou les imprimeries (présentés dans le volume I, p. 170-178 ; volume II, p. 121-146), et quelques employeurs de proximité. Concernant la classe aisée, bien qu’elle ne représente qu’une petite part de la population du quartier (en moyenne 2,4%), elle triple sur la période de l’Entre-deux-guerres, passant alors de 1,2% en 1921 à 3,3% en 1936. Cette classe spécifique est composée de plusieurs personnalités présentées dans le volume II (p. 110-121). La place des femmes dans le quartier a également été analysée (volume I, p. 157-169), et leur émancipation s’observe par un taux d’activité particulièrement élevé : sur la totalité de la population féminine du quartier, plus de 62% d’entre elles ont un emploi en 1921, contre 42,3% à l’échelle de la France.

L’étude du quartier Villeneuve se concentre sur la première moitié du 20e siècle, période durant laquelle plusieurs maires bâtisseurs rennais et architectes municipaux s’emparent des théories hygiénistes pour édifier de nouveaux équipements publics : Jean Janvier (1908-1923) fait par exemple appel à Emmanuel Le Ray (1859-1936) pour dessiner la crèche du quartier Villeneuve ou la piscine Saint-Georges. Jusqu’au début du 20e siècle, Rennes s’étend : ses faubourgs sont urbanisés d’abord au nord de la Vilaine puis au nord du chemin de fer, tandis que les espaces plus au sud sont encore occupés par des terres agricoles.

A Villeneuve, l’entrepreneur J. Vaudois rachète en 1872 le manoir du 16e siècle (modifié au 18e siècle) et ses terres, et propose un premier projet de tracé urbain l’année suivante. Son neveu René Amiot reprend le projet et soumet des propositions pour définir les voies principales et secondaires du quartier. En 1885, suite à un courrier adressé au maire Edgar Le Bastard (1880-1889) puis à une pétition des habitants, les premières rues sont ouvertes : le quartier s’organise d’abord à l’ouest, à proximité de la rue de Nantes, entre 1898 et 1910 (rues Vaudois, Lobineau, Alain Bouchard, André Désilles), puis à l’est vers 1914 (rues Etienne Dolet, Margueritte, Berlioz, Villeneuve, Berthelot, Compte et Palissy). Bien que Villeneuve se structure pendant plusieurs périodes d’urbanisation, l’organisation est homogène et cohérente. Hormis une interruption durant Première Guerre mondiale, le rythme de construction des maisons est soutenu : 27 maisons en 1911, une vingtaine par an entre 1921 et 1925. La densification se poursuit en investissant les derniers terrains disponibles entre 1926 et 1930, quelques constructions ponctuelles sont réalisées entre 1930 et 1939, avant que la Seconde Guerre mondiale ne marque un arrêt dans les constructions. 

Le quartier est structuré par des équipements, publics et privés : la prison et la caserne dessinent les contours du quartier, tandis que l’église est située au cœur de Villeneuve. Certains participent au quotidien des ouvriers, comme l’école de filles, la crèche et le square construits dans les années 1920 en plein cœur du quartier. 

Cette vie de proximité est également illustrée par une importante vie commerçante, permettant de répondre aux besoins quotidiens des habitants. On observe une concentration de ces commerces dans la partie nord du quartier, autour de quelques axes (rues Guinguené, Ange Blaize, Alain Bouchart, Lobineau). Bien que près de la moitié des magasins du quartier sont consacrés à l’alimentation et à la boisson (comprenant les débitants cabaretiers), il existe une diversité et une complémentarité de ces services. Pour la période étudiée, on recense 75 devantures, ce qui représente 14% du bâti du quartier, surtout construites avant la Première Guerre mondiale. L'architecture et les décors de ces devantures ont été analysées dans le dossier en annexe (volume I, p. 189-195 ; volume II, p. 146-176). 

Par la suite, d’autres équipements s’implantent dans les parcelles disponibles : une école privée est édifiée dans les années 1930, dont la salle des fêtes a la particularité d’être reconstruite en cinéma après la Seconde Guerre mondiale. Autour des années 1950, dans la rue Lobineau, sont aussi construites la Caisse d’Allocations Familiales et le pensionnat Sainte-Geneviève.

  • Période(s)
    • Principale : 1ère moitié 20e siècle

Une architecture homogène représentative de la première moitié du 20e siècle à Rennes

15 architectes et 65 entrepreneurs ont été identifiés comme acteurs de la construction du quartier. Les architectes ont davantage contribué aux équipements publics et privés, comme Arthur Regnault (1839-1932) - l’église et le presbytère - et Emmanuel Le Ray (1859-1936) - la crèche, le square et l’école de filles -,mais également Georges Nitsch (1886-1941 ; 9 constructions) et Jules Depais (1866-1930 ; 16 constructions). 32 édifices du quartier ont bénéficié d’une collaboration directe entre architectes et entrepreneurs, comme Eugène Poullard avec Georges Nitsch ou Pierre Guillet avec Jules Depais, mais globalement les constructions sont plutôt exécutées par des entrepreneurs, dont les sept principaux sont Victor et René Cruche, Pierre Guillet, Francis Moncarré, Eugène Poulard, Henri Robert et Hippolyte Tollemer. Cela s’explique probablement par la prédominance de populations ouvrières dans le quartier aux moyens financiers limités. Les entrepreneurs disposent d’un large catalogue de modèles (issus de références nationales), qui leur permet de répondre aux normes d’urbanisme, ainsi qu’aux exigences d’hygiène et de confort dans un souci économique. Ces modèles dessinés par des architectes praticiens ou théoriciens sont ensuite adaptés, par les entrepreneurs locaux, aux matériaux locaux ou aux goûts des clients. La prolifération de ces modèles a entraîné une certaine homogénéité architecturale du quartier. 

