Première Guerre mondiale : une base américaine d’hydravions
Située dans l’Aber Wrac’h, Énez Terc’h (Enez Derc’h) est localement surnommée l’Île aux Américains en raison de la présence d’une base américaine d’hydravions sur cette île durant la Première Guerre mondiale.
Après l’entrée en guerre des États-Unis le 6 avril 1917 et l’arrivée des américains dans les ports de Saint-Nazaire et Brest, des Naval Air Stations pour hydravions (Seaplanes stations) sont en effet implantés sur le littoral breton à Brest-Laninon (Les Quatre-Pompes), l'Île-Tudy, Le Croisic, l'Aber Wrac’h - Énez Terc’h à Plouguerneau, et Tréguier. Des Naval Air Stations pour ballons dirigeables (Dirigible stations) se trouvent à Paimbœuf et Guipavas, tandis que les bases de Brest et de La Trinité abritent des ballons captifs (Kite-balloons stations). Ces bases américaines réutilisent des installations françaises ou sont construites ex-nihilo.
La base de l’Aber Wrac’h accueille plus de 500 marins dont une cinquantaine d’officiers (53 officiers et 455 marins le jour de l’Armistice, le 11 novembre 1918). Dix-neuf hydravions Curtiss y sont recensés fin 1918. Ils sont armés (une mitrailleuse et deux, voire quatre, grenades anti-sous-marins) et dotés d’un poste de télégraphie sans fil - un poste seulement par section - pour déclencher l’alerte. La base assure la surveillance des côtes, l’escorte et la protection des convois maritimes contre les mines flottantes et les sous-marins allemands.
D’une surface de plus de 12 ha, l’île est accessible à marée basse depuis Lilia à Plouguerneau. De nombreuses baraques - logements, édifices logistiques, ateliers, magasins (y compris à munitions), abris pour groupes électrogènes, réserves d’eau, de carburant et d’huile - composent la base construite par le Génie américain à partir de janvier-février 1918. Les antennes implantées sur l’île au nord servent à la station de télégraphie sans fil.
Si les hydravions restent au mouillage dans l’Aber Wrac’h entre les patrouilles aériennes, ils peuvent être remontés pour maintenance et réparation sur un vaste terre-plein bétonné et abrités dans deux grands hangars. Une cale ou rampe inclinée nommée slipway, permet leur manutention via un chariot sur rails tiré par un bout. Pour faciliter les manœuvres, les hangars sont implantés perpendiculairement au slipway.
Après la fermeture de la base fin 1918, les baraques et autres installations sont démontées.
Seconde Guerre mondiale : treize bunkers répartis dans deux ensembles fortifiés
Durant la Seconde Guerre mondiale, Énez Terc’h est intégrée au Mur de l’Atlantique et deux ensembles fortifiés sont implantés sur l'île pour protéger l’Aber Wrac’h d’un débarquement amphibie allié. Ces deux ensembles fortifiés nommés point d’appui lourd "Stützpunkt Plouguerneau" forment avec deux autres ensembles fortifiés situés sur l’Île Cézon ("A 36") et Énez Vihan ("A 35") le point d’appui lourd "Stützpunkt Aber Wrac’h". A proximité, on trouve également les "Stützpunkt Marguerite" (ensembles fortifiés "A 37" et "A 38") et le "Stützpunkt Aber Benoit" (ensembles fortifiés "A 43" et "A 44"). Un filet anti-torpille, supporté par des bouées, était tendu entre Énez Terc'h et Énez Vihan afin de protéger les navires allemands présents dans le port de l’Aber Wrac’h.
Au nord de l’île, l’ensemble fortifié numéroté "A 32" regroupe neuf bunkers (trois postes d’observation et de tir dits Tobruk-Stände ; un bunker dit Tobruk de type VF67 surmonté d’une tourelle de char [disparu] ; deux bunkers - abris de type 621 pour un groupe de combat (2 x 10 soldats ; implantés au nord et au sud) ; deux bunkers - abris de VF2a (2 x 10 soldats) et un bunker - casemate de type 625 (6 soldats) [détruit] pour canon de 7,5 cm antichar).
Au sud de l’île, l’ensemble fortifié numéroté "A 45" regroupe quatre bunkers (un poste d’observation et de tir dit Tobruk-Ständ ; deux bunkers de type 626 avec toit blindé pour canon de 7,5 cm antichar modèle 1940 (2 x 6 soldats ; implantés au nord et au sud) et un bunker - casemate de type 634 avec cloche blindée à 6 embrasures pour mitrailleuse (9 soldats).
Le volume total de béton coulé sur Énez Terc’h durant la Seconde Guerre mondiale peut être estimé à au moins 3 880 m3.
L’immédiate après-guerre : déminage et désobusage
Réalisé en 14 jours par trois français et neuf prisonniers de guerre allemands, le déminage et le désobusage de Énez Terc’h est achevé le 8 mai 1946 : 300 mines antipersonnel modèle 1935 dispersées sur une surface d’un hectare ont été désamorcées puis détruites par "pétardement" sur la grève ; 311 obus de 7,62 cm, 200 obus de mortier de 81 mm et 2 000 cartouches pour fusil et mitrailleuse ont été collectées dans huit bunkers puis détruites sur site.
Depuis les années 1980, un site classé
En 1982, Énez Terc’h est classé avec le Site des Abers qui englobe l’Aber Wrac’h et l’Aber Benoît.
De nombreuses parcelles de l’île, considérées comme espace naturel, sont acquises par le Département du Finistère qui dispose d’un droit de préemption environnemental.
Chargé d'études d'Inventaire du patrimoine à la Région Bretagne.