L’étude s’est intéressée aux typologies des maisons, construites autour de plusieurs groupes nommés “maison avec toiture alignée à la rue”, “maison avec pignon sur rue”, “maison en plan en L”, “immeuble de rapport”, “immeuble d’angle”. Chacun de ces groupes a été divisé en types selon leur nombre d'étages, du placement de la porte d’entrée, de la forme de la toiture et du nombre de travées. Tous ont été analysés à travers leur période d’utilisation, leur répartition dans le quartier, ou par qui sont ils habités. Ce système a permis de classer 317 des 446 maisons recensées : des modèles sont utilisés pour 71% du bâti du quartier. Aussi, la durée d’utilisation de chaque typologie s’étend sur 10 à 20 ans avant de passer de mode, d’évoluer au gré des façons d’habiter et des normes sanitaires, jusqu’en 1925 où les quelques parcelles disponibles sont investies par des commanditaires plus aisés, qui ne font plus appel à ces modèles.

Une dizaine de matériaux est mise en œuvre dans le quartier : leur façade sur rue est en grès de Saint-Germain, les façades latérales sont en schiste de Pont-Réan, couvertes d’une toiture en ardoise à deux pans ou en demi-croupe ; les ouvertures en arc surbaissés ou en linteau droit sont constituées de briques des briqueteries locales dont les décors sont réalisés en ciment ; de simples décors animent la façade, souvent des bandeaux en briques. Ce “style du bassin rennais” est également mis en œuvre dans le quartier des Mottais. 

Le quartier est surtout formé de maisons d’habitation (60%), davantage réparties au sud du quartier. Les constructions sont majoritairement alignées sur rue (85%) pour des profils de rues homogènes, et construites sur des parcelles rectangulaires (55%) permettant l’aménagement d’un espace jardin à l’arrière Ce sont surtout des maisons basses : à un étage (42%), ou en rez-de-chaussée surélevé (37%) qui permet notamment d’aménager un sous-sol à usage de stockage, remplaçant les dépendances qui caractérisent le milieu rural.

Les commanditaires des classes moyenne et populaire (76,4%), montrant un attachement de la classe populaire à une identité rurale, préfèrent la maison individuelle. Pour autant, les habitants qui logent dans les immeubles collectifs sont majoritairement issus des classes populaire et moyenne : l’entièreté de la classe populaire ne bénéficie pas de la possibilité de devenir propriétaire ou locataire d’une maison individuelle. D’ailleurs le quartier se trouve à proximité du Foyer Rennais, premier ensemble immobilier de l’Office municipal d’Habitation à Bon Marché créé en 1919, conçu pour loger collectivement des ouvriers et leurs familles. Au sein du quartier, 51 maisons individuelles évoluent, par des surélévations, des extensions ou des aménagements permettant d'accueillir de nouveaux ménages, devenant ainsi des logements collectifs. Après 1931, le nombre de ménages tend à stagner et l’habitat (re)devient individuel. 

L’étude a également investi les effets des théories hygiénistes à travers la fréquence d’installation ou non d’éléments liés à l’hygiène et au confort. Les structures liées à l’hygiènes recensés sont le branchement à l’égout (assez faible puisqu’il s’élève à 40,7% de constructions neuves contre 65% pour le reste de Rennes), le raccordements à l’eau potable, la construction ou l’ajout de WC, ou de pièces liées à l’hygiène (seulement 21% du bâti neuf prévoit une salle de bain, salle d’eau ou toilettes). Les équipements de confort sont étudiés à travers la présence de chauffage : seulement sept habitations disposent d’un calorifère ou d’une chaufferie, le reste est pourvu de foyers de cheminées. Les salles de réception, symboles de sophistication, sont présentes dans moins de 4% du bâti, tandis que la proportion de salle à manger double entre la période précédant la Première Guerre mondiale et la fin de l’Entre-deux-guerres. Ces différents aménagements renseignent le désir de modernité et de confort des commanditaires.

Bibliographie

  • AUBERT, Gauthier (dir.). Rennes les vies d’une ville. Rennes : Musée de Bretagne, 2018.

  • BESLER, Christophe, BLAY, Jean-Pierre. Rennes, il y a 100 ans, en cartes postales anciennes. Prahecq : Editions patrimoines et médias, 2007.

  • Dictionnaire du patrimoine rennais. Sous la direction de Jean-Yves VEILLARD et Alain CROIX. Rennes : Éditions Apogée, 2004.

    Archives municipales de Rennes : R0-143
  • LOYER, François, GUENE, Hélène. L'Eglise, l'Etat et les architectes, Rennes 1870-1940, éditions Norma, 1995.

  • LAURENT, Catherine (sous la direction de). Emmanuel Le Ray, architecte de la Ville de Rennes de 1985 à 1932, Rennes, 2000.

  • SABATIER, Benjamin. Urbanisme et architecture à Rennes dans la première moitié du XXe siècle : de Jean Janvier à François Château, maires (1908-1944). Thèse de Doctorat d’histoire de l’art sous la direction de Jean-Yves Andrieux, Université Rennes 2, 2009.

  • SALMON, Marc. Émotions rennaises : un enfant du quartier des Sacrés Coeurs de Rennes entre 1947 et 1954. Morlaix, 2007. 

Annexes

  • Portrait d'un quartier rennais, le quartier Villeneuve (volume 1, écrit) :
  • Portrait d'un quartier rennais, le quartier Villeneuve (volume 2, annexes) :
Date(s) d'enquête : 2021; Date(s) de rédaction : 2021, 2023